L’industrie européenne de la joaillerie attendait l’hiver avec un mélange d’espoir et de crainte. L’année 2015 est, selon certaines prévisions de consommation, une année déterminante. L’Union européenne est désormais sortie de la crise et vouée à une croissance lente et stable à long terme.[:] Sans grands changements économiques majeurs à l’horizon, le comportement des consommateurs au cours de cette saison devrait servir de modèle pour les années à venir. Bien que les chiffres officiels des ventes de Noël ne soient disponibles qu’en février-mars, des résultats provisoires montrent déjà quelques nouvelles tendances importantes.
Les chiffres
Jusqu’à présent, les ventes de Noël ont été modérément positives dans la zone euro. La décision prise en septembre par la Banque Centrale Européenne de maintenir les taux d’intérêt des dépôts à un plus bas record de -0,2 % tout au long de l’année a contribué à faire sortir l’argent des comptes d’épargne pour le réinjecter sur le marché physique. Conséquence, les consommateurs cherchent désormais à investir leur argent dans des produits qui préservent mieux leur valeur, notamment les bijoux en or et en diamants.
En Europe, les pays qui ont connu la plus forte croissance en termes économiques, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne, ont également enregistré les meilleurs résultats pour les ventes de bijoux, avec des chiffres allant jusqu’à 2 % à 4 % de mieux que l’année précédente. En France, en Italie et en Espagne, les augmentations étaient plus modestes, les consommateurs ayant un pouvoir d’achat plus faible. Mais le fait que l’on ait, et ce pour la première fois depuis des années, enregistré un chiffre positif est, en soi, une bonne nouvelle. Il faut également tenir compte du fait qu’en France, les ventes ont été lésées par les effets tragiques des attaques terroristes de Paris. Celles-ci ont entraîné un ralentissement temporaire des achats habituels avant les fêtes de fin d’année, en plus du fait que des milliers de touristes ont annulé leurs réservations. De façon plus générale, la situation internationale, tendue et incertaine, a contribué à réduire les ventes de Noël en Europe occidentale, même si la baisse n’a pas été significative.
Les consommateurs
Cette année a permis de voir s’affirmer la nouvelle génération d’acheteurs : celle que l’on appelle la génération Y. Il s’agit généralement de jeunes adultes, nés entre la fin des années 70 et le début des années 90, qui entament aujourd’hui leurs carrières professionnelles. Leurs préférences en termes de bijoux sont sensiblement différentes de celles des baby-boomers américains et européens des années 50 et 60, et même de celles de la génération X il y a 35 ans. La génération Y est moins impulsive en matière d’achat de bijoux, probablement du fait de leur expérience de la crise économique et des perspectives d’une faible croissance économique. Leurs choix résultent le plus souvent d’une décision mûrement réfléchie, qui implique de consulter des amis et de faire des recherches sur Internet pour obtenir des avis et des opinions avant d’effectuer un achat important. Dans la pratique, cela signifie que les marques de luxe ne se reposent plus sur l’effet choc des vitrines ni sur les publicités agressives dans les médias pour attirer les clients mais qu’elles doivent passer plus de temps à fournir des informations précises sur leurs collections, à la fois dans les boutiques et en ligne, sur leurs sites Internet et les plates-formes de réseaux sociaux.
Ce qui est assez surprenant, c’est que l’utilisation de la technologie par la génération Y n’aboutit pas à une hausse sensible des ventes de commerce électronique pour les bijoux. Une étude réalisée par Altagamma-McKinsey en 2015 montre que seuls 4,1 % environ des ventes de bijoux passent par Internet. Le plus souvent, la Toile a permis de rassembler des informations sur les caractéristiques techniques, le prix et la disponibilité avant que le client ne procède à son achat dans une boutique. La demande d’experts dans le secteur de la vente de bijoux est donc forte.
Les produits
De nouveaux consommateurs et une baisse du pouvoir d’achat ont largement modifié les préférences des consommateurs au cours des sept dernières années. Lors de cette courte période, le marché européen des bijoux est passé par au moins trois phases distinctes.
La première phase, qui a coïncidé avec le pic de la récession mondiale, a amené les consommateurs à renoncer aux dépenses non essentielles, dont les achats de bijoux. L’industrie d’Europe occidentale s’est retrouvée déstabilisée car les ventes se sont quasiment arrêtées, entraînant des pertes massives dans les grandes sociétés et des défaillances en chaîne dans les petites entreprises.
La deuxième phase a vu une augmentation de ce que l’on appelle la « mode économique ». Ce terme désigne principalement les grands détaillants qui proposent des produits de mode à bas prix. Les grands noms du secteur sont Zara, H&M, Primark et Monsoon Accessorize. Ces sociétés ont réussi, entre autres choses, à combler le fossé laissé par l’industrie de la joaillerie en lançant le concept de « bijoux fantaisie de créateurs ». Contrairement aux bijoux fantaisie vieux jeu, les nouveaux produits n’essaient pas d’imiter les matières précieuses, ils constituent un complément élégant à des tenues décontractées et professionnelles, le tout à un prix compétitif. Entre 2009 et 2012, les bijoux fantaisie ont représenté une nouvelle menace, assez sérieuse, pour l’industrie de la joaillerie.
Lors de la troisième et dernière phase, les marques de bijoux sont revenues en force en lançant le concept de « luxe abordable ». Cette nouvelle tendance, également appelée « bijoux de gamme moyenne », prend ses racines dans le lancement de nouvelles collections de bijoux d’entrée de gamme, qui associent des matériaux précieux et semi-précieux, par certains des grands noms du marché, collections qui assurent malgré tout une création et des finitions de qualité supérieure. Aujourd’hui, la plupart des marques de haute joaillerie, dont Dior, Bulgari, Pomellato et Damiani possèdent au moins une collection évaluée sous la barre des 1 000 euros. Nombre de ces collections comprennent même de petits diamants, associés à des bagues et des colliers en argent ou en céramique.
Certaines sociétés, comme Tiffany, comptent aujourd’hui fortement sur leurs collections entre 100 € et 500 € pour assurer le succès de leurs ventes de Noël. Cela montre qu’il reste de la marge pour s’améliorer à l’extrémité basse du marché. Les bijoux abordables ont certainement gagné les faveurs des consommateurs et fait souffler une tempête sur le marché des bijoux fantaisie. Par exemple, Monsoon Accessorize, géant des bijoux fantaisie, a récemment constaté un recul de ses bénéfices d’environ 19 %. L’industrie des bijoux précieux est donc certainement sur la bonne voie.
Photo Nudo de Pomellato pour le site Net-à-Porter