Son PDG Jim Duffy envisage un système qui connecte l’intégralité du marché.[:]
Technicien dans l’âme, Jim Duffy passe le plus clair de son temps sur la route à expliquer les termes techniques en termes compréhensibles par les profanes. Son poste de PDG de Tracr, le projet Blockchain de De Beers, a été taillé sur-mesure pour lui, notamment dans l’industrie diamantaire, traditionnellement peu versée dans la technologie et qui, le note-t-il, est un conglomérat d’entreprises familiales.
Le programme immédiat de Jim Duffy, au-delà du développement de la plate-forme, est clair : former le marché et démonter les nombreuses idées préconçues à propos du projet, maintenant sur le point d’être élargi.
Tracr n’est ni une simple Blockchain, ni destinée à être uniquement un des programmes de De Beers, a indiqué Jim Duffy à Rapaport News. Elle a été « amorcée par De Beers parce qu’il a fallu commencer quelque part, explique-t-il. Mais l’idée est d’en faire une plate-forme pour l’industrie, par l’industrie. »
La société minière a lancé Tracr en janvier 2018, initialement baptisée Diamond Blockchain Initiative, afin de fournir un enregistrement numérique unique, infalsifiable, pour les diamants. De Beers a d’abord collaboré avec les fabricants Diacore, Diarough, Rosy Blue, KGK Group et Venus Jewel pour enregistrer des pierres, avant que son homologue ALROSA et les poids-lourds du retail Signet Jewelers et Chow Tai Fook ne rejoignent le projet pilote.
Moins de deux ans plus tard, Jim Duffy supervise le déploiement de la communauté Tracr, lancée en mai sous la forme d’une ressource éducative pour des entreprises qui s’impliquent dans le programme. Ces derniers mois, 12 autres sociétés anonymes l’ont rejoint et Jim Duffy espère embarquer près de 30 organismes d’ici la fin de l’année.
Le réseau routier de l’industrie
En collaborant avec un groupe de base de premiers utilisateurs, Jim Duffy s’attend à ce que Tracr prenne de l’élan et finisse par devenir une plate-forme de toute l’industrie qui traite des millions de carats, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Mais pour atteindre cet objectif, le marché doit comprendre ce qu’est Tracr et, tout aussi important, ce qu’elle n’est pas. Jim Duffy réfute rapidement l’idée erronée selon laquelle le système offre aux utilisateurs un accès à des informations sur toutes les transactions. « Cela ferait tomber l’industrie, déclare-t-il. Vous voyez ce que vous verriez dans une transaction normale. Il s’agit d’un équivalent numérique. »
Les données des transactions seront disponibles pour les parties impliquées ou sur demande, par exemple si un prêteur ou un assureur requiert des informations sur le stock ou les factures d’une société. Jim Duffy établit une analogie avec un utilisateur de téléphone portable. Lorsque vous téléchargez une application, elle vous demande l’autorisation d’accéder à des informations comme votre localisation ou vos contacts. Avec Tracr, un fabricant peut par exemple autoriser que certaines données soient visibles pour un utilisateur qui est intéressé par cette partie de la chaîne d’approvisionnement.
Un Internet de valeur
Le programme affiche trois objectifs : fournir un enregistrement fiable de l’origine d’un diamant, vérifier s’il s’agit d’une pierre naturelle et la rendre traçable tout au long de la filière.
Jim Duffy décrit Tracr comme une « infrastructure numérique horizontale », en la comparant à un système routier qui relie des choses et des personnes dans une zone urbaine. En l’absence de routes, cela ne fonctionne pas très bien. De même, explique-t-il, Tracr crée une représentation numérique de la connectivité du marché diamantaire.
En réalité, il vous corrigera si vous qualifiez Tracr de Blockchain. Il préfère parler d’une « plate-forme d’un Internet de valeur ». Une Blockchain est le grand-livre distribué qui conserve les données, qui constitue un élément essentiel de la plate-forme. Mais se contenter de cela exclurait de nombreux autres aspects importants, précise-t-il.
