Il est grand temps de continuer notre longue série sur les miniers ! Nous sommes arrivés à une période de changements indéniables au sein de l’industrie du diamant et la position des miniers est… chahutée.[:]Après la De Beers, dont l’oligarchie a été ébranlée en 2015 et qui est en train de revoir sa copie pour les années à venir ; après ALROSA, challenger ambitieux qui entend ne rien laisser de sa part du gâteau, tournons-nous vers les « petits frères » en embuscade, dont Rio Tinto 3ème minier en diamants au monde…
ALROSA, la De Beers, Rio Tinto, Dominion Diamond Corp. et Petra Diamonds compteraient, ensemble, pour près de 70 à 75 % du volume de diamants bruts produits au monde.
Même si les volumes proposés ne sont pas comparables avec ceux d’ALROSA et de la De Beers, Rio Tinto n’en reste pas moins reconnu comme un minier en diamants bruts d’envergure, 3ème de la liste des grands fournisseurs mondiaux.
Rio Tinto, des diamants… mais pas que !
Rio Tinto, groupe minier australien, est très connu (dans notre industrie au moins !) pour ses diamants roses d’exception, issus de sa mine d’Argyle en Australie. Mais si la plupart des actifs de Rio Tinto sont situés en Australie et au Canada, le minier, fondé en 1873, est implanté partout dans le monde, dans plus de 40 pays. Sa mine historique (cuivre), qui donne son nom au groupe, était située en Andalousie ; elle est aujourd’hui fermée.
La première grande distinction qui peut ainsi se faire entre Rio Tinto d’une part, la De Beers et ALROSA d’autre part, c’est que l’australien ne limite pas son activité minière à l’extraction des diamants. Le groupe Rio Tinto compte effectivement 6 domaines d’activité principaux, répartis entre l’ensemble de ses filiales : Aluminium (avec Alcan par exemple), Fer, Exploration, Technologie et innovation, Cuivre, Diamants et autres minéraux, ce qui en fait un des principaux groupes miniers au monde1. Finalement, en fait de « petit frère », Rio Tinto ne peut accepter cette appellation que pour son activité diamantaire, en comparaison avec les volumes vendus par les deux principaux miniers en diamants ! La société est une dual-listed company (société à double cotation), établie en décembre 1995, entre Rio Tinto plc et Rio Tinto Limited, la première cotée à la Bourse de Londres, la deuxième à la bourse australienne ; l’avantage de ce type de structure étant un partage des risques et des bénéfices entre les deux partenaires. Rio Tinto a, ainsi, son siège à Londres et son pôle exécutif à Melbourne.
Une actualité mouvementée, une stratégie à revoir
Sur fond de chute du cours des minerais de fer et de cuivre notamment, le secteur minier en général connaît aujourd’hui des difficultés certaines et Rio Tinto, en pleine restructuration, n’a pas été épargné. Pour faire un point rapide sur les résultats du groupe, le bilan annuel de la compagnie annonce un chiffre d’affaires (sales revenues) pour 2014 de 47,7 milliards de dollars US, avec une baisse des prix mais une augmentation des volumes de vente. Les diamants quant à eux avaient atteint un résultat opérationnel de 401 millions de dollars, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2013 (selon le rapport toujours : « des volumes plus élevés et des coûts inférieurs ont plus que compensé les prix inférieurs du portefeuille de minéraux. »)
L’année 2015 s’est néanmoins avérée pour le moins difficile. Selon le magazine français Capital, Rio Tinto aurait subi, en 2015, « une perte nette annuelle de 866 millions de dollars […], alimentée par 1,8 milliard de dollars de dépréciations » et aurait ainsi « renoncé à son engagement de maintenir ou d’augmenter son dividende chaque année en raison de ses perspectives moroses » et d’un marché pour le moins incertain.
Les conséquences attendues sont (et ceci concerne le secteur minier dans son ensemble là-aussi) une politique de réduction des dépenses et coûts d’exploitation. À noter cependant, Rio Tinto s’est attaché à baisser sa dette depuis 3 ans environ (chiffres dans le rapport annuel en lien ci-dessus).
Le 27 février dernier, Rio Tinto a annoncé sa décision de « rationnaliser » ses actifs en 4 groupes : Aluminium, Cuivre & Charbon, Diamants & minéraux et Minerais de Fer « avec effet immédiat ».
