Bien que les résultats aient été nettement meilleurs que ceux de l’année dernière, le récent salon JCK Las Vegas a montré que l’industrie de la joaillerie est encore loin d’être sortie du marasme.[:] Chose surprenante, les stands diamantaires étaient très fréquentés ; il semblerait qu’en règle générale, l’industrie fasse de gros progrès face à certains de ses principaux problèmes : le marketing générique et les marchandises de laboratoire.
Les exposants de bijoux
Selon les exposants des salons les plus haut-de-gamme, Couture et Luxury, l’activité était « bonne ». La fréquentation n’était pas faramineuse mais les personnes présentes avaient l’intention d’acheter, ou du moins la volonté.
Les strates supérieures du marché semblent obtenir de bons résultats, notamment lorsque les marques sont solides. Les problèmes qui affectent les autres joailliers (baisse de la capacité financière des consommateurs, évolution des goûts, baisse du standing des tenues vestimentaires et changement d’attitude envers les diamants) semblent moins inquiéter le haut du marché. On y trouve des créations nouvelles et novatrices, des acheteurs intéressés et ayant les capacités financières suffisantes et un goût pour les diamants qui ne se dément pas.
L’ambiance dans les sections haut-de-gamme est volontairement feutrée. Or, l’agitation attendue dans les autres sections des bijoux était quasiment inexistante cette année. En réalité, dans certaines sections du salon, l’atmosphère était calme, à la limite du sinistre. Une explication possible à la baisse de la demande pourrait être un manque de confiance des détaillants américains pour la période à venir ou peut-être des stocks hétérogènes. Je pense, pour ma part, que d’autres facteurs entrent en ligne de compte.
Il est vrai que la situation financière des détaillants n’est plus aussi stable qu’elle l’était par le passé, notamment pour les petites structures. Après le réapprovisionnement qui a démarré en janvier, il est possible que les détaillants retardent leurs achats autant que possible, afin d’observer l’évolution du marché et ainsi préserver leurs ressources financières. Parmi les quelques raisons qui pourraient provoquer ce changement dans le calendrier des commandes, citons les prochaines élections présidentielles.
Traditionnellement, le candidat dont le parti n’occupe pas la Maison-Blanche a tendance à qualifier la situation de très mauvaise, avec un besoin urgent de redressement. Cela engendre très souvent une tendance à la prudence financière de la part des supporters de ce candidat, et même au-delà. Au vu de cette période unique que nous vivons et d’une campagne inhabituellement amère et divisée, cette hypothèse se vérifie tout particulièrement.
En outre, avec la déception qui a accompagné les chiffres de l’emploi, un nouveau fléchissement de la confiance des consommateurs au mois de mai (même s’il s’agit d’un mauvais baromètre des comportements d’achat), la fermeture de joailliers indépendants qui ne ralentissent pas et des rumeurs omniprésentes sur le peu d’intérêt que la génération Y porte aux bijoux, il peut sembler prudent de limiter son réapprovisionnement.
Les exposants de diamants
En matière de taillé, l’ambiance au salon JCK était assez différente. L’agitation était constante et les acheteurs bien plus présents que dans d’autres parties du salon.
Les échanges étaient, sans aucun doute, plus nombreux que l’année dernière. Toutefois, les ventes n’avaient pas repris leur niveau d’avant les difficultés de 2013. Les marchandises américaines étaient demandées, principalement des rondes de 1 carat en couleurs HIJ et en puretés SI, assorties de certificats du GIA. Il y aurait eu quelques ventes de marchandises de moindre grosseur et de gros diamants. Il semblerait également que Forevermark et Hearts on Fire aient obtenu de bons résultats. Comme pour les bijoux, les marques ont aussi eu un certain succès.
En plus des marchandises de 1 carat, quelques diamants de 3 carats et plus se sont vendus. Leur prix baisse depuis le salon de Hong Kong en mars ; celui de Las Vegas n’a fait que renforcer cette tendance, amenant plusieurs négociants à réduire leurs tarifs pour conclure des transactions.
