Quel sera l’héritage de Mokgweetsi Masisi pour l’industrie du diamant ?

Avi Krawitz

Le président sortant du Botswana, Mokgweetsi Masisi, avait fait forte impression lors de sa première rencontre avec l’industrie du diamant au salon JCK Las Vegas en 2019.

À peine un an après son entrée en fonction, ce dirigeant réfléchi s’était révélé être un éloquent et ardent défenseur des diamants naturels. Il s’était alors exprimé devant un public américain à propos de l’impact de l’industrie sur son pays et de l’approche responsable adoptée par le Botswana pour optimiser la valeur de ses précieuses ressources.

Les diamants permettent à tous les citoyens botswanais de bénéficier de soins de santé gratuits et d’une éducation gratuite, de la maternelle à l’université, a-t-il expliqué. Ils assurent les ressources nécessaires à la construction des routes, des hôpitaux et des écoles. Grâce à eux, le pays, autrefois l’un des plus pauvres d’Afrique, est devenu l’une des nations à la croissance la plus rapide et l’une des mieux gérées.

« L’achat de nos diamants est en soi un acte d’engagement envers notre pays – où que vous soyez, vous portez un petit bout de Botswana sur vous, a déclaré Mokgweetsi Masisi dans son discours d’ouverture lors d’un événement de De Beers pendant le salon. Prenez-en soin car cela est important pour nous. Utilisez-les à bon escient car c’est ainsi que nous avons agi. »

Cette déclaration semblait revêtir un caractère personnel pour le président et son épouse, Neo Jane Masisi, ancienne employée de Debswana qui a également charmé la foule de Las Vegas par son charme, son élégance et son message percutant.

Cette visite était d’une importance capitale pour Mokgweetsi Masisi, ainsi que pour son pays, dont les citoyens reconnaissent l’importance des diamants pour la croissance économique. Elle était particulièrement significative pour l’industrie du diamant, qui commençait à s’intéresser plus sérieusement à la provenance des approvisionnements.

Le Botswana était et demeure le symbole du concept « Diamonds Do Good ».

Une mauvaise perception

Cinq ans plus tard, en 2024, Mokgweetsi Masisi a de nouveau assisté au salon de Las Vegas. Cette fois-ci, l’ambiance était tout autre, même si le décor et l’exposition étaient tout à fait appropriés. Les bruits de couloir voulaient qu’il ait fait le déplacement pour finaliser l’accord marketing de 10 ans et le contrat de bail minier de 25 ans conclus avec De Beers.

Ces deux accords auraient dû être renouvelés en 2020, mais les négociations ont été reportées, semble-t-il en raison de la pandémie. La signature a été retardée à de nombreuses reprises en raison de désaccords flagrants sur les conditions, même si les parties sont restées discrètes sur les motifs de ces prorogations.

Une entente préalable – autrement dit, une lettre d’intention non contraignante – avait été annoncé en grande pompe en octobre 2023. Or, le salon de Las Vegas s’était clôturé et le document officiel n’avait toujours pas été signé.

En lieu et place de la séance photo attendue pour l’annonce de l’accord, Mokgweetsi Masisi a occupé son temps à Las Vegas à parler de diamants avec les professionnels et les influenceurs, et à réaliser des vidéos TikTok pour faire tomber les idées reçues sur les diamants naturels. Il semblait en réalité un peu trop accessible pour un chef d’état.

L’axe ne paraissait pas adéquat. L’industrie aurait préféré davantage de clarté au sujet de De Beers. Il est aussi possible que les conditions n’aient pas convenu aux Botswanais, confrontés à un taux de chômage de 27 % et à des prévisions de croissance économique d’à peine 1 % en 2024 – principalement en raison de l’effondrement de la demande de diamants au niveau mondial.

