L’industrie connaît une telle concurrence que tout le monde réclame un avantage, grand ou petit. Cette course pour s’améliorer présente quelques aspects fort positifs, notamment un important investissement de la R&D dans la technologie, voire l’analyse des prix. [:]Lorsqu’on lui a demandé ce qui le tenait éveillé la nuit, un fabricant m’a dit une fois : « Je cherche comment améliorer mon rendement de 3 % sur 2-3 rondes. » Une petite amélioration technologique, c’est la garantie d’un avantage concurrentiel issu d’une production plus rentable.
Cet élan d’amélioration de la compétitivité prend racine dans des entreprises individuelles et se propage jusqu’aux centres tout entiers. Les membres de la bourse de Dubaï sont exonérés de l’impôt sur le revenu depuis 50 ans. En Inde, les banques sont tenues de mettre de côté un certain pourcentage des crédits aux entreprises pour soutenir les exportations – y compris celles de diamants.
À Anvers, cela n’est pas passé inaperçu, notamment après la fuite d’entreprises vers d’autres pays, soumis à un régime fiscal plus favorable. En Belgique, les sociétés sont soumises à un impôt sur les bénéfices de 33,99 %. Avec, à ses talons, des centres diamantaires concurrents, comme Dubaï ou Hong Kong (où l’impôt sur les sociétés s’élève à 16,5 %), les craintes sont compréhensibles.
Imaginez le scénario suivant : un diamantaire a son siège à Anvers et ses installations de fabrication à Mumbai, où il bénéficie d’un financement compétitif des exportations, un bureau commercial à Dubaï, qui dessert la région du Golfe, et une autre agence commerciale à Hong Kong, qui gère la fabrication en Chine et les ventes régionales. Pourquoi voudrait-il rapatrier ses bénéfices en Belgique et payer 34 % d’impôts, alors qu’il peut les laisser à Dubaï et à Hong Kong et profiter d’une fiscalité avantageuse ?
Dès lors, les sociétés anversoises de ce type préfèrent conserver un minimum de leurs revenus en Belgique.
La situation s’est encore exacerbée il y a quelques années, après une longue série de raids policiers dans des sociétés diamantaires et le gel consécutif de leurs activités. Les raids, de même que les enquêtes, les négociations et les procès qui ont suivi, s’éternisent de façon insoutenable, imposant un nouveau fardeau sur les échanges. Les autres centres (y compris Israël) en ressortent d’autant plus attractifs.
C’est précisément cette fuite des entreprises qui inquiète les responsables diamantaires d’Anvers. Ils ont imaginé une série d’initiatives pour améliorer la compétitivité du centre. L’une d’elles vise à combattre la fuite des capitaux – et des activités – vers d’autres centres. Connue sous le nom de taxe sur le carat, elle suggère qu’au lieu de payer une taxe importante sur les sociétés, les diamantaires règlent plutôt un impôt sur le chiffre d’affaires.
L’idée, qui n’est pas nouvelle dans l’industrie – elle est utilisée en Israël et défendue en Inde depuis plusieurs années –, suppose que les diamantaires règlent des impôts en fonction de leur volume d’activité – qu’ils fassent un bénéfice ou pas. Le but est qu’Anvers demeure le centre d’activité des diamantaires et qu’il ne soit plus nécessaire, ou du moins urgent, de transférer les bénéfices ailleurs.
Selon le Antwerp World Diamond Centre (AWDC), le régime fiscal actuel est imprévisible en raison des évolutions constantes des lois locales, de la législation nationale et des nouvelles réglementations – une autre raison de défendre un nouveau régime fiscal clair, transparent et prévisible.
D’une certaine façon, les sociétés belges connaissent déjà les inconvénients d’une taxe sur le chiffre d’affaires – un impôt sur les revenus, qui est prélevé même lorsque la société déclare des pertes. Selon le AWDC, il existe un plan fiscal, assorti d’une méthodologie de contrôle spéciale, développée entre le secteur diamantaire et le ministère des Finances, et qui a débuté en 1996.
Ce plan prévoit qu’une société, qui fait commerce des diamants, soit taxée sur ses bénéfices réels mais que ceux-ci ne peuvent pas être inférieurs à un pourcentage fixe des ventes. Autrement dit, un certain niveau de taxation est appliqué, même si une société perd de l’argent ou si sa marge bénéficiaire est inférieure à un certain seuil. Ce niveau est établi au cas par cas, ce qui empêche toute prévision sérieuse de la fiscalité.