L’un de ceux-ci est l’intelligence artificielle qui permet une prise de décision automatisée et le traitement de millions de diamants au sein du système. Tracr utilise également « l’Internet des objets » (le réseau des objets connectés) pour recueillir les données des scanners et autres machines déjà utilisées par l’industrie. Le dernier aspect concerne la sécurité et la confidentialité. Tracr s’assure que les bons contrôles soient appliqués pour permettre aux utilisateurs de partager des données en toute sécurité sur la plate-forme.
De la mine jusqu’à la boutique
Lors de l’élaboration du système, l’équipe Tracr a eu à considérer deux types de diamants : la nouvelle production de l’industrie minière et les millions de diamants taillés, déjà sur le marché.
Dans les cas d’une nouvelle production, un identifiant Tracr est créé lorsque le minier intègre les informations de la pierre dans la plate-forme. À partir de là, le déplacement du diamant est enregistré à chaque fois qu’il change de forme, autrement dit à chaque étape du processus de taille et de polissage, ou à chaque fois qu’il change de mains, par exemple lorsque le minier le vend au fabricant.
La participation au système n’exige aucun équipement ni étape chronophage, souligne Jim Duffy. « Nous avons pris soin de ne pas surcharger l’industrie, d’un point de vue économique ou opérationnel », affirme-t-il, faisant remarquer que les marchandises sont de toute façon scannées tout au long du processus de fabrication. Il suffit donc que Tracr se connecte à ces scanners.
Lorsqu’il s’agit de traiter de pierres taillées, qui se trouvent déjà sur le marché, Tracr entre évidemment en scène plus loin dans la filière. Cela signifie que Tracr ne peut pas indiquer la provenance du diamant, admet Jim Duffy, mais il est possible de vérifier son authenticité et la pierre devient admissible à la traçabilité à partir de là.
Une fois que les diamants entrent dans le système, c’est au marché de décider s’il veut utiliser cette donnée dans son marketing. Même si Tracr est une plate-forme entre entreprises (B2B), les détaillants peuvent s’appuyer sur les informations mémorisées pour raconter l’histoire de la pierre aux consommateurs, explique Jim Duffy.
Dès lors, suggère-t-il, un diamant Tracr peut très bien se vendre avec un premium par rapport à un autre diamant, même s’il insiste pour indiquer que ce n’est pas le but. « Pour nous, l’objectif n’est pas d’obtenir un premium. Il est d’établir une infrastructure pour l’industrie. Nous avons constaté l’impact qu’ont eu les diamants sur des pays comme le Botswana. Aujourd’hui, nous disposons de l’infrastructure numérique pour avoir un impact. C’est le prochain chapitre de l’histoire de l’industrie diamantaire. »
L’association Tracr à l’œuvre
Alors qu’elle recrute de nouveaux membres, Tracr doit toujours affiner les modalités de participation, une chose qui dépasse le mandat qui lui a été assigné, insiste le PDG Jim Duffy. Cet aspect revient à l’association Tracr, qui est en cours de création.
Il est probable que les sociétés membres devront faire preuve de pratiques d’approvisionnement responsables, même s’il reste encore à De Beers à publier les critères spécifiques.
L’association Tracr est en cours de constitution, sous la forme d’un conseil d’arbitrage, pour traiter les questions de gouvernance, a expliqué David Johnson, porte-parole de De Beers, plus tôt cette année. De Beers devrait jouer un rôle important dans l’association mais l’objectif sera de créer un modèle partagé dans l’industrie, avec toute une série de participants qui seront présents dans toute la chaîne de valeur des diamants et en de multiples endroits, a ajouté David Johnson.
Bien que le seuil pour rejoindre le programme n’ait toujours pas été défini, Jim Duffy affirme que Tracr devrait puiser dans les références de bonnes pratiques existantes.