Le plus grand acheteur au monde peut-il garantir la totalité de son approvisionnement ?
Quand j’ai entendu parler du processus de Kimberley pour la première fois en 2000, c’était comme si on tentait de réaliser l’impossible.[:] Je pensais : « Ils vont retracer chaque diamant brut dans le monde ? » « Comment vont-ils procéder ? »
Le processus de Kimberley a maintenant 13 ans et, tandis que nous pouvons passer la journée à parler de ses forces et de ses faiblesses, il retrace un pourcentage très élevé de diamants du monde entier et a instauré beaucoup plus de transparence qu’auparavant sur le marché. (Souvenez-vous, avant Kimberley, la Suisse était régulièrement mentionnée comme le pays de provenance des diamants.) Il n’a peut-être pas permis d’accomplir tout ce que ses concepteurs avaient imaginé, mais il a conduit à une industrie plus transparente.
Nous sommes à présent en 2016 et Signet Jewelers a annoncé un nouveau plan visant à garantir que la provenance de tous les diamants qu’il vend sera identifiée et vérifiée. Compte tenu du fait que Signet est le plus gros acheteur de taillé au monde et qu’il s’approvisionne aux quatre coins du globe, cela semble également être une prouesse.
Même les personnes qui sont derrière le protocole sur l’approvisionnement responsable en diamants de Signet admettent que le changement ne se fera pas du jour au lendemain. C’est un « travail en cours » qui a pour objectif « de s’améliorer en permanence », a déclaré le vice-président aux affaires générales, David Bouffard, lors d’une conférence de presse annonçant le protocole, hier, au siège des Jewelers of America.
Le nouveau plan est complexe, tout comme l’industrie, et nous y reviendrons en détail dans nos prochains communiqués. Dans les grandes lignes, le plan exige que les fournisseurs de Signet indiquent la provenance de leurs diamants et fassent vérifier leurs affirmations.
Alors que Signet a du pouvoir sur ses fournisseurs, il en a moins sur les fournisseurs de ses fournisseurs ; ce qui pose évidemment problème. Si un vendeur n’achète pas les diamants directement à la sortie de la mine (et la plupart ne le fait pas), le protocole exige qu’il fasse passer une évaluation de diligence raisonnable à son fournisseur et qu’il reçoive des garanties de sa part. Mais ce fournisseur peut avoir obtenu ces diamants de quelqu’un d’autre. Cette industrie reste vaste, variée et éparse. En Inde notamment, un gros pourcentage du marché est informel. Il sera difficile à retracer.
Le protocole se montre relativement indulgent à ce sujet, notamment pour les diamants plus petits. L’une de ces catégories est intitulée « provenances mixtes ». Elle est définie comme la catégorie où « la provenance d’un certain pourcentage de diamants est identifiée et vérifiée. » On en déduit que le pourcentage restant ne sera pas retraçable.
En effet, comme l’a souligné le président de la Diamond Manufacturers and Importers Association, Ronald Vanderlinden, invité à la conférence de presse, il s’agit d’un « système de garantie » et non d’une « chaîne de traçabilité ».
La société souhaitait éviter certaines controverses qui ont entouré ces initiatives par le passé. Toutes les grandes associations de diamantaires ont été consultées au préalable au sujet du plan. Ainsi, même les groupes habituellement sceptiques, comme la World Federation of Diamond Bourses, l’ont approuvé. La Directrice exécutive de l’Initiative diamant et développement, Dorothee Gizenga, a téléphoné et exprimé sa gratitude envers Signet, grâce à laquelle il est en effet possible d’obtenir des diamants artisanaux de manière responsable. Chaim Even-Zohar, souvent très critique, a qualifié – également au téléphone – l’idée de « fantastique », même s’il émet encore des réserves.
David Bouffard a soulevé le point suivant à maintes reprises : Signet s’est déjà engagée dans cette voie auparavant. Dès l’application de la section 1502 de la loi Dodd-Frank, Signet a examiné sa chaîne d’approvisionnement en or. En collaboration avec ses fournisseurs, elle pense à présent pouvoir justifier la provenance de 99 pourcent de l’or qu’elle utilise. La société n’a perdu aucun vendeur pendant le processus, ajoute-t-il.
Nous verrons si les fabricants de diamants sont aussi souples. Les nouvelles exigences exerceront probablement des pressions supplémentaires sur les vendeurs qui se situent au milieu de la chaîne d’approvisionnement et en sont déjà le maillon le plus sous pression financièrement. Certaines de ces exigences (audits et tenue de registres) coûteront ici de l’argent. Les gros détaillants comme Signet exercent sans cesse des pressions sur leurs vendeurs qui vont bien au-delà de ces exigences. Ce ne sera qu’un élément de plus.
Un participant à la conférence de presse, Michael Steinmetz, PDG de Leo Schachter New York, a indiqué qu’il trouvait les coûts « négligeables » pour l’instant.
Un autre fournisseur anonyme était cependant beaucoup plus méfiant. Oui, Signet a donné des indications et accompagne ses partenaires pour se conformer à ses nouveaux impératifs. Mais le fournisseur en question avait prévu que cela s’ajouterait à ses frais. Signet a-t-elle prévu des allocations financières pour cela ? Non, et notre témoin ne s’y attendait pas. C’est simplement contraire aux règles du jeu de l’ensemble du secteur de la vente de détail.
Comme avec la De Beers, si Signet ne veut pas être confrontée à une révolte du marché intermédiaire, elle devra peut-être assumer en partie la charge financière. Comme dans toute entente commerciale, ce sera du donnant-donnant.
Cela prendra aussi du temps. Néanmoins, il est faux d’affirmer, comme certains le font encore, qu’une plus grande transparence est impossible, parce que la chaîne d’approvisionnement en diamants est vaste et complexe. A ce stade, l’industrie n’a vraiment pas d’autre choix.
Un autre invité à la conférence, Erik Jens, le chef du service diamants et joaillerie d’ABN AMRO, a qualifié le programme comme suit : « un grand pas en avant vers la transparence » qui améliorera la « bancabilité » du secteur.
Bien sûr, Jen est non seulement l’un des banquiers les plus importants au service de l’industrie diamantaire, mais aussi l’un des rares banquiers qui la finance encore, alors qu’une longue liste d’autres banquiers ont décidé que le risque n’en valait plus la peine. Le programme peut en effet entraîner des frais supplémentaires et de la paperasse pour les fournisseurs de Signet. Sur le long terme, c’est manifestement la voie que doit suivre le secteur.