Où en est le marché des diamants synthétiques?

Isabella Yan

Alors que les diamants synthétiques s’installent dans les collections de bijoux et dans l’esprit des consommateurs, Rapaport Magazine s’intéresse aux développements les plus récents de cette catégorie de produits.

Des tests grandeur nature

L’industrie du diamant connaît un bouleversement important, aux conséquences transformatrices. Face à la chute notable des prix des diamants naturels, de nombreuses sociétés ont diversifié leurs opérations afin d’y inclure à la fois des diamants naturels et des diamants synthétiques, ou se sont complètement tournées vers les diamants synthétiques.

Plusieurs sightholders s’immiscent dans l’industrie des diamants synthétiques depuis un certain temps, par l’intermédiaire de sociétés affiliées, d’après Tim Denning de la maison de tenders Bonas Group.

D’autres sociétés de diamants naturels ont envisagé de bifurquer vers les diamants synthétiques mais plusieurs facteurs les en ont dissuadées, d’après une source anonyme. Parmi ces facteurs figurent l’important engagement financier nécessaire, la détérioration des marges sur les diamants synthétiques, l’atteinte potentielle à la réputation et une incompatibilité avec la vision de la société.

« Les excès de stocks ont amené les fabricants et les grossistes à réduire les deux catégories, en raison de la saturation du marché », ajoute un grand cabinet de conseil en diamants.

Les prix ont de l’importance

Les marchandises synthétiques coûtent de 78 % à 80 % moins cher que leurs équivalents naturels, d’après Edhan Golan, analyste de l’industrie du diamant.

Cette disparité a laissé la place à des alternatives, comme les diamants synthétiques, notamment dans la gamme des 1 à 3 carats, a expliqué Chaogiu He, de Qiu Fine Jewelry, créatrice de bijoux installée à Shanghai, même si le tableau est différent pour le mêlé, ajoute-t-elle. « Le mêlé de qualité, produit par dépôt chimique en phase vapeur (CVD), est difficile à trouver », explique-t-elle. Le ralentissement récent du marché a réduit au minimum la différence de prix entre mêlé naturel et synthétique.

Pourtant, il existera toujours des designers qui préfèrent axer leurs designs sur les diamants naturels, car cela fait partie intégrante de l’ADN de leur marque, explique une autre source anonyme. Cela « obligerait à fixer un écart de prix important, dans lequel les diamants naturels sont perçus comme des articles de luxe haut-de-gamme, tandis que les diamants synthétiques sont davantage considérés comme des accessoires de mode. »

L’acceptation par le grand public

« La moitié des diamants vendus aux États-Unis l’année dernière étaient synthétiques », affirme Mona Akhavi, présidente et PDG du producteur de diamants synthétiques Vrai.

Les bijoutiers ont constaté une meilleure connaissance et une plus grande acceptation des diamants synthétiques chez les fabricants de bijoux, les négociants, les détaillants et les consommateurs. En 2018, d’après un rapport de l’International Grown Diamond Association (IGDA), environ 51 % des acheteurs connaissaient les diamants synthétiques, contre seulement 9 % en 2010. Paul Zimnisky, analyste de l’industrie, a quant à lui observé qu’un nombre croissant de détaillants américains proposaient ce produit en 2022.

Toutefois, l’essor actuel des diamants synthétiques semble dépasser la demande des consommateurs. Tim Denning affirme que les détaillants optent désormais pour des accords de consignation en raison des excès de stocks.

Paul Zimnisky s’en est fait l’écho dans un article de février, affirmant que l’attractivité des diamants synthétiques a probablement atteint un pic, en raison principalement de leur très grande disponibilité. Même si la demande devrait se maintenir, les ventes pourraient ralentir, selon lui, par rapport à la croissance de 20 % à 30 % observée au plus haut de leur popularité.

Selon ses prévisions, les bijoutiers pourraient se détacher des synthétiques, et cibler plus fortement les diamants naturels au cours de l’année prochaine.

 

Bague en bio-résine grise Solo for Diamonds avec or 14 carats, ornée de diamants synthétiques Fancy Pink et bague en bio-résine verte ornée d’un diamant synthétique Fancy Vivid Yellow (Solo for Diamonds).

Un rôle dans le monde du luxe

Même si de nombreux designers et marques de bijoux choisissent l’un des deux camps, certains ont récemment décidé de jouer sur les deux tableaux. L’année dernière, le marché des diamants synthétiques a commencé à attirer des sociétés haut-de-gamme.
« Pour les bijoutiers, il s’agit de vivre avec son temps », explique Julia Kusher, fondatrice du bijoutier ukrainien Solo for Diamonds.

« Un diamant synthétique est synonyme de modernité, d’audace et de technologie. »

En 2023, la marque française Fred – une unité du groupe de luxe LVMH – a lancé Audacious Blue, une collection de joaillerie en quatre pièces, contenant des diamants synthétiques bleus de 0,50 carat, associés à des diamants naturels. Mejuri et Prada, deux autres marques haut-de-gamme, lui ont emboîté le pas, admettant que diamants naturels et synthétiques peuvent tout à fait coexister et se développer ensemble.

