Pas de gagnant dans la guerre Tiffany-LVMH

Rob Bates

La guerre entre LVMH et Tiffany & Co. est terminée, les deux parties acceptant de retrancher plus de 400 millions de dollars du prix d’achat de l’année dernière, établi à 16,2 milliards de dollars. Difficile toutefois de dire qui a vraiment remporté cette bataille. Il semblerait que les deux aient perdu.

La réputation de Bernard Arnault, président et PDG de LVMH, a probablement joué. Ses déclarations sur la société ont régulièrement été rejetées et critiquées par la presse. (Lorsque les présentateurs de CNBC ont évoqué le soi-disant décret français visant à retarder la transaction, ils riaient ouvertement.) Les entreprises qui seront maintenant visées par des projets d’acquisition de LVMH seront bien plus méfiantes lorsque le groupe viendra leur compter fleurette. Ceci dit, puisque Bernard Arnault est surnommé « le loup en cachemire », préserver une image irréprochable ne semble pas faire partie de ses priorités.

Au final, Tiffany n’a pas cédé énormément. Une somme de 400 millions de dollars peut sembler exceptionnelle pour de simples mortels comme moi mais elle représente moins de 3 % du prix initial. Un analyste a jugé les économies « minimes » et affirmé qu’il était « étrange » que LVMH ait fait tant de difficultés pour un gain si faible. Certains pensent que Tiffany s’est contentée de jeter un os à ronger à Bernard Arnault pour lui permettre de se déclarer victorieux et dissiper les incertitudes pesant sur la société. (Comme l’a indiqué le Wall Street Journal : « LVMH sauve les apparences mais pas son argent. »)

Pourtant, il serait logique de soutenir que Tiffany n’aurait dû accepter aucune réduction. Légalement, elle avait la main. « Rares sont les transactions qui peuvent être renégociées ou même pour lesquelles l’acheteur est autorisé à se retirer, a indiqué James Fontanella-Khan, journaliste au Financial Times. Ces accords possèdent des clauses très strictes. »

Malgré tout, Tiffany a choisi de mettre fin au combat, ce qui est surprenant pour une société qui a mené de longues batailles juridiques contre Costco, Swatch et eBay. Le prix accepté par le conseil d’administration (131,50 dollars par action) est proche de celui qu’elle avait précédemment refusé.

La polémique porte même sur l’identité de celui qui a cédé en premier. Une source a indiqué à Reuters que les négociations avaient été enclenchées par Tiffany qui avait « approché LVMH avec un ton plus conciliant ». Une autre source a indiqué à WWD que c’est LVMH qui avait rouvert les négociations. Tiffany affirme qu’elle précisera les détails des étapes dans un prochain de dépôt de procuration.

Le fait que les sources n’arrivent pas à s’entendre sur ce point mineur prouve peut-être qu’une certaine acrimonie a sous-tendu cette guerre de sept semaines.

Après tout, les actions de LVMH étaient absolument injustifiées et ont déstabilisé l’activité de Tiffany. LVMH a malmené sa nouvelle acquisition au tribunal, la qualifiant de « coquille vide ». Le géant du luxe s’est révélé être un propriétaire bien moins prometteur que ce qu’il avait laissé paraître au départ.

Tout cela soulève une question : pourquoi Tiffany était-elle si désireuse de se marier à un prétendant qui avait l’intention de la quitter devant l’autel ?

Si l’on en croit la demande reconventionnelle de LVMH, désormais retirée, elle a été motivée par l’argent.

La direction et le conseil d’administration de Tiffany […], tout le monde a davantage intérêt à voir la transaction se poursuivre plutôt que de voir Tiffany rester une société indépendante, dans un état dégradé. Alessandro Bogliolo, le PDG de Tiffany, recevra à lui seul une prime pour changement de direction de plus de 44 millions de dollars. Son parachute doré équivaut aux pertes de Tiffany au premier semestre 2020. Les cinq principaux dirigeants de Tiffany ont prévu de recevoir collectivement environ 100 millions de dollars. Si la société reste indépendante, les dirigeants de Tiffany n’obtiendront jamais de rémunération de cet ordre…
 

Que ce soit ou non l’argent qui ait motivé les dirigeants de Tiffany, il est frappant de noter que Bernard Arnault, l’homme le plus riche d’Europe, était prêt à mener à bien un combat juridique embarrassant pour économiser 400 millions de dollars. Il y avait peut-être quelque chose d’autre en jeu.

Les spéculations vont bon train quant à ce que fera LVMH de Tiffany. Sera-t-elle poussée vers la Chine ? Amenée à se développer sur Internet ? LVMH va-telle redécorer ses boutiques ? (Inutile de dire que l’option « se donner en spectacle avant d’en prendre le contrôle » n’était venue à l’esprit de personne.)

La plupart considèrent que LVMH va faire progresser la marque. Ils prétendent que Tiffany n’est pas aussi prétentieuse que sa réputation le laisse entendre et qu’elle aurait bien besoin d’un peu de magie haut-de-gamme distillée par LVMH. Pourtant, cela présente des risques. Il suffit de demander à Ron Johnson, ancien PDG de JCPenney, ce qu’il se passe lorsqu’un détaillant installé dans des centres commerciaux de moyenne gamme « licencie » ses clients.

Mais tout cela est pure spéculation. Depuis l’annonce de l’acquisition, il y a de cela presque un an, les dirigeants de LVMH n’ont jamais proposé de vision étayée de ce qu’ils envisagent de faire avec leur nouveau jouet. (Ils ont affirmé ne prévoir aucun changement majeur mais rares sont ceux qui les croient.) Et c’est bien ce manque de clarté, dans le contexte d’une pandémie qui menace les entreprises, qui pourrait expliquer ces bouderies, aussi bien que la possibilité d’économiser quelques dollars.

La plupart des analystes continuent de penser que LVMH sera un bon propriétaire pour Tiffany. C’est une société intelligente qui sait gérer les marques.

Mais même ainsi, ce mariage démarre de façon terrible. La principale raison de la fusion portait sur les importantes ressources de LVMH. Voir LVMH qui impose déjà des pressions à Tiffany, avant même que l’union ne soit célébrée, n’a rien d’encourageant.

Beaucoup encensent l’intelligence de Bernard Arnault en matière de transactions. Évidemment, son palmarès parle de lui-même. Mais il vient tout juste de transformer l’acquisition la plus conséquente et la plus importante de toute sa carrière – au moins temporairement – en un désastre. Beaucoup de temps et d’argent ont été gâchés dans ce qui aurait dû être une transition fluide. Étant donné tout ce remue-ménage, le grand méchant loup ne semble plus aussi féroce.

Source JCK Online