Selon une évaluation, la Belgique perd, chaque année, environ 50 millions d’euros en impôts sur les bénéfices qui ne sont pas rapatriés dans le pays. Selon cette évaluation, et si l’on considère un impôt sur les bénéfices de 33,99 %, ce sont environ 147 millions d’euros de bénéfices qui sont retenus hors du pays.
Actuellement, personne ne prend le risque d’avancer des chiffres dans le débat sur la taxe sur le carat. Toutefois, toutes les parties comprennent que les revenus de la Belgique issus de l’industrie du diamant ne doivent pas diminuer.
Cet argument est essentiel pour convaincre les politiciens locaux de poursuivre cette idée. L’idée reçoit le soutien du ministre des Finances, Koen Geens (CD&V). Selon des comptes-rendus, il a « demandé à son équipe d’enquêter sur la viabilité de cette taxe sur le carat et de savoir comment l’appliquer » et ce en dépit du fait que l’industrie diamantaire n’est pas populaire dans le pays. Beaucoup ont un sentiment négatif à son égard et la presse locale se livre souvent à un véritable lynchage médiatique.
Cependant, l’industrie diamantaire représentant 5 % des exportations de la Belgique et 15 % de ses exportations en dehors de l’UE, aucun dirigeant politique sain d’esprit ne veut la voir décliner ou disparaître. Koen Geens doit soumettre la loi à la Commission européenne avant qu’elle ne puisse être appliquée en Belgique. Toutefois, le premier obstacle à franchir se trouve au niveau de la politique locale.
Le 25 mai, les électeurs participeront à ce que l’on qualifie à Anvers de « mère des élections », avec des candidats à des mandats flamands (régionaux), belges (fédéraux) et européens. Les problèmes économiques du pays figurent en bonne place dans les professions de foi.
Le 5 mai, le AWDC a organisé un débat en prévision des élections, à la Beurs voor Diamanthandel d’Anvers. Les candidats des grands partis se sont exprimés et ont répondu aux questions sur le secteur. Ils ont donné leur avis sur l’industrie. Des représentants des partis Open VLD, CD & V et N-VA ont fait part d’un soutien consensuel inattendu à la taxe sur le carat. David Geerts lui-même, le représentant du Sp.a, le parti socialiste qui a fait campagne contre la taxe, a rejoint le camp des « pour ». L’unique objection est venue de Meyrem Almaci du parti Groen (vert), qui s’est déclarée en faveur d’une réduction des coûts du travail et du développement d’une initiative visant à améliorer l’image du secteur, par exemple avec un label Diamant équitable.
Au-delà de ce qui ressemble à un soutien politique, une taxe sur le carat complèterait la demande d’IFRS de la De Beers, faite à ses sightholders. L’un des aspects de l’IFRS, qui soulève actuellement des objections, est que les bénéfices d’une filiale ne sont pas reconnus au titre de l’IFRS, sauf s’ils sont transférés à la société-mère. Une baisse de l’impôt sur les bénéfices rend la question moins pénible.
La CE demeure un obstacle majeur, car la taxe sur le carat peut être considérée comme une faveur accordée au secteur, chose qui va à l’encontre de l’esprit et de la lettre des lois et des principes de la CE. La communauté a tendance à refuser le traitement économique préférentiel de certains secteurs. L’approbation de la taxe au tonnage confère pourtant une lueur d’espoir.
Dans ce système, les bénéfices tirés des expéditions maritimes peuvent être taxés sur une base forfaitaire, en fonction du tonnage des navires qui génèrent des bénéfices. La CE surveille de près cette taxe et n’hésite pas à intervenir si elle désapprouve la façon dont elle est perçue. Récemment, elle a critiqué l’Espagne et la France pour leur méthode d’application de la taxe ; je doute que l’industrie apprécierait de voir la CE la surveiller de trop près.
Il faudra du temps avant que la taxe sur le carat ne soit finalisée, et plus encore avant que la loi ne soit promulguée. Toutefois, cette initiative majeure doit aller de l’avant car le cœur même de l’industrie doit constamment se réinventer pour garder toute sa pertinence dans un monde en constante évolution.