Il ne fait aucun doute que la plainte déposée par Lazare Kaplan International (LKI) contre les banque KBC et Antwerp Diamond Bank (ADB) le 23 décembre est le fruit de mûres réflexions et d’un recueil d’informations minutieux. Si l’on devait émettre une hypothèse, c’est que l’affaire véhicule aussi beaucoup d’émotions. Nous sommes bien loin des vifs affrontements ordinaires entre entreprises. LKI tente de prouver que les responsables de KBC et d’ADB se sont entendus avec le négociant en diamants israélien Erez Daleyot, sous la forme d’une « entreprise », un acte puni par la loi Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act, dite loi RICO.
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Il ne fait aucun doute que la plainte déposée par Lazare Kaplan International (LKI) contre les banque KBC et Antwerp Diamond Bank (ADB) le 23 décembre est le fruit de mûres réflexions et d’un recueil d’informations minutieux. Si l’on devait émettre une hypothèse, c’est que l’affaire véhicule aussi beaucoup d’émotions. Nous sommes bien loin des vifs affrontements ordinaires entre entreprises. LKI tente de prouver que les responsables de KBC et d’ADB se sont entendus avec le négociant en diamants israélien Erez Daleyot, sous la forme d’une « entreprise », un acte puni par la loi Racketeer Influenced andCorrupt Organizations Act, dite loi RICO.
Dans sa plainte, LKI apporte des détails sur les entreprises, leurs actionnaires, les comptes bancaires et des exemples de la façon dont les « entités Daleyot » auraient volé plus de 135 millions de dollars en diamants à LKI, puis utilisé cette somme pour rembourser les banques. Ces allégations sont accompagnées de diagrammes qui démontrent comment les banques auraient été impliquées dans le transfert de l’argent. L’opération entre dans le cadre des activités entrepreneuriales.
Selon les documents déposés au tribunal, Maurice Tempelsman, de LKI, allègue que les défendeurs et ces personnes ont, dans le cadre d’une association, mené à bien des opérations selon un mode d’action illégal, englobant blanchiment d’argent, corruption, fraude électronique et par courrier, transport international de biens volés et extorsion.
Cela vous rappelle un film ? Pas étonnant. À l’origine, la loi RICO a été élaborée pour contrecarrer la mafia aux États-Unis.
Le sénateur Pat Geary : M. Cici, y avait-il toujours un intermédiaire ?
Willis Cici : Un quoi ?
Le sénateur Pat Geary : Un tampon. Quelqu’un entre vous et vos prétendus supérieurs qui vous transmettait l’ordre de tuer quelqu’un.
Willis Cici : Ah oui, un tampon. Ah ça, y’en avait beaucoup de tampons dans la famille !
(Le parrain)
Ce sont ces mêmes « tampons » qui sont à l’origine de la loi RICO. Selon Me Jeffrey E. Grell, consultant sur la loi RICO et professeur agrégé adjoint à la faculté de droit de l’Université du Minnesota, « dans un procès ordinaire de la mafia au titre de la loi RICO, le défendeur (c’est-à-dire la cible de la loi RICO) est bien le parrain. « L’activité de racket » correspond aux activités criminelles dans lesquelles s’est engagée la mafia », comme l’extorsion ou la corruption. La loi a pour objet d’atteindre la personne au sommet, même si celle-ci n’a jamais personnellement fait preuve de comportement criminel. « Il est ainsi possible de mettre le parrain en prison s’il a exploité et géré une entreprise criminelle qui se livre à de tels actes », explique J. E. Grell.
LKI mentionne dans sa plainte qu’en octobre 2010, la société a clôturé ses différends avec ABN-AMRO, « y compris ceux relatifs à la participation présumée d’ABN-AMRO dans les opérations illégales ». En vertu de ce règlement, ABN-AMRO a versé plus de 50 millions USD et a rendu plus de 2 millions d’actions de LKI, soit environ 26 % des titres en circulation.
Après être parvenue à un règlement avec ABN, le 1er juillet 2011, LKI s’est entendue avec ses assureurs sur « certaines plaintes relatives au vol et au détournement de diamants de LKI », cette dernière recevant 60 millions de dollars supplémentaires.
Désormais, LKI est sur la piste de KBC et ADB. Dans la plainte, LKI cite comme « autres participants aux opérations illégales » la Banque Leumi, HSBC et LGT Bank. La voie semble toute tracée.
LKI prétend en outre avoir reçu un sight restreint du fait de la conduite illégale présumée des défendeurs.
Le point intéressant est que Daleyot lui-même est mentionné comme non défendeur dans la plainte. Ainsi, Maurice Tempelsman ne poursuivra pas Daleyot directement. Personne ne sait ce que nous réserve l’avenir.
Il semblerait que LKI progresse de façon audacieuse, par étapes et en visant le long terme.
L’histoire italienne du XVIe siècle est parsemée de situations dans lesquelles on « sortait les matelas », on se préparait à la bataille. À l’approche de la guerre, les familles déménageaient dans des logements sûrs. On sortait alors les matelas pour les soldats de garde. Cette expression a ensuite été popularisée par Mario Puzo dans son livre Le Parrain.
Arrêtons-nous un instant pour nous poser la question. Nous sommes parfois inquiets de la perception que peut avoir le consommateur, notamment suite aux décisions du Kimberley Process (soyons honnête, aux yeux du grand public, ces décisions sont tout à fait obscures). Peut-être devrions-nous maintenant vraiment nous préoccuper de la réaction des consommateurs face à un fait divers dans lequel de grandes sociétés diamantaires, associées à une série de grandes banques, seraient impliquées dans des activités de blanchiment d’argent, corruption, fraude électronique et par courrier, transport international de biens volés et extorsion.
Dans l’un des nombreux exemples fournis par LKI dans la plainte, les diamantaires « ont, dans le cadre d’un programme d’amnistie fiscale, ont surestimé la valeur de leur stock d’environ 82,5 millions d’euros (soit plus de 100 millions de dollars), environ 25 fois sa précédente valeur comptable ».
Comment les lecteurs des journaux considéreront-ils l’industrie du diamant s’ils découvrent un graphique qui prétend démontrer « la circulation de l’argent entre ADB et des sociétés écrans de Daleyot, à destination de projets immobiliers liés à KBC » ou lisent une plainte arguant que les banques ont canalisé de l’argent pour permettre à Daleyot d’acheter des avions privés et un yacht, le tout accompagné d’une liste des transferts d’argent avec les montants, dates et succursales des banques ?
Chaim Even-Zohar, en couvrant cette histoire dans sa chronique Diamond Intelligence Briefs de cette semaine, évoque l’image de Samson détruisant le temple… sur les Philistins et sur lui-même. L’image est belle et le jeu de mots intéressant (Samson le Tempelsman, « l’homme du temple » ). Les possibles dommages collatéraux pour l’industrie sont énormes, peu importe qui est en tort ou comment cette affaire et les éventuelles affaires futures seront réglées.
Au niveau de notre secteur, nous devons nous préparer à l’issue qui en découlera. Nous aussi devrons sortir les matelas, non pas parce que nous voulons la guerre, mais parce que la guerre vient à nous, une guerre au nom d’un produit unique et très précieux. Et ce ne sera pas pour une pyjama party.