Le marché des diamants synthétiques est plus important que jamais. Alors, pourquoi les prix dans le commerce continuent-ils de baisser ?
Les économistes affirment que le prix d’une marchandise est déterminé par deux facteurs : l’offre et la demande.
Les diamants synthétiques pourraient constituer une exception à la règle. Leurs ventes sont en constante augmentation. Et même si l’offre a bondi, les producteurs affirment qu’ils parviennent tout juste à répondre à la demande croissante.
Pourtant, les prix chutent… et fortement. En 2017, un fabricant de diamants cotait ses marchandises à 55 sous la liste (pourcentage de réduction du prix par carat des diamants par rapport à la liste tarifaire de Rapaport). L’année dernière, certains diamants synthétiques se vendaient à 85 en dessous de la liste. Cette année, ils ont même atteint 90. « Qu’y a-t-il de plus bas que ça ?, a plaisanté un ancien du secteur. 100 % ? »
Pranay Narvekar, créateur de Pharos Beam Consulting, considère que le marché des diamants synthétiques finira par adopter un modèle basé sur le coût. « Pourquoi continue-t-on à parler d’un escompte par rapport à Rapaport ? C’est ridicule, affirme Pranay Narvekar. Il suffit de leur attribuer un prix. »
Le retail a constaté des reculs similaires. Sur le portail en ligne Rare Carat, certaines petites pierres se vendent moins de 800 dollars par carat, le prix que facture De Beers Group pour sa marque Lightbox, un repère autrefois choquant qui a provoqué un tollé dans les premiers temps.
D’après Paul Zimnisky, analyste de l’industrie diamantaire, au deuxième trimestre 2016, le prix moyen sur Internet d’une ronde synthétique F-H, de pureté VS, de 1,5 carat, était de 10 300 dollars. Cinq ans plus tard, une pierre affichant les mêmes caractéristiques a vu son prix chuter de près des deux tiers, jusqu’à atteindre 3 975 dollars.
Au contraire, une pierre naturelle du même ordre se vendait 12 375 dollars en ligne au deuxième trimestre 2016 et 12 550 dollars au deuxième trimestre 2021.
Les analystes évoquent plusieurs raisons pour ces chutes de prix, comme un accroissement de la concurrence, des marges gonflées au départ et la loi semble-t-il immuable selon laquelle les articles technologiques deviennent moins chers à produire au fil du temps. « Bien entendu, leur prix va baisser, puisqu’il s’agit d’un produit manufacturé », affirme Paul Zimnisky, qui pense que les fabricants sont en partie à l’origine de la baisse.
« Le jackpot pour ces producteurs, ce sont les applications de haute technologie, affirme-t-il. L’industrie des semi-conducteurs est cinq fois plus grosse que l’industrie de la bijouterie. Pour satisfaire ces besoins, il leur faut une production constante, ils doivent augmenter l’échelle de fabrication et ils ont besoin de faire baisser les prix. Les baisses de prix des productions high-tech finiront par se répercuter sur le marché des bijoux. »
Les vendeurs de diamants synthétiques eux-mêmes l’admettent, jusqu’à un certain point.
« Je pense que les prix vont baisser, déclare Karan Brahmbhatt, ancien dirigeant technologique qui a récemment créé le détaillant de diamants synthétiques sur Internet Brilliant Carbon. Mais un tarif de 500 dollars à 800 dollars par carat est probablement un niveau plancher. Sinon, vous ne couvrez plus vos dépenses. Et il faut encore payer la taille et le polissage. »
Karan Brahmbhatt considère que les tarifs abordables sont un élément positif. « Ainsi, les diamants se démocratisent. Nous avons des clients qui sont capables d’acheter un diamant de 1,5 carat pour 2 300 dollars. C’est une perspective passionnante. »
Lindsay Reinsmith, cofondatrice d’Ada Diamonds à San Francisco, est certaine que le secteur est voué à se diviser en deux. « Il existe un sous-ensemble du marché dont l’aspect est équivalent à des diamants naturels de grande qualité, affirme-t-elle. Mais la qualité d’un grand nombre des autres marchandises s’est réellement dégradée. C’est comme s’il y avait la partie sublime et la partie déchets. Avec quelques marchandises entre les deux. »
Lindsay Reinsmith affirme que les prix des marchandises de premier ordre (qui sont la spécialité d’Ada Diamonds) se sont majoritairement maintenus, notamment parce qu’il y en a très peu. « Nous les vendons au même prix qu’en 2019 », affirme-t-elle.