Mokgweetsi Masisi a perdu les élections présidentielles organisées au cours de la semaine du 28 octobre, la première défaite du parti démocratique du Botswana depuis l’indépendance du pays en 1966. De toute évidence, les votes ont été influencés par plusieurs thématiques, mais les retards sur le marché du diamant, ainsi que l’absence d’accord avec De Beers figuraient sans aucun doute parmi les questions centrales.

Des relations entremêlées

La dynamique interne du monde politique et économique du Botswana est un sujet qui dépasse le cadre de cette rubrique.

L’objectif ici serait plutôt d’évoquer les enjeux sur le marché du diamant et de défendre l’idée d’une relation mutuellement bénéfique entre le gouvernement du Botswana et De Beers, et avec l’industrie du diamant, sous l’égide du nouveau président Duma Boko.

Après tout, le Botswana est le deuxième producteur de diamants bruts, avec 23 % de la production mondiale en volume et 26 % en valeur, selon les données du Kimberley Process de 2023. Seule la Russie affiche des niveaux supérieurs.

Or, le Botswana exerce une influence plus importante sur le marché, étant donné la présence de De Beers dans le pays et la nature de son partenariat avec le gouvernement.

Le Botswana détient 15 % de De Beers Group, le reste appartenant à Anglo American. De Beers et le gouvernement possèdent par ailleurs des participations égales dans la société minière Debswana, ainsi que dans DTC Botswana (DTCB), qui trie et évalue la production de Debswana. On estime ainsi que 80,8 % des revenus de la société reviennent au gouvernement.

Le dernier accord marketing de 10 ans, signé en 2011, a permis la création d’Okavango Diamond Company (ODC) qui était chargée de mener des ventes indépendantes de diamants bruts pour le compte du gouvernement. Il a également amené De Beers à déplacer ses opérations d’assemblage et de ventes, de Londres à Gaborone, et à affecter une plus grande part de l’offre de diamants à la valorisation sur place. Ce faisant, il a incité les sightholders à ouvrir des usines dans le pays.

Actuellement, plus de 40 sociétés de taille sont en activité au Botswana. Un grand nombre d’entre elles s’y sont installées ces deux dernières années, sachant que, dans le cadre du nouvel accord, davantage de marchandises iraient en priorité à la valorisation locale.

Des signes encourageants

Les enjeux étaient donc importants pour le Botswana lors des négociations de l’accord. Mais les intérêts de De Beers étaient également significatifs. La société a ses limites et doit pouvoir retirer certains avantages de la relation.

Depuis les résultats des élections, des rumeurs indiquent que De Beers s’impatientait face au président et souhaitait repenser l’accord. Mokgweetsi Masisi en demandait toujours plus. Effectivement, je me serais montré plus courageux si j’avais rédigé cet article avant les élections – lorsque Mokgweetsi Masisi était encore le décideur en fonctions.

La suite est aux mains de Duma Boko, un diplômé en droit de Harvard qui a remporté une écrasante victoire surprise le 31 octobre. Conscient des tensions, Duma Boko a déjà déclaré sa volonté de conclure l’accord avec De Beers au plus tôt, a rapporté Reuters.

On peut y voir des signes encourageants pour l’industrie du diamant. Si cette saga interminable trouvait enfin une issue, un point d’incertitude majeur pour le marché disparaîtrait, parmi tous ceux auxquels il est actuellement confronté.

La nouvelle donne

L’industrie n’a jamais réussi à déterminer ce que le Botswana de Mokgweetsi Masisi attendait de plus de la part de De Beers. L’entente préalable a repris certaines des concessions généreuses accordées par la société, qui comprenaient plusieurs volets, comme je l’ai écrit dans un article de décembre dernier pour Rapaport, A New Dawn for Botswana.

Pour le Botswana, le point central de l’accord est la création du Diamonds for Development Fund. L’objectif de ce fonds sera d’identifier les secteurs, en dehors de la chaîne de valeur du diamant, qui soutiennent le plan de développement national du gouvernement. De Beers s’est engagée à y apporter, en première intention, un milliard de BWP (75 millions de dollars) et jusqu’à 10 milliards de BWP (750 millions de dollars) au cours des dix années suivantes.