En règle générale, les prix du taillé se sont maintenus ces derniers mois. Les échanges satisfaisants des pierres de 1 carat pendant le salon devraient permettre de maintenir les tarifs pendant un moment. Toutefois, les négociants de Mumbai, Tel-Aviv et Anvers pourraient décider, au lendemain du salon de Las Vegas, de baisser lentement les prix de certaines petites marchandises. Il faut se souvenir que les stocks des fabricants sont en train de se remplir avec le passage au stade du polissage des gros approvisionnements de brut des mois de janvier, février et bientôt mars. Cela renforce encore la nécessité de vendre et l’une des façons d’y parvenir est de baisser les prix. Si la demande pour ces marchandises ne se reprend pas bientôt, c’est ce qui devrait se passer.
Maintenir l’authenticité
Le 3 juin, la Diamond Producers Association (DPA) a dévoilé le nouveau slogan de sa campagne de promotion générique tant attendue. Exit « A diamond is forever », bienvenue à « Real is rare. Real is a diamond ». Ce slogan me plaît. Destiné à la génération Y, il insiste sur la rareté, il fait le distinguo avec les marchandises de laboratoire produites en masse et il semble répondre à ce besoin toujours insaisissable de vivre des expériences.
Dans sa présentation, la DPA a affirmé que, même si l’utilisation des réseaux sociaux et le fait d’avoir des centaines voire des milliers de followers font partie intégrante de notre quotidien, la recherche de moments signifiants et de relations authentiques est plus forte que jamais.
La première campagne à utiliser le nouveau slogan devrait être lancée en septembre ou octobre de cette année, avant la période des fêtes 2016. Le budget est limité, avec seulement 12 millions de dollars, une broutille par rapport aux 50 à 60 millions de dollars (et plus) dépensés chaque année pour les précédentes campagnes génériques. Alors qu’on parle de l’introduction d’un nouveau slogan pour une marque en déclin, il est même particulièrement restreint. Dans la pratique, cela se traduit par une campagne principalement numérique, ce qui est très bien, mais il n’y aura pas grand-chose au-delà.
Pour obtenir un budget décent l’année prochaine, il faudrait que davantage de membres de l’industrie contribuent à la campagne qui, à ce jour, n’a été financée que par les sept grands miniers de diamants. Le GJEPC (Gem & Jewellery Export Promotion Council) indien a déjà annoncé sa participation.
D’ailleurs, il est un peu étrange que plus d’une semaine après l’annonce du nouveau slogan, la DPA n’ait pas encore publié son propre communiqué de presse sur son site Internet. Il devrait déjà y être, avec peut-être même quelques infos de fond, voire la présentation réalisée lors de leur séminaire au petit déjeuner. Après tout, si la DPA a pour objectif d’assurer la promotion et la commercialisation des diamants, qu’elle le fasse !
Les diamants de laboratoire (« clonés ») en première ligne
La présence croissante des diamants de laboratoire sur le marché n’est rien comparée à leur omniprésence psychologique. Tout le monde parle d’eux, beaucoup s’inquiètent, pourtant rares sont ceux qui agissent. Or, cela est en train de changer. La nouvelle stratégie marketing générique de la DPA s’attaque à ce problème, à l’image de nombreuses autres initiatives. Dans le secteur de la vente de détail, beaucoup adoptent une approche qui terrifie l’industrie diamantaire : la tolérance.
La combinaison entre l’intérêt des consommateurs, des prix bas et des marges supérieures a de quoi attirer. De plus en plus de détaillants considèrent ce produit comme n’importe quel autre, à l’instar des perles, des pierres semi-précieuses, de l’or, etc. Le tapage qu’a fait Diamond Foundry sur cette question a engendré une forte couverture médiatique et a fortement suscité l’intérêt des consommateurs.
L’ironie, c’est qu’avec très peu de machines, la production de Diamond Foundry est infime, notamment si on la compare aux quantités que produisent d’autres structures. Une personne en lien avec cette société a qualifié leurs diamants de « clonés ». Des diamants clonés seraient des diamants ayant le même ADN que les pierres naturelles, mais produits différemment. Lorsque j’ai entendu ce terme, j’ai tout de suite revu la scène de Blade Runner dans laquelle un détective testait Leon Kowalski (interprété par Brion James) pour découvrir s’il était un réplicant, autrement dit un clone. C’est futuriste mais déprimant. Dans le film, les clones avaient une date de péremption, ils ne vivaient que quelques années. Les miniers adoreraient que cela soit aussi vrai pour les diamants clonés.