Et même si certains professionnels de longue date de l’industrie se sont dits préoccupés par le mélange des deux produits, estimant que cela ne faisait qu’augmenter la confusion dans l’esprit des consommateurs, d’autres considèrent que les grands groupes de luxe mondiaux continueront à tester l’intégration des diamants synthétiques dans leurs produits.

Même à Paris, les sociétés installées au cœur de la place Vendôme ouvrent progressivement les bras à cette nouvelle catégorie. Mazarin, une maison de joaillerie parisienne créée en septembre 2022 et spécialisée dans les diamants synthétiques, estime que les ateliers parisiens qui travaillent pour les marques historiques sont aujourd’hui plus réceptifs à une collaboration avec des sociétés de diamants synthétiques. Le designer de bijoux français Jean Dousset a quant à lui modifié son offre en 2023 pour ne proposer que des diamants synthétiques. Depuis, ses ventes ont augmenté de 78 %.

« Même si les bagues de fiançailles en diamants synthétiques gagnent en popularité, ce sont les bijoux hors bridal qui connaissent la plus forte croissance, explique Louise de Rothschild, cofondatrice et PDG de Mazarin. Chez Mazarin, 90 % des ventes proviennent des articles hors bridal. Les clients recherchent de plus en plus des bijoux aux designs puissants et à l’impact significatif. »

 Modèle portant des motifs d’oreilles Mazarin Elephant en or 18 carats et diamants synthétiques (Mazarin).

Les avancées technologiques

L’industrie des diamants synthétiques évolue constamment grâce à une R&D qui ne cesse de progresser. Les fabricants, tailleurs et designers de bijoux investissent dans des technologies expérimentales pour répondre à la demande croissante. Cela a permis de produire des pierres synthétiques plus grosses et plus attrayantes visuellement, y compris une production variée issue d’un même bloc de diamant, et d’aboutir à un contrôle précis de la croissance polycristalline.

L’une des avancées majeures est la capacité à créer des variations de formes, grosseurs, tailles et couleurs non conventionnelles. « Avant cela, le coût des diamants naturels annihilait toute velléité d’exploration », explique Jean Dousset.

Les progrès technologiques, notamment sur les techniques de taille, ont propulsé les pierres synthétiques au même niveau que leurs équivalents naturels, ajoute-t-il. « Ce virage, amorcé par un nombre croissant de tailleurs et de fournisseurs, qui passent des diamants naturels aux diamants synthétiques, est particulièrement important pour moi. »

Image Mysteryjoy (Mysteryjoy).

Les différents angles du marketing

La stratégie marketing pour les diamants synthétiques a également évolué au fil du temps. Au départ, l’accent était mis sur le développement durable et l’écologie. Toutefois, « à mesure que l’industrie des diamants synthétiques a mûri, les spécialistes du marketing ont admis la nécessité de diversifier leurs messages pour toucher un public plus vaste et mettre en avant d’autres facettes du produit », affirme Julia Kusher.

Des marques comme Pandora et Blue Nile mettent ce segment en valeur, principalement dans les bijoux de mode hors bridal, mais même là, le narratif a évolué, passant de la promotion du prix abordable des diamants synthétiques, de leur accessibilité et de leur durabilité au fait qu’il s’agit d’un produit technologique ultra-moderne, avec un accent sur la nouveauté et le design innovant.

« Comme les raisons d’acheter des diamants synthétiques se multiplient, au-delà de leur simple aspect esthétique, il existe aussi d’autres façons de les commercialiser et de diversifier la communication », explique Joy Toledano, fondatrice et designer du joaillier de diamants synthétiques Mysteryjoy.

La stratégie marketing de Jean Dousset n’a pas considérablement changé depuis son passage aux diamants synthétiques. Son orientation traduit ce qu’il appelle « la nouvelle représentation du luxe, décadente, rebelle et tentatrice ». Il a « mis un point d’honneur à ne pas avancer l’argument du développement durable pour vendre des diamants synthétiques et a plutôt vanté le pouvoir et la liberté qu’ils offrent aux consommateurs, qui ont maintenant le choix entre les deux produits. »

Julia Kusher convient que les diamants synthétiques « offrent l’avantage de la flexibilité. Les designers peuvent tester des formes, des couleurs et des sertissages différents. Il me semble qu’un avantage marketing important des diamants synthétiques est cette possibilité de personnaliser le produit. »

L’année dernière, Vrai a présenté son service personnalisé Cut for You, qui permet aux clients de choisir parmi 30 tailles différentes, quelle que soit la grosseur, afin d’élaborer leur propre diamant à partir de matière brute dans un délai de 15 jours.

Certaines sociétés sont allées encore plus loin : Julia Kusher est également la fondatrice d’Amata, une société spécialisée dans la culture des diamants à partir de l’ADN de l’être aimé. « Vous pouvez commander une bague de fiançailles ornée d’un diamant fabriqué à partir du sang ou d’un cheveu de la personne aimée », explique-t-elle, ajoutant que sa société a développé un carnet de commandes solide pour ses bijoux non conventionnels.

