L’industrie a-t-elle toutefois besoin d’une nouvelle association ? De toute évidence, le Sommet de l’industrie de la joaillerie, qui s’est tenu du 11 au 13 mars au Fashion Institute of Technology de New York, s’est révélé extrêmement positif.[:] Il a ouvert une tribune dont l’industrie avait grand besoin pour discuter de son intégration dans le nouvel environnement de consommation éthique. Aujourd’hui, la question est : que se passera-t-il après ?
J’ai assisté à de nombreuses réunions sur le sujet, organisées avec les meilleures intentions, mais qui ont rapidement tourné court. Certains aspects me font espérer que cet événement particulier ait davantage d’impact : tout d’abord, il a été organisé par deux modérateurs, qui ont été longuement félicités pour avoir prévu aussi bien un ordre du jour que des limites.
Mark Smelzer, l’éditeur du JCK, a particulièrement apprécié le format, qui n’a pas fait la part belle aux présentations, mais a plutôt favorisé la méthode de « l’enquête positive », et donc l’interaction entre les participants.
« C’était le jour et la nuit quand on compare ce système avec les présentations en amphithéâtre, explique-t-il. Nous avons vraiment dû nous engager et nous avons débattu. »
Deuxièmement, même si le sommet a attiré des visages connus – les membres de l’industrie et d’autres qui avaient déjà embarqué sur le navire de la consommation éthique –, il a également fait venir quelques personnes généralement peu concernées par ces questions. Dans certains cas au moins, ces personnes se sont même passionnées pour le sujet.
Bien que certains acteurs du secteur des pierres de couleur, généralement composé de petites sociétés et de petits miniers, se soient montrés réticents face à ces initiatives, les représentants des associations diamantaires qui étaient présents ont apprécié ce dialogue.
« C’était un très bon sommet, affirme Jeffrey Bilgore, président de l’American Gem Trade Association. Je ne pense pas que l’on fasse erreur en rassemblant à la même table des professionnels de l’industrie qui débattent de sujets importants. »
Parmi les rares présentations, celle qui s’est démarquée était celle de Lindsey Jones, directrice de l’approvisionnement responsable chez VF Corp., un grand fabricant de vêtements de sport, qui a montré que notre industrie n’est pas la seule à connaître des pressions dans ce domaine.
Le sommet a eu le mérite de ne pas s’appesantir sur les risques que court l’industrie à ne pas s’engager sur ces questions, même s’ils sont bien réels. (Il suffit de voir ce qui se passe avec Sea World.) Il a également évoqué le bien que peuvent faire – et que font – les bijoux et les diamants pour les habitants des parties les plus pauvres du monde et la façon de s’en servir pour amener la génération Y à notre industrie.
Il y aura toujours un fossé entre ceux qui considèrent que l’industrie a déjà fait suffisamment et qu’il lui suffit de faire connaître tout ce qui doit être porté à son crédit (avec, en tête de liste, Jewelers for Children) et ceux qui considèrent qu’elle doit en faire plus. (Le groupe s’est engagé à travailler sur une question ancienne, celle de la silicose, une maladie qui touche les tailleurs de pierres précieuses.) Ces deux réflexions ne sont pas aussi contradictoires qu’elles y paraissent : toute tentative sérieuse de l’industrie d’y répondre abordera probablement ces deux aspects.
La question est donc la suivante : qui pourrait diriger cette initiative ? Le sommet est-il le bon vecteur ? Au final, cette réunion a permis de mobiliser environ 150 personnes, prêtes à agir. Il y aura probablement encore d’autres sommets, et peut-être même d’autres événements lors des prochains salons de Las Vegas. Mais cela va-t-il mener à la création d’une nouvelle association ? S’il y a bien quelque chose capable de provoquer les grondements des membres de l’industrie, c’est cela.
« Une nouvelle association est possible mais pas forcément nécessaire », affirme Cecilia Gardner, présidente et PDG de Jewelers Vigilance Committee, la force motrice derrière le sommet. Elle espère que les grandes associations se rencontreront pour discuter de possibles initiatives lors d’un prochain forum.
Le Responsible Jewellery Council pourrait également être candidat pour faire avancer ce dossier bien que, pour l’instant, il ait un mandat limité : certifier les sociétés qui respectent ses normes.
« On a senti une volonté claire d’aller de l’avant, annonce Andy Bone, PDG du RJC. D’après moi, nous ne savons pas encore clairement où nous allons ni quelle sera la destination. Il est encore trop tôt pour fixer le rôle que nous pourrions jouer, le cas échéant. Nous sommes là, prêts à travailler, avec la volonté d’y arriver, quelle que soit la tâche qui pourrait nous être impartie à l’avenir. »
Le CIBJO pourrait également avoir un rôle à tenir. Son directeur de la communication, Steven Benson, affirme que son groupe « bat le rappel » depuis dix ans sur le thème de la responsabilité sociale. Or, il « [insistera] pour que le programme de responsabilité sociale qui sera créé soit ouvert, qu’il ne subordonne pas la participation à la taille ou à la capacité financière de la société diamantaire ou du joaillier concerné. »
En outre, toute tentative sérieuse d’aborder ces questions doit être de nature internationale et impliquer les professionnels des pays concernés. Des représentants de plusieurs groupes internationaux ont assisté à l’événement, même s’il s’agissait à l’évidence d’une tribune dirigée par les États-Unis.
À la fin des deux jours et demi, un comité de gérance a été constitué pour tracer le chemin à suivre. Le sommet a également préparé un plan d’action pour former les vendeurs à l’approvisionnement responsable : étude des attitudes des consommateurs et communication à propos des bijoux responsables sur les réseaux sociaux. D’autres groupes s’intéresseront à la silicose et à la création d’un site d’extraction minière responsable au Brésil.
Le programme est ambitieux. La difficulté sera de maintenir et de canaliser les énergies positives et les bonnes volontés qui sont apparues, sans tomber dans les pièges habituels de l’industrie, comme les guerres intestines entre associations et le manque de ressources financières.
Néanmoins, le sommet mérite d’être félicité pour avoir relancé un dialogue qui semblait au point mort.
La gemmologue Antoinette Matlins a noté les dires d’un participant : « L’industrie a beaucoup avancé mais il reste encore du pain sur la planche. Le problème, c’est de nous y atteler. Les joailliers veulent que leurs clients se sentent bien et cela passe par le fait de mettre un terme aux pratiques dommageables. »
« Blood Diamond a causé des dommages considérables à notre industrie, poursuit-elle. Depuis ce film, les gens se demandent qui s’enrichit grâce aux diamants. Nous devons inverser cette tendance grâce à un message positif. D’autres secteurs l’ont fait avant nous, il n’y a pas de raison que l’industrie des bijoux et des diamants n’y parvienne pas elle aussi. »