Hans Merket, chercheur à l’International Peace Information Service (IPIS), affirme qu’en se rendant en Tanzanie, il ne s’attendait pas à découvrir que des personnes étaient blessées et tuées. Son groupe souhaitait simplement évaluer l’attitude des communautés vis-à-vis des mines.
Mais arrivé à Mwadui, la région entourant la mine Williamson, il entendait sans cesse dire que les forces de sécurité de la mine avaient engagé des actions violentes contre de supposés intrus. Des rapports indiquent que des personnes ont fait l’objet de tirs d’arme à feu, ont été poignardées, frappées, enfermées et tuées.
« Nous nous sommes vraiment retrouvés face à ces violences, affirme-t-il. Nous ne nous occupons généralement pas de questions de plaidoyer. Ce n’est pas notre spécialité. »
L’IPIS a rédigé ses conclusions dans un rapport de 2019, envoyé à Petra Diamonds, propriétaire de la mine à 75 %. (Le gouvernement de Tanzanie détient les 25 % restants.) Petra n’a jamais répondu.
« C’était très étrange, affirme Hans Merket. On pourrait s’attendre à cette situation dans une petite entreprise, pas chez un acteur d’importance comme Petra. »
Mais l’IPIS n’a pas été le seul groupe à avoir remarqué ces problèmes graves.
En septembre 2020, le cabinet d’avocats britannique Leigh Day a poursuivi Petra en justice, pour le compte de plus de 30 citoyens tanzaniens, au motif d’une série de violations des droits de l’homme. Deux mois plus tard, l’ONG Rights and Accountability in Development (RAID) a publié un rapport qui faisait le lien entre les services de sécurité de la mine et au moins sept décès et 41 attaques.
En mai, Petra a signé un accord d’un montant de 6 millions de dollars avec Leigh Day, dont la liste de plaignants était montée à 71 personnes. Ce nombre pourrait encore augmenter puisque 25 plaintes supplémentaires sont à l’étude.
Et même si ce règlement contenait la mention standard de « non-reconnaissance de responsabilité » de la part de Petra, le communiqué du minier est allé plus loin que beaucoup d’autres, admettant que la situation était difficile.
« Petra reconnaît que des incidents ont eu lieu, ayant malheureusement provoqué des décès, des dommages corporels et de mauvais traitements sur des creuseurs illégaux », a déclaré la société dans le communiqué. Petra a également rendu public un rapport indépendant à ce sujet.
« Ils ont essentiellement admis tout ce que nous avions avancé, explique Anneke Van Woudenberg, directrice exécutive de RAID. Et même plus, dans certains cas. »
(Les dirigeants de Petra ont refusé de nous accorder un entretien mais ont recommandé au JCK de consulter cette page.)
En plus de faire subir un rude coup à la société, l’épisode intervient lors d’une période tourmentée pour Petra, une société très endettée, qui s’est mise en vente l’année dernière mais a fini par opter pour une restructuration. Williamson ne représente même pas une grande part de l’activité de Petra. D’après l’analyste Paul Zimnisky, la mine ne compte que pour 10 % de sa production.
Ce qui rend l’épisode inhabituel, c’est que Petra était membre de FTSE4Good, un groupe de sociétés cotées en bourse, qui respecteraient des critères stricts en matière d’environnement, de critères sociaux et de gouvernance d’entreprise (ESG). Petra est depuis sortie de l’indice mais en raison de ses problèmes financiers, et non de motifs liés à l’ESG, d’après les communications qu’elle a reçues.
Lorsque l’on parle de violations des droits de l’homme dans l’industrie diamantaire, la première chose qui vient à l’esprit sont les diamants du conflit. Mais la plupart des problèmes récents ont impliqué des agents de sécurité trop zélés, engageant des actions violentes contre des mineurs artisans. Cela s’est produit à Marange, au Zimbabwe. Cela s’est produit en Angola. Le sujet a posé problème à Gemfields, minier de pierres de couleur qui, en janvier 2019, a pu résoudre un procès avec Leigh Day, après que 273 personnes de la région ont prétendu avoir été malmenées par les agents de sécurité du gisement de rubis de Gemfields au Mozambique. Et cela ne se limite pas aux pierres. Des problèmes similaires ont eu lieu dans des mines d’or, de nickel, de cobalt, de cuivre, de lithium et de minerai de fer.
Les critiques admettent que les mines ont le droit de protéger leurs biens, sous réserve que les méthodes violentes ou abusives ne fassent pas partie de leur arsenal d’outils.
