L’action climatique est essentielle pour la Watch & Jewellery Initiative 2030, déclare sa directrice exécutive Iris Van der Veken.
Iris Van der Veken a l’habitude de faire des vagues dans l’industrie de la bijouterie. Au cours des trois ans passés en tant que directrice exécutive du Responsible Jewellery Council (RJC), elle s’est fait la spécialiste du changement, en tant que directrice de campagne passionnée par les droits de l’homme, l’égalité et le développement durable partout dans la chaîne d’approvisionnement. Ensuite, la Russie a envahi l’Ukraine.
De nombreux acteurs de l’industrie se sont instantanément exprimés contre la guerre du président russe Vladimir Poutine et ont soutenu les sanctions appliquées aux produits russes, y compris aux diamants du minier ALROSA, dont la Fédération de Russie possède une part de 33 %. Au vu des événements, ALROSA a choisi de suspendre sa propre adhésion au RJC mais n’a jamais été officiellement exclue. Alors que le monde se mobilisait, le RJC – et Iris Van der Veken par association – est resté silencieux sur la question.
L’amertume était palpable. Comme l’a indiqué sur LinkedIn Brad Brooks-Rubin, qui était à l’époque conseiller stratégique du RJC pour l’Amérique du Nord : « Les décisions du RJC (ou plus précisément leur absence) concernant cette société [ALROSA] et la crise en général ont jusqu’à présent été insuffisantes. »
Les chemins de Brad Brooks-Rubin et du RJC se sont séparés depuis et des membres comme Pandora, Richemont et Watches of Switzerland Group se sont retirés. En coulisse, il s’est dit qu’Iris Van der Veken aurait enragé. Rapaport a annoncé qu’elle aurait remis sa démission quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine. Elle a officiellement quitté son poste le 29 mars.
On aurait pu pardonner à Iris Van der Veken de tourner le dos à l’industrie de la bijouterie après un épisode aussi tumultueux mais en juillet, elle était de retour à un nouveau poste, celui de directrice exécutive et secrétaire générale de la Watch & Jewellery Initiative 2030 (WJI2030). Cette organisation a été fondée par le groupe de luxe Kering et par Cartier, qui appartient à Richemont, fin 2021 pour rassembler des membres de l’industrie. Leur but est de travailler sur les objectifs de développement durable (SDG) des Nations unies, dans le but de réaliser « un appel à agir universel pour mettre fin à la pauvreté, protéger la planète et s’assurer que, d’ici 2030, toutes les personnes connaissent la paix et la prospérité. »
Se mettre au travail
Iris Van der Veken n’hésite pas à souligner que la WJI2030 n’est pas un organisme de certification comme le RJC, mais un groupe de travail, ce qui ne signifie pas que son travail soit moins sérieux.
« Nous élaborons une feuille de route collective grâce à l’engagement de plusieurs parties prenantes pour 2030 sur trois sujets importants, au cœur du programme du développement durable : la résilience climatique, la préservation des ressources et l’inclusivité. Nous fixons également tout au long de ce parcours des étapes que nous nous engageons à respecter. Chacun doit bien entendu annoncer les avancées réalisées », explique-t-elle dans une vidéoconférence depuis son bureau à la Maison de la Paix de Genève – à une dizaine de minutes à pied du bâtiment des Nations unies dans la cité helvétique.
La WJI2030 a connu un départ prometteur, en attirant des grands noms comme Cartier, Boucheron, Chanel et Gucci, ses membres fondateurs. En septembre, elle a annoncé l’arrivée d’une seconde série de membres, qui ne sont pas uniquement des marques, mais aussi des fournisseurs comme le producteur de diamants Dimexon.
« Nous avons entamé notre feuille de route pour l’environnement, le social et la gouvernance (ESG) début 2021, explique Rajiv Mehta, directeur de Dimexon. Après nous être engagés à établir les bases d’une stratégie pour un avenir durable, nous avons découvert la Watch & Jewellery Initiative 2030, qui nous a véritablement encouragés et inspirés. Et surtout, nous avons compris que nos objectifs étaient véritablement alignés, ce qui nous a incités à nous associer à la WJI2030. »
Le groupe prévoit d’élargir son adhésion à tous types de sociétés du marché, déclare Iris Van der Veken, faisant remarquer l’arrivée récente du Gemological Institute of America (GIA) parmi ses membres. « Le processus de candidature est ouvert », explique-t-elle, précisant que l’organisation compte désormais à peu près 30 membres. « Parfois, certains nous approchent et disent : « Je suis une petite entreprise, puis-je vraiment être membre ? » Oui, bien entendu. Nous voulons être inclusifs. Mais il est très important que les engagements annoncés par les membres soient sérieux. Chacun va devoir rapporter ses résultats. »
Certaines sociétés risquent-elles, au vu de la liste des adhérents illustres, de s’inscrire dans l’espoir de recevoir les félicitations sans véritablement s’engager ? Cela ne sera pas possible, déclare Iris Van der Veken : « Nous disposerons d’une plate-forme de données et d’un mécanisme de surveillance à cet effet. »
Il existe également une obligation financière. Pour rejoindre la WJI2030, les sociétés doivent engager 0,004 % de leur chiffre d’affaires annuel concerné, avec un seuil minimum d’environ 500 dollars et un plafond d’environ 69 000 dollars.
