Depuis son lancement en 2003, une question obsédante revient à propos du Kimberley Process (KP) : est-ce qu’il fonctionne ?[:]
Cette question apparemment simple suscite des réponses très fortes et souvent diamétralement opposées. Nombreux sont ceux, dans l’industrie et au niveau gouvernemental, qui voient en ce processus un succès inégalé, une étape audacieuse, différente de toutes celles engagées pour les autres matières premières dans le monde. D’autres affirment que c’est une déception, un organisme souvent réticent à agir ou incapable d’aborder les questions les plus difficiles, notamment l’exportation de diamants à partir des zones de conflit ou post-conflit.
Les plus grands défis qu’a eu à affronter le KP face aux diamants de contrebande et aux diamants du conflit (Libéria, Côte d’Ivoire, Zimbabwe) peuvent être invoqués aussi bien pour parler de succès que d’échec, selon le point de vue que l’on adopte. Bien que chaque cas ait été différent et complexe et que nous n’ayons pas la place ici de revenir en détail sur l’ampleur de ces crises, les acteurs du KP divergeaient quant à savoir si, quand et comment autoriser les exportations de brut. Ils n’ont pas non plus atteint de consensus pour savoir comment agir en cas de changement de situation.
Aujourd’hui, le KP se prépare à alléger partiellement la suspension de près de trois ans imposée aux exportations de brut de République Centrafricaine. Lui et l’industrie vont donc devoir dépasser très rapidement les désaccords passés. Il est temps d’engager une action constructive et collaborative pour réguler de façon responsable le commerce des diamants dans ce pays déchiré par les conflits et la corruption.
L’actualité, c’est que le KP devrait autoriser les exportations de la zone de Berbérati, une région minière située au sud-ouest de la République Centrafricaine.
Cette nouvelle est la conséquence d’un processus réfléchi et soigneusement négocié, convenu en juin 2015, qui comprenait de multiples niveaux d’examen au sein du KP, l’engagement fort des autorités centrafricaines et la mise en œuvre sur place d’un comité d’application local, ainsi que des processus importants de collecte d’informations. La marge de progression à Berbérati est à mettre au crédit du KP et de nombreux acteurs locaux. Elle prouve les bénéfices d’une coordination de multiples partenaires, pleinement engagés.
Mais aujourd’hui que les exportations devraient bientôt reprendre, le KP et l’industrie doivent redoubler de vigilance et être prêts à s’adapter plutôt que de considérer la période comme une occasion pour réduire leur emprise. Les exportations pourraient débuter dans les prochaines semaines ou les prochains mois. Les autorités centrafricaines indiqueront à l’équipe de surveillance du KP qu’un pli doit être examiné pour exportation et l’équipe confirmera si le pli répond ou non aux critères d’exportation. (Une description du processus complet est disponible sur le site Internet du Kimberley Process.)
La vigilance est de rigueur en raison de la situation sur le terrain. Bien que seules les zones minières dans et autour de la ville de Berbérati soient officiellement approuvées, il est possible que des diamants provenant d’autres régions minières entrent dans les zones approuvées, puis qu’ils soient proposés à l’exportation, sans qu’il existe aucun moyen de garantie directe.
Il n’existe que peu, si ce n’est aucun responsable minier ou agence chargé de veiller au respect de la législation qui soit régulièrement déployé dans les régions minières ; certaines des mines de la zone de Berbérati sont éloignées de la ville jusqu’à 50 km, accessibles après avoir traversé une épaisse forêt. Les données de référence sur la production dans la zone de Berbérati n’ont pas encore été officiellement établies, alors qu’elles sont essentielles pour déterminer l’ampleur de la production ou créer des outils statistiques capables d’évaluer l’existence possible de ces infiltrations. En résumé, le risque de pénétration de diamants interdits dans le système est tout à fait réel.
Au-delà de cette crainte globale sur la traçabilité, qui est tout à fait légitime pour de nombreux pays producteurs du KP, des bandes armées continuent d’opérer dans la région. Bien qu’elles soient moins nombreuses que dans d’autres parties du pays, il est difficile pour les équipes du KP et d’autres observateurs d’accéder eux-mêmes aux sites en raison de difficultés logistiques et de moyens financiers limités. Dès lors, le KP et l’industrie doivent être prêts à réagir de manière résolue si des rapports crédibles indiquaient que des diamants formellement exportés de Berbérati sont soit (a) originaires d’une autre région, soit (b) associés à des conflits. Si de tels rapports existaient, le KP devrait se préparer à interrompre les opérations et adapter le système afin de garantir que seuls des diamants exempts de conflit soient exportés.
Il faudra de la vigilance, de la flexibilité et un véritable engagement dans les procédures existantes pour faire face à de telles situations.
Une application efficace du KP en République Centrafricaine comprend les grandes mesures suivantes.
– En République Centrafricaine, les autorités du KP au gouvernement et les mécanismes plus vastes établis par l’organisation doivent engager toutes les mesures possibles pour garantir que seuls des diamants issus de la zone approuvée soient réellement exportés. Les contrevenants doivent être poursuivis en justice et interdits de commercer, puis jugés. Cela exigera un important renforcement des capacités de la société civile locale et des acteurs de la communauté, une chose que les participants et les observateurs du KP, mais aussi l’industrie dans son ensemble, doivent être prêts à soutenir financièrement.
– Dans les grands centres de fabrication et de négoce de la production centrafricaine, notamment Anvers, Dubaï, Tel Aviv et Mumbai, les autorités du KP doivent évoquer auprès des acteurs de l’industrie la nécessité de faire preuve de toutes les précautions nécessaires afin de garantir que les diamants extérieurs à Berbérati ne soient pas mélangés à la production approuvée. Le commerce illicite de diamants de République Centrafricaine pourrait également susciter des craintes liées à des activités comme le blanchiment d’argent, des questions que le KP et l’industrie doivent mieux traiter. Dès lors, le World Diamond Council et d’autres organismes de l’industrie doivent informer le marché des démarches du KP et garantir la vigilance nécessaire. Si les autorités découvrent des infractions ou des activités suspectes, elles doivent agir et en faire rapport publiquement.
– Le KP ne doit pas ajouter d’autres zones d’exportation tant qu’un certain délai ne s’est pas écoulé, par exemple pas avant la session plénière 2016 en novembre, le but étant d’évaluer la viabilité de ce système. Il faudra y inclure des rapports publics et transparents du KP et des autorités centrafricaines à propos des avancées et des difficultés rencontrées.
– Tous les acteurs doivent soutenir en priorité les programmes de développement des mineurs artisanaux, afin que la population de République Centrafricaine commence à profiter des avantages de cette ressource précieuse.
– La mission de maintien de la paix des Nations unies en République Centrafricaine, la MINUSCA, doit aussi jouer un rôle en se déployant dans les principales régions et en désignant un expert confirmé en matière de ressources naturelles.
Si le KP et l’industrie identifient des problèmes, le système devra réagir rapidement, même si cela implique de suspendre de nouveau les exportations jusqu’à ce que les problèmes soient résolus.
Si les acteurs du marché du brut montrent qu’ils peuvent être flexibles et honnêtes face à ces questions difficiles, le KP pourra finalement prouver à tous qu’il fonctionne bien.
Auteur Brad Brooks-Rubin
Brad Brooks-Rubin is policy director of the Enough Project and its investigative initiative, The Sentry. He was special adviser for conflict diamonds at the U.S. Department of State from 2009 to 2013 and also served at the U.S. Department of the Treasury and GIA. Reach him at brad-at-enoughproject.org.