La réussite des marchés des diamants naturels et synthétiques dépend fortement de l’histoire racontée par le bijoutier.
La culture des diamants synthétiques est-elle motivée par les consommateurs ou par l’argumentaire de vente des bijoutiers ?
La question a été posée lors d’un épisode récent du podcast Rapaport Diamond, ainsi que lors d’un atelier en webinaire organisé par Rapaport plus tôt cette année avec des producteurs et des vendeurs de diamants synthétiques.
L’invité du podcast était Kieron Hodgson, directeur général et analyste en recherche pour les matières premières et l’extraction à la banque d’investissement britannique Panmure Gordon. Il a interpellé les bijoutiers à propos du narratif qu’ils proposaient sur les diamants synthétiques par rapport aux diamants naturels.
« La façon dont on vend les diamants synthétiques aux consommateurs me consterne. La somme de contre-vérités qui circulent est ahurissante, s’est lamenté Kieron Hodgson, évoquant un voyage récent au cours duquel il a visité plusieurs bijouteries. Les points de vente sont prêts à afficher les diamants naturels comme préjudiciables pour l’industrie et les diamants synthétiques comme une alternative éthique. »
Il s’est dit « particulièrement ennuyé ». Et il poursuit : « J’ai constaté dès le départ les avantages que les opérations minières procuraient à des communautés qui, sinon, ne disposeraient d’aucune source de revenus. L’industrie a permis que des contre-vérités soient communiquées au consommateur en général et c’est une tendance difficile à inverser lorsque ces messages ont imprégné la psyché du consommateur. »
Les commentaires de Kieron Hodgson ont fait écho chez un participant, un dirigeant d’un grand bijoutier de New York, qui a écrit dans un e-mail : « J’ai trouvé les dernières minutes du podcast relatives à l’absence de messages, à la désinformation sur les diamants naturels face aux diamants synthétiques, vraiment très à propos… L’argument de votre invité sur la psyché des consommateurs est une chose qui me tient éveillé la nuit. »
L’échange a bien montré le rôle que les bijoutiers jouent dans l’accélération récente du secteur des diamants synthétiques. Tout le monde sait que les bijoutiers bénéficient de marges plus importantes sur les diamants synthétiques que sur les diamants naturels. On peut donc comprendre qu’ils incitent les consommateurs à choisir ce produit dans leur argumentaire de vente. Comme l’a fait remarquer Marty Hurwitz, PDG de The MVEye, un cabinet de conseil spécialisé dans les diamants synthétiques, à l’occasion du webinaire de juillet : « C’est le capitalisme : vous avez un vendeur et un acheteur qui sont libres d’agir. »
La grosseur compte
Les participants du webinaire ont estimé que c’est le consommateur qui est à l’origine de la croissance. Les bijoutiers se contentent de répondre à la découverte rapide du produit et à l’intérêt qu’il suscite.
« Si j’observe la trajectoire de ces cinq dernières années, je vois que le consommateur averti des questions sociales, environnementales et économiques a maintenant le choix, a déclaré Amish Shah, président de la marque de diamants synthétiques Altr Created Diamonds. Il a la possibilité d’acquérir un diamant quasiment deux fois plus gros pour un prix presque identique ou légèrement supérieur. »
Beryl Raff, PDG récemment retraitée du bijoutier américain Helzberg Diamonds, a tout d’abord évoqué ce fait à la Dubai Diamond Conference de mars, déclarant que « le diamant synthétique de 2 carats est devenu le nouveau diamant naturel de 1 carat. » En 2021, Helzberg a vendu 50 fois plus de diamants synthétiques de 2 carats que de diamants naturels de la même grosseur, a-t-elle annoncé.
Ces chiffres sont contraires aux prévisions initiales sur le développement du marché des diamants synthétiques. Plutôt que de vendre un diamant équivalent moins cher et de préserver le budget du consommateur, les bijoutiers tablent sur un investissement identique du client qui obtient une pierre plus grosse, notamment aux États-Unis, « où tout est question de taille », a fait observer Amish Shah.
Le défi du mêlé
L’évolution vers de plus gros diamants synthétiques dans la sphère du retail contraste avec ce que l’on imaginait précédemment : que la principale opportunité de croissance des diamants synthétiques serait les petites pierres, notamment face à l’éventuelle pénurie de mêlé naturel liée aux sanctions sur les marchandises d’ALROSA après l’invasion de l’Ukraine.
Or, il n’existe pas actuellement de pénurie de mêlé naturel sur le marché et les bijoutiers n’optent pas pour les synthétiques dans cette catégorie. Le mêlé naturel a meilleur aspect et cela suffit pour que les bijoutiers continuent de l’utiliser en lieu et place des petites marchandises synthétiques, a déclaré Marty Hurwitz. S’assurer un approvisionnement régulier de mêlé synthétique pose également problème, en particulier pour les bijoux de mode, qui font un emploi intensif de cette grosseur, a-t-il ajouté.
Par ailleurs, lors du processus de culture, le fabricant doit décider de ce qu’il fera du cristal brut et la plupart préfèrent fabriquer de plus grosses pierres, qui sont plus rentables.