En matière de production, la finalisation du bail minier permettrait aux actionnaires de De Beers de prendre d’importantes décisions de développement et d’investissement, et notamment à propos de l’extension des opérations souterraines de la mine Jwaneng. La question se pose de savoir si Anglo American sera prête à accepter des projets aussi gourmands en capitaux, étant donné sa volonté de se désengager de la société. J’ignore également quelle sera l’influence de ces décisions sur la valorisation de De Beers.

L’accord de marketing et de ventes sur 10 ans permettrait à ODC d’augmenter sa part dans la production de Debswana, qui passerait de 25 % à 30 %, dès la signature, puis de la faire passer progressivement à 40 % pour finir par atteindre 50 % au cours des dix prochaines années.

Cela représente une nouvelle source de revenus dont le gouvernement serait directement bénéficiaire, au détriment de De Beers, qui perdrait cet approvisionnement et les ventes associées. De Beers a déclaré en septembre son intention de réduire le nombre de ses sightholders à partir de la prochaine période contractuelle qui débute en 2026 en raison de « prévisions de disponibilités réduites dans le système d’approvisionnement des sightholders ».

Pendant ce temps, avec davantage de diamants à sa disposition, ODC réfléchit à son propre système de contrats. La société pourrait alors affecter davantage de diamants bruts aux usines de taille locales afin de renforcer le secteur de la valorisation du Botswana.

L’importance de HB

D’autres éléments figuraient également à l’étude, au-delà de ceux rendus publics dans l’entente préalable. Il est vrai que le sujet fait beaucoup parler.

Certes, Mokgweetsi Masisi a tenté d’accroître l’influence du gouvernement au sein de l’industrie du diamant. Une grande part de ces efforts concernaient Karowe, la seule mine du Botswana n’appartenant pas à Debswana, ainsi que les intentions du diamantaire HB Antwerp dans le pays. Personne ne sait encore si l’attention portée à ces acteurs plus modestes était judicieuse.

En mars 2023, le gouvernement a accepté d’acquérir une participation de 24 % dans HB Botswana, la filiale locale de HB Antwerp. Le Trésor a consacré 890 millions de BWP (66 millions de dollars) de son budget 2024-2025 à l’acquisition. Pour sa part, HB s’est engagée à construire une usine ultramoderne à Gaborone afin d’améliorer les opérations de taille sur place.

Il semblerait que la direction de HB ait été entendue par le président sortant. Selon certaines rumeurs, Mokgweetsi Masisi souhaitait en quelque sorte reproduire avec De Beers l’accord conclu entre HB et Lucara Diamond Corporation, propriétaire de Karowe. Dans le cadre de cet accord, Lucara vend en exclusivité à HB l’ensemble de ses Specials – les pierres brutes de plus de 10,8 carats. Par ailleurs, la société minière reçoit une part des bénéfices issus des ventes du taillé obtenu par HB.

Un accord de partage des bénéfices ou une clause d’exclusivité relative aux marchandises de Debswana serait bien plus complexe, étant donné l’échelle de la production de Debswana.

Par ailleurs, les négociants qui évoluent dans le segment des grosses pierres ont critiqué l’accord Lucara-HB qui ferait baisser les prix en vigueur pour ces marchandises. Le PDG de Lucara, William Lamb, a, dès son entrée en fonctions en septembre 2023, annulé l’accord, invoquant une rupture de contrat par HB. Cependant, les parties l’ont renouvelé en février 2024.

De son côté, HB n’a pas encore entamé la construction son usine de Gaborone, selon des sources de l’industrie locale. Quant à l’acquisition des parts de HB par le gouvernement, l’opération ne semble pas avoir progressé.

