Lors du forum de la De Beers, organisé au salon JCK Las Vegas de cette année, son PDG Philippe Mellier a surpris l’auditoire en déclarant que l’un des plus gros problèmes de l’industrie concernait les rachats de diamants.[:] Selon lui, lorsque des consommateurs revendent leurs pierres à bas prix, cela contribue à dévaloriser l’image du produit.
À peine deux mois plus tard, la De Beers lançait l’International Institute of Diamond Valuation (IIDV) : rien de moins qu’une tentative pour rajeunir le rachat de diamants. Le service s’articule autour d’un laboratoire à New York, qui évaluera les rachats pour les détaillants. À ce jour, quatre joailliers s’y sont inscrits. Ils représentent 14 boutiques : R.F. Moeller, une chaîne de trois boutiques à Minneapolis, deux des neuf boutiques de Rogers Jewelers, certaines boutiques de Reeds et Padis Gems, à San Francisco. Philippe Mellier insiste bien, il ne s’agit que d’un projet pilote.
Et, bien que les responsables des boutiques avec lesquels JCK s’est entretenu rappellent que le programme n’en est qu’à ses débuts – Padis n’a même pas encore commencé –, ils espèrent qu’il adoucira quelque peu l’expérience de la vente de diamants pour les consommateurs.
« Je pense que cela mettra un terme à la dégénérescence de l’activité joaillière, affirme Mark Moeller, le propriétaire de R.F. Moeller. L’équation peut prendre beaucoup de valeur. Si le consommateur a quelque chose à vendre et qu’il obtient un prix raisonnable, son diamant conservera toute sa valeur. Le client sera bien mieux servi s’il s’adresse au plus gros diamantaire au monde. »
Bart Marks, le PDG de Rogers, considère que pour beaucoup de consommateurs, la vente d’un diamant « est une expérience déprimante. Ils n’en tirent qu’une bouchée de pain. Bon nombre des sociétés qui affirment offrir la meilleure transaction sont en fait celles qui paient le moins bien. »
Mais il l’admet, une partie du problème tient à la nature même de la transaction.
« Si je suis face à un client qui veut me vendre son diamant, je dois bien lui expliquer que ce que je vais lui proposer n’est pas le prix du marché, explique-t-il. Pour vous comme pour moi, c’est tout à fait logique, mais ça ne l’est pas toujours pour le consommateur moyen. Il y a la vente au détail et la vente en gros. Ce que je vais vous donner ne correspondra pas à ce que je paierais à mon fournisseur habituel car il m’offre beaucoup d’avantages et m’apporte exactement ce que je demande. »
Bien entendu, la De Beers ne paiera pas non plus le prix du détail, mais ce qu’elle appelle « le prix le plus élevé possible… sur le marché secondaire du gros ». Or, en évaluant la pierre en laboratoire, sans sa monture, elle pourra être « plus précise dans son évaluation, a affirmé Bart Marks. Vous partez avec la bonne référence. Vous n’allez pas confondre une pierre G avec un J. Si vous pouvez isoler la pierre et observer d’éventuels défauts ou problèmes, vous n’avez plus besoin de baisser le prix pour compenser le risque d’erreur. »
L’IIDV prétend également acheter tout ce qu’on lui propose – ce que beaucoup d’indépendants ne peuvent pas se permettre.
« Notre problème, c’est d’être capable de liquider ce que l’on ne veut pas, explique Mark Moeller. Imaginons que quelqu’un arrive avec un diamant de 8 carats. C’est le genre de pierre qui se vend très rarement. On n’en achète pas pour les mettre en stock et, si on le fait, on veut payer le moins cher possible. »
Bart Marks souligne un problème majeur rencontré jusqu’à présent : les clients doivent envoyer leurs diamants à l’IIDV pour une évaluation, qui prend de deux à trois jours. Et tout le monde n’a pas autant de patience.
« L’expérience nous a montré que les gens préfèrent qu’on leur fasse une offre sans attendre, et qu’ils s’en contentent, explique-t-il. C’est d’ailleurs ce que font tous les autres. Les clients veulent une simple estimation de leur pierre, et vous voilà revenus à la case départ. »
(La De Beers propose à ses clients de recevoir une évaluation du détaillant en magasin, suivie d’un devis rapide de l’IIDV, tout en avertissant que le prix sera plus bas que si la pierre avait fait l’objet d’une évaluation détaillée. Cela implique toutefois de communiquer avec le laboratoire pour avoir son avis – et Bart Marks affirme que certains clients sont encore trop impatients pour cela.)
Si le programme fonctionne, les détaillants prévoient deux avantages. Certes, ils gagneront moins que s’ils avaient acheté pour stocker, puis revendu au détail (pour chaque pièce achetée par la De Beers, une petite marge revient au détaillant), mais le paiement sera à la fois plus rapide et garanti.
« Si vous le proposez dans votre boutique et que vous tentez de le vendre au détail, il vous faudra peut-être un an ou deux, explique Bart Marks. Là, vous obtenez une petite marge, mais immédiatement. » (Les détaillants peuvent aussi acheter le diamant pour le stock, à un prix tiré de celui de la De Beers.)
En outre, si un magasin paie toujours le meilleur prix pour ses diamants, cela devrait lui attirer davantage d’acheteurs et de transactions. Cela nécessite néanmoins de communiquer à ce sujet et, bien que la De Beers prévoie quelques opérations de marketing en ligne, elle n’en est qu’à ses débuts.
« Les objectifs du programme sont louables, explique Bart Marks. Mais il va d’abord falloir éliminer tous les bugs. »