« Verdir » ensemble
L’organisation a réuni ses membres pour la première fois en octobre au siège parisien de Kering. Rajiv Mehta était présent. « L’assemblée paraissait vraiment alignée sur une vision commune », explique-t-il.
Ce sentiment de coopération pour une bonne cause est exactement ce qu’Iris Van der Veken espère obtenir. « Nous avons constaté que si nous voulons un avenir véritablement durable, il nous faut une forte collaboration et des partenariats stratégiques, explique-t-elle. Cela ne fonctionne pas si l’on agit seul. Et certainement pas dans nos chaînes d’approvisionnement, extrêmement interconnectées. Je considère donc que nous avons ici une formidable opportunité de prouver tout le sens des mouvements collectifs, sachant qu’ils auront un impact signifiant sur toute la chaîne de valeur. »
Les SDG des Nations unies comptent 17 objectifs et 169 objectifs secondaires. Pour l’instant, la WJI2030 a décidé de se concentrer sur les trois sujets essentiels au cœur de sa mission. Pour Iris Van der Veken, l’action climatique est la plus pressante. C’est un point sur lequel « nous devons véritablement accélérer, souligne-t-elle. Je considère que toutes les sociétés de l’industrie des bijoux doivent comprendre leurs responsabilités et entamer un parcours climatique au sein de leurs structures. »
Selon elle, le marché doit réaliser qu’il faut changer la façon dont nous traitons les émissions et les déchets, pas simplement pour le bien de la planète, mais aussi pour notre activité. « Regardez les effets du changement climatique sur nos chaînes d’approvisionnement. Voyez ce qui se passe en Floride ou au Pakistan », explique-t-elle, faisant référence aux récentes tempêtes et inondations qui ont dévasté ces deux régions. « Rien que du point de vue du risque et de la stabilité de la chaîne d’approvisionnement, le climat doit devenir un pilier essentiel des stratégies de chacun. Les sociétés d’extraction minière comme De Beers Group, Lucara Diamond Corp. et Rio Tinto, ainsi que de nombreuses marques et des fabricants, ont pris de l’avance. Nous devons maintenant décider toute l’industrie à s’intéresser à l’agenda climatique. Il faudra beaucoup informer et offrir à la communauté de la chaîne d’approvisionnement les outils pour entamer ce parcours. »
Les nouveaux membres de la WJI2030 doivent signer et envoyer une lettre d’engagement envers l’initiative des Objectifs basés sur la science, qui vise à aider les sociétés à atteindre des émissions de carbone nettes zéro. Ils doivent ensuite agir activement pour réduire leurs émissions, conformément à l’objectif de l’Accord de Paris 2015 de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C. D’ici 2050, ils doivent également atteindre la neutralité carbone.
Grands rêves, petites actions
Iris Van der Veken décrit la WJI2030 comme un nouveau « départ », mais un départ ambitieux. Son équipe travaille actuellement à créer une feuille de route officielle pour l’organisation, qu’elle communiquera à ses membres début 2023. L’équipe planifie également la prochaine réunion des membres, qui se tiendra au siège de Cartier en février, l’objectif étant qu’un membre différent accueille l’organisation à chaque fois.
Les objectifs du groupe sont très ambitieux et, en rassemblant autant d’acteurs majeurs, engagés à faire naître le changement, il a le potentiel de faire une forte différence collective. Cela n’a pas échappé à Iris Van der Veken, qui rappelle qu’en 2030, elle aura 60 ans et pensera alors à laisser un héritage positif. Mais pour ceux qui sont sur le marché et envisagent d’améliorer leur pratique, il est important de ne pas se laisser submerger par la situation générale, explique-t-elle. « Nous devons vraiment adopter un nouvel état d’esprit. Nos actions peuvent être de grandes ampleur ou plus modestes. Parfois, les gens me disent que c’est trop compliqué. Je leur réponds de commencer par de petites choses. »
Photos © Courtesy of the WJI, Charl Folscher – Unsplash.