C’est une question qui trotte dans la tête de Michelle Graff, la rédactrice-en-chef du National Jeweler, depuis le 24 février.
Le sens du mot « responsable » me taraude souvent ces derniers temps, et c’était notamment le cas après l’annonce des actualités du Responsible Jewellery Council, la semaine du 21 mars.
À chaque fois que le mot me vient à l’esprit, il s’accompagne de cette question : que signifie « responsable » dans l’industrie de la bijouterie ? Et pas uniquement lorsque le terme s’applique au RJC et à ses références. Je n’écris pas cet article pour critiquer le RJC uniquement mais plutôt pour poser cette question à l’industrie dans son ensemble.
Je la pose, évidemment, au vu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février et de ses effets sur l’industrie de la bijouterie, qui se sont propagés comme un feu de brousse.
La première grande société à s’exprimer a été Brilliant Earth, qui a annoncé le 26 février qu’elle retirait les diamants russes de son site Internet.
Signet a annoncé sa décision de couper les liens avec les sociétés russes lors de sa conférence sur les gains du 17 mars. Tiffany & Co. a suivi le 25 mars, avant que Chopard ne se décide aussi à le faire.
Les répercussions pour le RJC sont intervenues lors de la semaine du 28 mars, avec la démission de sa directrice exécutive Iris Van der Veken et le départ de grands acteurs comme Pandora et Richemont.
On comprend aisément pourquoi ces sociétés désapprouvent les marchandises russes et la participation d’ALROSA au RJC aujourd’hui mais la situation qui se présente nous oblige, si nous le voulons bien, à nous confronter à une vérité plus vaste.
Le président russe Vladimir Poutine, qui est entré en fonctions en 2000, se montre néfaste depuis des dizaines d’années.
La liste des atrocités qu’il a commises ou qu’il est accusé d’avoir commises comprend, de façon certainement non exhaustive, des abus des droits de l’homme en Tchétchénie, l’annexion de la Crimée en 2014, l’empoisonnement des dissidents et la quasi-destruction de la presse libre en Russie.
Alors, peut-on qualifier de « responsables » les achats de diamants à ALROSA ?
C’est une autre question qui me trotte dans la tête depuis le 24 février et que Rob Bates, directeur de l’actualité au JCK, a traitée dans un récent épisode du podcast du JCK.
Rob Bates a souligné qu’ALROSA est un nom respecté dans l’industrie de la bijouterie, un « bon acteur » qui a engagé des efforts importants pour se montrer transparent et prendre au sérieux la responsabilité sociale et qui, j’ajouterais, continue à assurer des emplois à de nombreuses personnes.
Mais cela ne change rien au fait que le minier est détenu à un tiers par le gouvernement russe, un fait dont ALROSA ne peut pas s’exonérer.
« Quels que soient les mérites d’ALROSA […] en tant qu’entreprise, les gens l’ont toujours considérée à part du gouvernement russe, a déclaré Rob Bates. A posteriori, c’était peut-être une erreur car elle appartient bien pour un tiers au gouvernement de ce pays. »
Je serais négligente si je terminais cet éditorial sans aborder un sujet sans lien avec la Russie et qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque la question de la « responsabilité ».
À l’automne 2020, Jean-Sébastien Jacques, le PDG de Rio Tinto, a démissionné alors que la société d’extraction venait de faire sauter des grottes préhistoriques dans l’ouest de l’Australie, des lieux sacrés pour deux groupes aborigènes : les Puutu Kunti Kurrama et les Pinikura. Elles avaient également une importance archéologique puisqu’elles contenaient des restes d’habitations humaines pouvant remonter à 45 000 ans.
Même si la nouvelle n’a pas été particulièrement associée aux opérations d’extraction de diamants de Rio Tinto – c’est la division de minerai de fer qui a détruit les grottes –, l’histoire nous a paru suffisamment importante pour en parler. Elle n’a été que peu relayée sur le marché par ailleurs.
Rio Tinto faisait à nouveau la une il y a peu, cette fois-ci pour un rapport produit par une équipe interne et révélant, selon les mots de son PDG actuel Jakob Stausholm, une culture « profondément dérangeante » où les femmes sont sexuellement harcelées et écartées des promotions, où les employés d’Australie qui s’identifient comme aborigènes ou insulaires du détroit de Torres sont confrontés au racisme et où les employés LGBTQIA+ sont persécutés.
Rio Tinto, tout comme ALROSA, est, pour autant que je sache, un acteur respecté de l’industrie et membre certifié du Responsible Jewellery Council, ce qui pose une nouvelle fois la question : que signifie vraiment le mot « responsable » ?
Un comportement est-il considéré comme « responsable » jusqu’au moment où il devient parfaitement évident que nous ne pouvons plus détourner les yeux – comme dans le cas de l’invasion totale, sans provocation, d’un autre pays –, même si, sans surprise, beaucoup continuent à le faire ?
Sommes-nous prêts à engager des mesures « responsables » uniquement si cela ne nuit pas aux résultats ou ne complique pas trop les activités ?
Voulons-nous nous montrer « responsables » uniquement lorsque les consommateurs posent des questions sur une situation donnée ou lorsque nous pensons qu’ils « risquent de la découvrir » ?
Où se situe la limite de la « responsabilité » ?
Alors que je finissais de rédiger cet article vendredi 1er avril au matin, ALROSA a publié un communiqué annonçant qu’elle suspendait son adhésion au Responsible Jewellery Council en raison de « réalités actuellement sans précédent », tout en faisant remarquer qu’elle continuerait de maintenir ses hauts niveaux de comportement responsable et d’éthique et à soutenir totalement la mission du RJC.
Nous proposerons un rapport complet sur la décision d’ALROSA dans la newsletter du lundi 4 avril et continuerons à suivre les développements relatifs à la Russie et à l’Ukraine.
Mis à part les actualités en cours, cette crise fait surgir de nombreuses questions auxquelles l’industrie doit se confronter, en commençant par celle que j’ai posée ici.
Photo © ALROSA.