Une offre fiable
En réalité, un approvisionnement régulier en diamants synthétiques pose problème, quelle que soit la grosseur, ont indiqué les intervenants.
« Les grands détaillants de bijoux et les fabricants qui les approvisionnent ont du mal à obtenir une offre régulière, nécessaire pour assurer leurs collections et gérer de grandes campagnes, a expliqué Marty Hurwitz. Il leur faut un produit de qualité et un approvisionnement régulier tous les mois. »
L’absence de régularité dissuade certains grands détaillants de s’aventurer dans ce domaine, a-t-il suggéré. Même si les producteurs d’articles de qualité trouveront rapidement des marchandises personnalisées pour les clients plus importants, aux budgets conséquents, a-t-il expliqué, ces marchandises s’arracheront rapidement et ne permettront pas de répondre à la demande de toutes les sociétés intéressées.
Quelles sortes de pénuries ?
Pourtant, la pénurie ne porte pas seulement sur le nombre de diamants, elle concerne aussi le nombre de scientifiques capables d’assurer cette régularité, a fait observer Marty Hurwitz. Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour produire davantage de pierres.
« Tous les diamants synthétiques ne se créent de la même façon, a-t-il indiqué. Les chambres équipées d’une technologie de pointe ne se fabriquent pas du jour au lendemain. Pour l’instant, nous connaissons une énorme pénurie de connaissances et les avancées ne sont pas aussi rapides que ce que les sociétés peuvent laisser entendre. »
Un autre participant, Nick Smart, directeur commercial chez Lightbox Jewelry, la marque de diamants synthétiques de De Beers, a reconnu l’écart qui peut exister entre l’offre et la demande à court terme. Mais même s’il faut du temps pour élaborer ces pierres, « il n’existe pas vraiment de limite aux quantités que l’on peut produire », a-t-il répondu.
Une fois que le processus de croissance sera perfectionné, a convenu Amish Shah, il suffira de savoir à quelle vitesse vous pouvez augmenter vos capacités de production et ajouter de l’équipement.
La technologie a déjà permis d’améliorer la qualité des pierres, a ajouté Amish Shah. Même si, entre 2016 et 2018, l’intérêt se portait sur les couleurs I à K pour les diamants synthétiques, aujourd’hui, les boutiques cherchent à proposer des couleurs E à G.
Un plus gros gâteau
À l’occasion d’une révélation plutôt surprenante sur son profil LinkedIn en octobre, Amish Shah a attiré l’attention sur un article de Kay Jewelers, une paire de boucles d’oreilles en diamants synthétiques de 0,25 carat, accompagné d’une note affirmant : « En raison des contraintes d’approvisionnement, ces boucles d’oreilles pourraient contenir des diamants naturels. »
Il a affirmé, lors du webinaire, que le mélange de diamants naturels et synthétiques dans les bijoux concernait principalement le marché et que les consommateurs n’éprouvaient « absolument aucune réticence » à voir un beau diamant naturel à côté d’un diamant synthétique.
Cela contraint le marché à apporter des déclarations justes, afin de ne pas leurrer le consommateur sur ce qu’il vend, a souligné Nick Smart lors du webinaire. Les laboratoires de certification jouent un rôle essentiel dans ce processus, a ajouté Avi Levy, participant à l’atelier et président de l’International Gemological Institute (IGI) pour l’Amérique du Nord.
« La transparence, la chaîne de garanties, l’intégrité et l’honnêteté sont aussi essentiels dans le monde des diamants synthétiques que dans celui des diamants naturels », a maintenu Marty Hurwitz.
Néanmoins, l’éventualité d’un mélange laisse penser que les deux produits peuvent se compléter plutôt que se cannibaliser. Les participants ont noté que les secteurs des diamants naturels et synthétiques se sont développés en 2021. Ce faisant, ils ont élargi le marché des bijoux dans son ensemble.
Il est envisageable que 2022 soit le véritable test pour la pérennité de cette dynamique, puisque 2021 était une année particulière, durant laquelle la plupart des segments du marché des bijoux en diamants ont progressé. Nick Smart s’est dit confiant dans le fait que la dynamique pourrait se maintenir pour les deux produits. Il a évoqué les preuves toujours plus nombreuses des avantages des diamants synthétiques pour l’industrie puisqu’ils ont permis de faire grossir le gâteau que représente le marché de la bijouterie.
Il a exhorté l’industrie à utiliser les diamants synthétiques pour toucher de nouveaux clients, plutôt que de façonner un marché qui oppose un produit à un autre. Kieron Hodgson a relayé ce message lors du podcast. L’analyste en recherche a souligné le rôle crucial que les bijoutiers pourraient jouer, simplement en choisissant l’histoire qu’ils proposent aux clients, notamment à l’approche des fêtes de fin d’année.
« Les contre-vérités sur les avantages des diamants synthétiques doivent être modérées… Les mensonges éhontés que de nombreux détaillants sont prêts à servir à propos des pierres naturelles me perturbent, a affirmé Kieron Hodgson. Il s’agit de créer davantage d’harmonie entre les diamants naturels et synthétiques car tous deux servent à développer l’industrie dans son ensemble. »
Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro d’octobre du Rapaport Research Report. Abonnez-vous ici.
Photo © Lightbox.