L’un des sujets de discussion les plus sensibles lors du salon concernait l’annonce selon laquelle Swarovski prévoyait de sertir des diamants de laboratoire sur ses créations. Swarovski est une marque forte et l’idée qu’elle puisse utiliser des diamants de laboratoire dans ses bijoux laisserait entendre qu’elle donne son aval à la promotion des diamants de laboratoire.
Ce que l’on ne comprend pas bien, c’est son objectif. Les cristaux sertis sur ces bijoux sont artificiels. Par conséquent, ce que vend vraiment Swarovski, ce sont des créations, et pas des matériaux de grande valeur. Si l’on considère les tarifs élevés et le coût relativement faible des matières premières, ses marges brutes devraient être assez importantes. Ajouter des diamants de laboratoire implique une hausse des coûts des matières premières. Swarovski va-t-elle produire une nouvelle gamme, encore plus chère, pour maintenir ses marges ? Ou procède-t-elle ainsi parce que les ventes stagnent et que la société souhaite proposer quelque chose de neuf pour relancer la demande ?
Une dernière chose à propos des diamants de laboratoire : Pure Grown a annoncé un programme de rachat qui a fait peu de bruit. Pour répondre aux rumeurs selon lesquelles le prix de leurs marchandises ne ferait que baisser au fil du temps, ils proposent désormais une garantie de rachat à vie de leurs marchandises.
Cela permet-il d’inspirer confiance ? Attendez de savoir à quel prix ils rachèteront les marchandises : non pas sur la base des transactions sur le marché, ni sur un indice des prix, mais avec une remise de 15 % sur la facture initiale. Autrement dit, ils ne prévoient pas que la valeur de leurs produits augmente. Jamais. La bonne nouvelle, pourriez-vous dire, c’est qu’ils ne s’attendent pas non plus à ce que les prix baissent. On dirait un programme marketing élaboré à la hâte, qui n’a pas fait l’objet de réflexions approfondies.
Les miniers prennent position
Les miniers diamantaires assistent toujours au salon JCK. Cette année pourtant, ils se sont un peu plus démarqués que par le passé. Étaient présents le PDG entrant de la De Beers, Bruce Cleaver, tout comme le PDG sortant, Philippe Mellier. De l’avis général, Bruce Cleaver a l’intention d’améliorer les difficiles relations avec les sightholders qui étaient la norme pendant le mandat de Philippe Mellier. Lors d’une réception, Bruce Cleaver a affirmé que les sightholders, tout comme les pays producteurs, étaient ses partenaires. C’est un lien qu’il va falloir cultiver de manière active.
ALROSA a franchement affiché sa présence au salon. Une équipe renforcée, composée d’Andrey Zharkov, le PDG, d’Andrey Polyakov, le vice-président, et de Vladlen Nogovitsyn, le responsable des relations clientèle et du marketing, ainsi que d’autres encore, a parcouru les allées, rencontré des clients et affiché sa présence, chose qui ne s’était pas produite les années précédentes.
La société a adopté une nouvelle approche du marché, dans l’objectif de devenir le premier minier diamantaire. Une grande bannière a même été déployée à l’entrée du salon, annonçant « Nous sommes là. »
Cette grande évolution consiste à passer d’une société minière qui vend du brut à une société minière qui soit un acteur actif sur le marché. Dans le cadre de cette transformation, ALROSA a rencontré les grands détaillants de bijoux en diamants, comme Signet Jewelers et Chow Tai Fook, « afin d’étudier les possibilités d’organiser des événements marketing conjoints, destinés à promouvoir la consommation des produits en diamants. » Ces efforts de marketing commun sont grandement nécessaires et, pour ALROSA, cela représente un écart par rapport à son approche de minier « pur et dur ».
Une autre initiative intéressante est le programme de suivi des diamants, de la mine à la joaillerie. Il s’agirait d’un système permettant d’identifier chaque diamant, depuis son extraction jusqu’à sa vente au consommateur final. Le sujet est récurrent dans l’industrie diamantaire et plusieurs initiatives de ce type sont à l’étude, aussi bien pour les aspects techniques que pour le côté pratique. Il est intéressant de voir qu’un grand producteur comme ALROSA s’y implique. Nous devrions bientôt en savoir plus.