Duma Boko inscrira sans aucun doute HB sur sa liste de projets en lien avec les diamants, même si ce ne sera pas une priorité.

Une opportunité manquée

Le président devra plutôt s’atteler à aplanir les relations avec De Beers. L’opération devient plus urgente, compte tenu du projet de cession de la société de diamants par Anglo American.

Le Botswana est un élément central de l’accord, étant donné sa participation de 15 % et son implication intriquée dans les différentes filiales de De Beers. Une structure aussi complexe n’attire guère les investisseurs. Ceux-ci voudront avant tout recevoir la garantie qu’il sera facile de travailler avec cet éventuel partenaire gouvernemental et qu’il s’adaptera à la vision à long terme de la société – et pas seulement du pays.

Le Botswana a naturellement apporté ces garanties tout au long des 55 années de relations qu’il a entretenues avec De Beers. Or, des failles ont commencé à apparaître au cours des négociations. On ne peut s’empêcher de penser que Mokgweetsi Masisi, qui a voulu devenir un héros pour son pays, en s’octroyant une valeur supplémentaire dérisoire sur ses ressources, a cherché à imposer des exigences que De Beers considérait contre-productives pour elle et pour l’industrie.

Espérons que le président élu Duma Boko tire des leçons de la situation. L’industrie est investie dans la réussite du Botswana et en tire avantage, mais l’inverse doit également être vrai.

En tant que détenteur de 15 % des parts, le gouvernement doit également tenir compte de l’intérêt de De Beers, ainsi que de celui de l’industrie du diamant dans son ensemble. Une baisse de l’influence de De Beers dans le pays, au-delà d’un certain niveau, serait préjudiciable pour le Botswana.

Mokgweetsi Masisi avait réussi à atteindre cet équilibre difficile avec finesse en 2019. Or, les choses ont changé au cours des cinq années qui ont suivi. Les diamants sont devenus une question politique.

Au terme de son mandat, Mokgweetsi Masisi se demandera sûrement ce qu’il aurait pu faire différemment dans ses négociations avec De Beers. Le président élu Duma Boko et Al Cook, le PDG de De Beers, finiront par signer l’accord. Cela ne devrait pas tarder, selon moi, car le nouveau dirigeant voudra rapidement imposer son style et Al Cook souhaitera apaiser les inquiétudes des investisseurs potentiels.

Les discussions ont semblé achopper sur des points précis, sur lesquels aucune des deux parties n’a voulu faire de concession. Quoi qu’il en soit, le sentiment a toujours été que les blocages portaient sur des ajouts voulus par le Botswana. Si tel était le cas, le pays devrait cette fois-ci être prêt à faire des concessions.

Après tout, le Botswana a beaucoup à gagner du projet d’accord, au détriment de De Beers. Le Botswana deviendra un fournisseur prédominant de diamants bruts, et non plus seulement un producteur de premier plan, ce qui aura de profondes répercussions sur le marché. Cela oblige Al Cook à repositionner De Beers à travers sa stratégie Origins, vraisemblablement comme une marque de retail de luxe.

L’accord qui n’a pas été signé aurait dû être l’héritage laissé par Mokgweetsi Masisi à l’industrie du diamant. Le président a posé les bases d’un accord historique, mais n’a pas pu ou n’a pas voulu sauter le pas.

D’autres finiront le travail. Ils permettront ainsi au Botswana, à De Beers et à l’industrie dans son ensemble de travailler à la mise en œuvre de l’accord qui les concernera tous. Nous comprendrons alors toutes les implications de ce qui est en jeu. L’accord entre De Beers et le Botswana créera une nouvelle dynamique qui dessinera le profil de l’industrie du diamant au cours de la prochaine décennie.

Image : Le président Mokgweetsi Masisi au salon JCK Las Vegas de 2019 (publié avec l’aimable autorisation de De Beers).

Source Avi Krawitz