Lorsque WikiLeaks a révélé le trésor de communications du Département d’État américain en 2010, les journalistes de tous horizons y ont trouvé matière à exploiter dans leur domaine. [:]Nous avons eu accès à des rapports d’ambassadeurs au Zimbabwe, qui traitaient du commerce des diamants dans le pays, avec principalement des allégations de corruption. Certains documents évoquaient également la base de la politique américaine à l’égard du pays : le recours à des sanctions sur les diamants pour faire pression sur le gouvernement.
Quelques années sont passées ; Edward Snowden est entré en scène. Cet employé d’un sous-traitant de la National Security Agency/Central Security Service (NSA) n’a pas révélé de données particulières. Il a étalé au grand jour le type d’informations que l’agence de renseignement, chargée de déchiffrer les signaux de toutes sortes, suivait, collectait et analysait.
Comble de l’ironie, en dévoilant l’ampleur stupéfiante du travail réalisé, Edward Snowden a montré que lui et la NSA partageaient au moins une mission : le désir de recueillir des informations afin de faire connaître les intentions de tiers ; en cela, ils entendaient améliorer la capacité à prendre de meilleures décisions. Le client de Snowden est le public, celui de la NSA est le gouvernement américain.
Évidemment, certains ont intérêt à ce que ces renseignements soient révélés, qu’il s’agisse de juteuses informations sur les intrigues internationales ou des outils de collecte des données. D’autres sont horrifiés par de telles expositions. La majeure partie du public se situe probablement entre ces deux extrêmes. Toutefois, avant de juger, rappelons-nous une chose : nous voulons tous des informations, nous en avons tous besoin ; d’ailleurs, nous en amassons tous.
Cadres, journalistes, analystes ou client attendant son tour chez le barbier, nous récoltons tous activement des données. Nous en négocions aussi régulièrement. Quel grossiste en diamants n’aimerait pas connaître les prix que pratique son concurrent ? Non seulement lui, mais aussi l’ensemble de l’industrie : miniers, détaillants et institutions financières veulent obtenir des données.
Tous les journalistes veulent savoir ce qui s’est dit à huis clos pour le rapporter à leurs lecteurs. Et quel consommateur n’aimerait pas apprendre d’avance ce qu’envisagent la De Beers, les autorités fiscales ou les législateurs ? Après tout, cela a un impact sur nos vies et nos moyens de subsistance.
Toutefois, lorsque l’on dévoile de l’information, les conséquences peuvent être préjudiciables. Comment mettre en balance le prix que quelqu’un doit payer, suite à une révélation, et le bénéfice qu’en tirent les autres ? Parfois, c’est évident. Tout le monde veut connaître d’avance les mesures fiscales envisagées, sans que cela soit néfaste. Parfois, il y a un prix à payer, et il faut en tenir compte. Les journalistes et les rédacteurs-en-chef reçoivent fréquemment des demandes, des supplications, voire des menaces, pour supprimer ou modifier des informations publiées car quelqu’un a jugé qu’elles nuisaient à son nom, son entreprise ou à une transaction quelconque. La situation est loin d’être amusante ; il convient de procéder avec prudence.
Il n’existe que trois raisons principales de publier de l’information. Le lecteur doit être informé, intéressé ou diverti. Pratiquement tout ce qui est publié relève de l’une ou de plusieurs de ces catégories. Les gens ne lisent presque rien d’autre. Le fait est que le bénéfice de la publication l’emporte sur le mal qui est fait. Est-ce toujours le cas ? Je n’en suis pas sûr.
Yom Kippour a lieu ce week-end. Il s’agit du Jour du Grand Pardon juif. Souvent, la révélation des actions et des intentions des grands acteurs du marché a du sens. Pourtant, certains se sentent offensés. L’heure est à l’introspection, examinons nos propres actions envers les autres. Avons-nous agi de façon équitable ? Les peuples autochtones des régions éloignées, où sont extraits l’or et les diamants, reçoivent-ils une juste part ? Tous les membres de la filière – notamment ceux qui sont payés le moins cher, donc les plus faibles – sont-ils payés dans les temps, donnons-nous en retour aux communautés ?
Il ne s’agit pas de simples questions rhétoriques, ni d’un appel à se tenir la main pour chanter Kumbaya. Il s’agit de l’essence même de faire ce qui convient – en affaires, dans le journalisme et en tant que membre de la société.