Matthew Renshaw, avocat de Leigh Day, considère que les tensions sont inévitables lorsque de riches sociétés mettent sur pied des activités dans des pays pauvres. De nombreux creuseurs artisans sont terriblement pauvres et cette activité indépendante est l’un de leurs rares moyens de subsistance. Parfois, les villageois pensent que les miniers empiètent sur les terres qui leur appartiennent. La mine peut venir perturber leur activité agricole. Et parfois, les sociétés promettent des avantages aux communautés locales, promesses qu’elles ne tiennent pas. Il peut aussi être difficile de vivre près d’une mine. Les habitants sont souvent confrontés à des tirs de dynamite fréquents et autres nuisances sonores.
Le cas de Williamson présentait un problème supplémentaire : les habitants ont prétendu que les limites de propriété de Petra n’étaient pas précises. « Il y a des endroits où des violences ont eu lieu à l’encontre de villageois qui ne faisaient que passer », explique Hans Merket.
Malheureusement, pendant une brève période, la mine Williamson semblait pouvoir servir de modèle éthique pour l’industrie.
En 2005, De Beers, qui détenait 75 % de Williamson depuis 1993, a décidé d’utiliser la mine comme laboratoire pour trouver de nouvelles façons de traiter avec les mineurs à petite échelle. En 2006, elle a engagé 2 millions de dollars dans le partenariat entre De Beers et la communauté de Mwadui dans le cadre de la Clinton Global Initiative.
« L’idée était que la mine Williamson pourrait devenir un modèle », explique Ian Smillie, président fondateur de la Diamond Development Initiative (DDI), une collaboration entre l’industrie et des ONG visant à améliorer la destinée des creuseurs artisans – et auteur de plusieurs livres.
« De Beers essayait de comprendre ce qui motive ces mineurs artisans. Ils ont donc passé un certain temps avec des consultants et des ONG pour tenter de comprendre l’économie politique de l’extraction artisanale autour de la mine. »
La démarche a duré deux ans. En 2008, Williamson a été rachetée par Petra Diamonds, dont l’activité s’était construite avec l’achat d’anciennes mines de De Beers. (De Beers considérait Williamson comme un actif « marginal ou déficitaire ».) L’opération ambitieuse a alors pris fin.
Petra a accéléré la production mais des heurts ont rapidement éclaté entre les populations et les équipes de protection indépendantes de la mine, Zenith Security Services. (Zenith, qui ne travaille plus pour Petra, n’a pas répondu à notre demande de commentaires.)
Parallèlement aux gardiens qui ont parfois pris des mesures fâcheuses pour dissuader les intrus, Anneke Van Woudenberg affirme que la mine Williamson disposait d’un centre de détention où ont eu lieu une grande part des abus rapportés. « Il est rare de trouver des mines de diamants qui gèrent des centres de détention. Nous leur avons demandé comment cela avait été possible. Ils n’ont jamais répondu. »
Petra gérait également l’hôpital de la mine Williamson, où les creuseurs blessés dans des affrontements affirment qu’ils ont souvent été menottés à leur lit et se voyaient refuser les soins médicaux.
On ne sait toujours pas vraiment si Petra avait connaissance de certaines des techniques utilisées ou si elle avait apporté son approbation tacite.
« Il y a eu un assez grand nombre de signes précoces que les choses allaient vraiment de travers, explique Anneke Van Woudenberg. Des blogueurs tanzaniens avaient fait part de leurs préoccupations dès 2011, en anglais et en swahili, et des ONG internationales avaient fait de même. Il semble peu probable qu’au moins certains responsables de la mine Williamson n’aient pas été au courant. Nous ne savons pas jusqu’où sont remontées les informations. »
En 2019, Richard Duffy est devenu PDG de Petra. Anneke Van Woudenberg considère que le changement de direction a permis d’ouvrir le dialogue sur ces questions.
« Depuis l’arrivée de Richard Duffy, tous nos échanges sont directs, explique-t-elle. Il a pris ces questions très au sérieux. L’accord de règlement qu’ils ont annoncé a été un très bon pas en avant, aussi bien pour affronter ce qui s’est passé que pour engager des mesures positives dans la bonne direction. J’ai le sentiment que cela a vraiment remué toute la société. »
Matthew Renshaw convient que la direction de Petra a fait preuve d’une franchise inhabituelle et c’est l’une des raisons pour lesquelles le dossier a été réglé rapidement.