La division diamants (extraction, vente et marketing) a subi de plein fouet la restructuration du groupe. Jean-Marc Lieberherr, directeur général de la division diamantaire de Rio Tinto et premier président du Conseil de la DPA depuis octobre 2015, a démissionné de ses deux postes toute fin janvier début février 2016. C’est Simon Trott qui lui a succèdé, le 18 janvier dernier, à la tête de la division diamantaire (Sel et Uranium également) de Rio Tinto (Alan Davies en reste le directeur exécutif et aucun changement dans la politique n’a été annoncé.) Stephen Lussier, vice-président de la De Beers, président directeur général de Forevermark, et anciennement vice-président de la DPA, le remplace pour sa part au poste de président. Jean-Marc Lieberherr ne quitte pas totalement la DPA puisqu’il en devient (mi-février 2016) directeur général.
En date du premier mars, d’autres changements ont été annoncé au sein du conseil d’administration de Rio Tinto.
Revenons à nos diamants
Aux alentours des années 2000, Rio Tinto lance une série d’acquisitions en Australie et devient propriétaire exclusif de la mine Argyle, en fonction depuis 1983 et qui aurait produit plus de 800 millions de carats de diamants bruts. La mine d’Argyle est principalement connue pour ses diamants de couleur, en particulier des diamants roses exceptionnels (90 % environ de la production mondiale).
En dehors de l’Australie, Rio Tinto détient notamment 60 % de l’importante mine de Diavik2, découverte vers 1992 et dont la production a démarré en 2003, dans les Territoires Nord-Ouest, au Canada. Le groupe détenait jusqu’à il y a peu 78 % de la mine de Murowa au Zimbawe (vendue à l’été 2015).
En 2012, Rio Tinto avait annoncé vouloir vendre ses mines de diamants, mais faute d’acheteurs, le groupe en est resté propriétaire.
Rio Tinto mène également des projets d’exploration diamantifère : en Inde, à Bunder (état du Madhya Pradesh), des cheminées diamantifères ont ainsi été découvertes. En 2012 une collection de joaillerie voit d’ailleurs le jour, The Courageous Spirit, conçue par la designer Reena Ahluwalia et sertie de diamants de Bunder.
Les bureaux de vente de diamants de Rio Tinto sont basés à Anvers, mais des bureaux secondaires sont aussi installés à Mumbai (depuis 1989 ; les 2/3 des diamants vendus par Rio Tinto sont taillés en Inde), New-York (2007), Hong-Kong (2010). La division Rio Tinto Diamonds vend elle aussi, à l’image de la De Beers et d’ALROSA, la majorité de ses diamants à l’aide d’un système de clients privilégiés, le Select Diamantaire programme (10 ventes par an). Des accords d’approvisionnement sont signés avec des clients principaux sélectionnés. Ces derniers peuvent aussi bénéficier des ventes sous forme de tenders, mais les entreprises bénéficiaires de ce canal de vente sont plus nombreuses (comme chez les deux principaux miniers là-aussi).
Au premier trimestre 2015, Rio Tinto, malgré un marché difficile, aurait accéléré sa production via les activités souterraines d’Argyle, à hauteur de 34 % pour cette seule mine ; l’ensemble de la production en diamants du minier aurait augmenté d’une quarantaine de pourcents pour l’année 2015. Les coûts de production (baisse des coûts de l’énergie par exemple) étant moins élevés, ce choix stratégique en valait bien un autre !
Le succès des tenders de diamants roses
Si les diamants proposés par Rio Tinto sont de moindre qualité (mais d’une valeur intéressante !) que ceux de la De Beers, cette allégation ne tient pas pour les rares et exceptionnels diamants roses ou de couleur fantaisie haut de gamme, extraits d’Argyle. Porteur de valeur, ils se sont largement distingués lors des « Special tenders » de Rio Tinto, prévus pour les diamants très haut de gamme. La société aurait proposé 65 diamants taillés roses et rouges d’exception issus d’Argyle en 2015, avec des prix en augmentation. Ils sont plus que jamais considérés comme un « investissement » – à voir s’il est judicieux – même si les acheteurs qui peuvent se le permettre sont aussi rares que les diamants. La mine d’Argyle est appelée à fermée d’ici quelques années… ce qui ne fera que confirmer l’extrême rareté de ses diamants roses ! Et après ?
À lire pour connaître les dernières actualités sur la production mondiale de brut :
La production de diamants en hausse – perspectives, Avi Krawitz, Rapaport
1. Les journaux français l’annoncent comme étant le deuxième minier au monde.
2. Les 40 % restants sont la propriété de Dominion Diamond Corporation anciennement Harry Winston Diamond Mines Ltd.
Photos © Rio Tinto Diamonds.