À la différence des miniers, les fabricants peuvent, du moins en théorie, produire autant qu’ils le veulent, lorsqu’ils le veulent. Mais il faut plus de temps pour produire des diamants de qualité, une opération également plus coûteuse que pour des pierres médiocres. Par conséquent, le marché est inondé de marchandises de piètre qualité, tachées de teintes bleues, grises et jaunes – des artefacts provoqués par les traitements haute pression, les produits chimiques ajoutés, comme le bore, et les semences bon marché réemployées.
Lindsay Reinsmith affirme que les pires matériaux sont souvent vendus sur Internet. « Vous ne pourriez pas les vendre en face à face, explique-t-elle. Les pires ne ressemblent même pas à un diamant naturel. »
Le problème, pour des acheteurs sélectifs comme Lindsay Reinsmith, c’est que ces teintes – qui apparaissent parfois dans les diamants naturels – peuvent se présenter dans des marchandises ayant des couleurs et des puretés supérieures. Cela signifie qu’il est impossible de les détecter à l’avance. « Je n’ai jamais acheté un diamant synthétique sans le voir avant », affirme-t-elle, ajoutant que si la production générale ne s’améliore pas, il pourrait y avoir une « grosse prise de conscience dans l’industrie des diamants synthétiques. »
« Il est difficile de trouver des marchandises de bonne qualité, explique Lindsay Reinsmith. Si je peux émettre une hypothèse, je dirais que c’est la principale raison pour laquelle une marque de LVMH n’est jamais entrée sur le marché des diamants synthétiques. Il n’y a pas assez de belles marchandises à disposition. »
Amish Shah, le président d’ALTR Created Diamonds, considère que la chute des prix a été favorisée par les problèmes qui ont toujours pesé sur le marché des diamants naturels : l’absence de différenciation, une concurrence tarifaire agressive et un mauvais branding.
« Nous évoluons dans une industrie à la mentalité grégaire, explique Amish Shah. Si John fabrique des diamants synthétiques, Jerry fera des diamants synthétiques, mais Jerry essaiera de les produire 100 dollars moins chers. L’industrie des diamants a toujours estimé que pour gagner de l’argent, il fallait baisser les prix, puis se rattraper sur les volumes. »
Ce nivellement par le bas incessant a sapé les marges des diamants synthétiques qui, l’admet Amish Shah, étaient « absurdes » au départ. (Elles étaient supérieures à celles des pierres naturelles, affirme-t-il.) « Si vous continuez à crier « J’ai un plus gros diamant qui m’a coûté moins cher », où cela vous mène-t-il ?, s’interroge-t-il. C’est devenu une course folle. »
Amish Shah considère que le secteur dispose d’une très belle opportunité sur le marché des pierres de qualité moyenne, de moins de 1 000 dollars. C’est un créneau que visent Lightbox, aussi bien que Pandora, qui vient de présenter une gamme en diamants synthétiques au Royaume-Uni.
Il s’agit d’un vaste marché attrayant, sur lequel les diamants n’étaient généralement pas présents. Mais il faut pour cela que les sociétés vendent davantage que « des cristaux », avertit Amish Shah. « L’industrie doit évoluer, explique-t-il. Soit vous ajoutez de la valeur, soit vous devenez une matière première. Peu importe qu’il s’agisse d’un diamant naturel ou synthétique. Ceux qui gagneront sont ceux qui se concentreront sur le marketing, le branding et le récit d’une histoire. »
Photo © Lightbox.