Parmi les dispositions acceptées par Petra, figuraient l’indemnisation des victimes, des projets communautaires pour stimuler le développement économique, des services médicaux étendus, un mécanisme de doléances opérationnel indépendant et l’accès des communautés à certaines zones des mines pour que les habitants puissent faire paître leurs animaux ou aller chercher du bois de chauffage. Petra a également engagé un autre service de sécurité, fermé le centre de détention et licencié les employés impliqués.
Matthew Renshaw et Anneke Van Woudenberg estiment que les choses vont s’améliorer, même si le communiqué de RAID, après le règlement, a souligné la nécessité de poursuivre une surveillance indépendante.
La situation se révèle ironique en un sens. Petra pourrait être aujourd’hui une meilleure société que ce qu’elle était lorsqu’elle était cotée au FTSE4Good. Anneke Van Woudenberg affirme que cela révèle les dangers des sociétés qui se qualifient elles-mêmes « d’éthiques », sans aucune transparence ni supervision.
« Bien trop souvent, les sociétés font appel à de formidables termes marketing et disent tout ce que l’on attend d’elles. Mais il est rare que quelqu’un aille regarder sous le capot. Dans ce cas, on se rend compte que la coquille est vide. »
(Je dirais que cela est également vrai pour les sociétés de diamants synthétiques.)
Selon certains, cet épisode prouve combien il est important pour les mines de se transformer en membres actifs des communautés locales. Dans un entretien organisé l’année dernière, Aimee Boulanger, directrice exécutive de l’Initiative for Responsible Mining Assurance, a fait remarquer que même si quasiment tous les miniers appliquent un programme d’engagement auprès des communautés, la qualité de ces programmes varie considérablement. L’un des objectifs de son groupe est de mettre sur pied des références de base pour ce genre d’efforts.
Ainsi, par exemple, la mine Williamson disposait d’un bureau d’engagement auprès des communautés et d’un mécanisme de doléances. Mais la plupart des villageois ont déclaré à l’IPIS qu’ils n’avaient jamais entendu parler du mécanisme de doléances et que le bureau d’engagement auprès des communautés était situé à l’intérieur de la mine, un lieu auquel ils n’avaient pas accès.
Hans Merket considère que Petra aurait pu éviter de graves violations des droits de l’homme ainsi que les retombées en matière de finances et de RP – et pourrait même avoir allégé ses charges en termes de sécurité – si elle avait été plus attentive à ce qui se passait sur le terrain.
Lorsque l’IPIS a interrogé les villageois aux alentours des autres mines, les producteurs étaient extrêmement intéressés par les informations recueillies par le groupe. Ce que Hans Merket juge ahurissant. « Il semblerait qu’ils ne reçoivent pas beaucoup d’informations sur ce qui se passe dans la communauté locale », explique-t-il.
Dans la majorité des cas, son groupe a découvert que les tensions étaient moindres entre les mineurs et les habitants des environs lorsque les travailleurs de la mine étaient « plus intégrés dans la communauté locale » ou qu’une majorité de l’effectif était originaire de la région. Les grillages et les murs ont tendance à créer des barrières non seulement physiques mais également psychologiques.
Matthew Renshaw affirme que « de nombreuses mines consacrent d’importantes sommes d’argent à rémunérer des avocats des droits de l’homme à Londres », tout en négligeant l’engagement auprès des communautés, dont le coût est moindre.
« Si la volonté d’obtenir de véritables informations est authentique, ce n’est pas si difficile. Il suffit d’embaucher des personnes pour évoluer dans la communauté. Ce n’est pas comme si ces incidents étaient un grand secret. »
Ian Smillie considère toutefois que, pour véritablement résoudre ces problèmes, il faudra un engagement plus important et plus durable, mais aussi trouver une manière de formaliser le secteur artisanal, conformément à la mission de la Diamond Development Initiative.
« J’ai assisté à une visite de nuit de Williamson, explique-t-il. Il y avait des gens qui couraient partout. Lorsque l’on travaille avec un minéral comme le diamant ou la tanzanite et qu’il y a des mineurs artisans, un problème de sécurité se pose. Et les miniers traitent généralement ces problèmes de la mauvaise façon. »
« Il ne sert à rien d’ajouter de la réglementation, des barrières, de la violence. La solution, c’est d’intégrer les mineurs artisans dans l’économie formelle, de chercher à rendre cette situation légale et profitable économiquement. C’est ce que la DDI essaie de faire : transformer le chaos actuel et faire naître l’ordre. »