Face à une jeune génération qui préfère les produits distinctifs et éthiques, Julia Kusher estime que les deux aspects doivent être mis en avant simultanément. « C’est la raison pour laquelle nous avons développé nos bagues en bio-résine signatures ornées de diamants synthétiques, sous le slogan « La nouvelle ère des bagues de fiançailles ». Elles associent formidablement bien le développement durable et l’innovation. »

Bague Mazarin Eboris Link en or 18 carats avec des diamants synthétiques (Mazarin).

Le débat sur l’énergie

Même si les diamants synthétiques sont souvent présentés comme des alternatives avantageuses et durables aux diamants naturels, leur production exige une importante quantité d’énergie, chose que peu de consommateurs réalisent.

Chaogiu He de Qiu considère les diamants synthétiques comme « un produit technologique qui implique l’utilisation de ressources. Même en profitant des formes d’énergies vertes, la hausse des coûts peut être importante. »

Pourtant, comme le fait remarquer Louise de Rothschild, de Mazarin, « la technologie évolue constamment. Davantage de fabricants optent pour l’utilisation exclusive d’énergies renouvelables. » Des sociétés comme Diamond Foundry et Greenlab Diamonds incorporent des sources d’énergie comme l’énergie solaire dans leurs processus de fabrication. Diamond Foundry est réputée puisque son laboratoire a été le premier à être certifié pour la neutralité de ses émissions de carbone.

Les sociétés ont la possibilité, pour éviter la confusion relative aux prétentions de développement durable, de normaliser leurs messages, de diffuser de façon transparente leurs rapports environnementaux et de se faire certifier par un organisme de normes indépendant.

Julia Kusher souligne combien il est important de collaborer avec des organisations telles que SCS Standards ou Butterfly Mark de Positive Luxury pour vérifier, prouver et certifier que la société de diamants synthétiques examinée ne s’est pas déclarée durable elle-même, mais que ses actes sont bel et bien en accord avec son discours.

Cette notion est particulièrement importante avec l’arrivée d’une nouvelle réglementation plus stricte sur les prétentions délétères de développement durable. La Federal Trade Commission (FTC) américaine a récemment averti des sociétés de diamants synthétiques du risque de sanctions. Leurs campagnes utilisaient en effet des termes comme « écologiques », « protègent l’environnement » ou « durables », sans preuve concrète. En outre, la FTC travaille à renforcer ses guides verts, qui aident les spécialistes du marketing à éviter les affirmations écologiques trompeuses.

 J’aime bien l’exemple comparant un taxi et un Uber. Ils ne sont pas forcément concurrents, ils proposent simplement des services différents.

Coexistence et non concurrence

Pour éviter la confusion entre les diamants synthétiques et naturels, une technique consiste à informer les consommateurs sur leurs différences. On a souvent tendance à les confondre, explique Julia Kusher, alors qu’en réalité, les vendeurs devraient les présenter dans des catégories différentes, destinées à des groupes de consommateurs différents.
« J’aime bien l’exemple comparant un taxi et un Uber », explique-t-elle.

« Ils ne sont pas forcément concurrents, ils proposent simplement des services différents, à des publics différents. Les diamants synthétiques et naturels ont tous deux leurs avantages. Pour les diamants synthétiques, il s’agit de développement durable, de technologies innovantes, de prix abordables et de personnalisation. Pour les diamants naturels, on parle de rareté, de tradition et d’héritage. »

Jean Dousset, quant à lui, réfléchit en termes de valeur. « Je n’ai rien contre les diamants naturels. Je plaide en faveur des possibilités qu’offrent les diamants synthétiques aux consommateurs. Les discussions interminables pour savoir laquelle des deux options est la plus durable pour l’environnement passent à côté de l’essentiel, à savoir la proposition de valeur. »

La terminologie des diamants représente aussi une pierre d’achoppement depuis un certain temps. Le ministère français de l’Économie et des Finances a récemment pris la décision d’interdire l’utilisation de tout terme autre que « synthétique » pour désigner des diamants non naturels. En France, les termes « diamants de laboratoire » et « diamants de culture » ne sont plus autorisés.

Toutefois, de nombreux fournisseurs jugent qu’il est plus important de faire preuve de précision, de transparence et d’honnêteté dans la déclaration du produit que de s’accorder sur un mot ou une expression en particulier.

Julia Kusher considère que les collaborations et les partenariats entre sociétés de diamants synthétiques et naturels peuvent favoriser une coexistence plus coopérative. Déjà, des sociétés comme Mejuri ou Stone and Strand, un joaillier new-yorkais, ont diversifié leur offre en incluant les deux types de diamants dans leurs collections. Elle prédit que les deux catégories finiront par coexister chez les joailliers afin d’offrir aux consommateurs une plus large gamme de choix.

 

Bague Elle Solitaire de Jean Dousset, avec un diamant synthétique ovale de 4,12 carats serti sur de l’or jaune 18 carats (Jean Dousset).

Image principale : campagne « Never Mined. All Mine » de Jean Dousset (Jean Dousset).

Source Rapaport