Le 15 juillet, Lucara Diamond, propriétaire de la mine Karowe au Botswana, a annoncé avoir conclu une transaction « révolutionnaire » avec HB Group d’Anvers, en Belgique. Dans ce cadre, Lucara vendra l’ensemble de ses Specials (diamants de plus de 10,8 carats) à HB jusqu’à la fin de l’année.
L’accord est important pour HB puisque Karowe a donné des Specials extraordinaires, dont le Lesedi La Rona, un diamant de 1 109 carats. Mais il s’agit également d’une grosse transaction pour Lucara, qui tire 70 % de ses revenus des grosses pierres.
Le point intéressant à noter est la façon dont cet accord a été structuré. Il prévoit que HB réglera initialement à Lucara une estimation du prix final du diamant taillé – prix déterminé au moyen d’une « technologie ultramoderne de balayage et de planification » –, déduction faite des coûts de fabrication de HB et d’une commission non précisée, également appelé « frais ». HB réglera à Lucara cette estimation initiale dans les 60 jours suivant la réception de la pierre – un cas rare de crédit accordé par un minier.
Lors d’une conférence sur les gains, organisée mardi 11 août, Eira Thomas, la présidente-directrice générale de Lucara, a qualifié la transaction de réaction à « une chaîne d’approvisionnement qui est vraiment mise à mal. »
« Vous trouvez certains participants dans cette chaîne de valeur qui se créent des marges sur le dos de quelqu’un d’autre, explique-t-elle. Nous reconnaissons depuis longtemps l’importance d’un meilleur alignement entre le minier et le tailleur. Notre principal travail consiste à utiliser la technologie pour ne plus acheter du brut au hasard. Nous créons ainsi une chaîne de valeur efficace et optimisée. »
Eira Thomas affirme que Lucara, tout comme HB, sera « incitée à maximiser la valeur de la pierre taillée qui sera produite ». Si le prix du diamant taillé obtenu est supérieur à ce que Lucara a payé, Lucara obtient un supplément – mais s’il est plus faible, HB supportera la perte.
« L’analyse de HB sera forcément teintée d’une certaine prudence, a déclaré Zara E. Boldt, directrice financière et secrétaire d’entreprise de Lucara lors de la conférence. Ils ne pourront pas récupérer l’écart lorsque leur estimation dépasse le prix de vente effectif. »
Lucara a refusé de s’exprimer, en plus de son communiqué et de la conférence, et HB n’était pas joignable pour apporter un commentaire à l’heure où nous publions. Toutefois, Paul Zimnisky, analyste de l’industrie, considère que la transaction est favorable aux deux parties – mais plus particulièrement à Lucara, qui a maintenu la plupart de ses Specials à l’écart du marché au deuxième trimestre en raison de la Covid-19. Étant donné que les Specials sont par définition rares et que leur marché est limité, ils peuvent être difficiles à estimer, affirme-t-il.
« Lorsque les miniers vendent leur brut, le prix englobe généralement un escompte implicite, explique-t-il. Le fabricant affirme : “Je ne sais pas quel sera l’état du marché du taillé quand je vendrai. Je dois donc me protéger. Je ne paierai qu’un pourcentage limité du prix estimé pour la pierre taillée.” »
« Tel que cet accord est établi, Lucara va obtenir une partie du prix de vente du taillé. Par conséquent, cet escompte ou cette marge d’erreur, pris en compte par le fabricant lorsqu’il achète le brut, disparaît avec cet arrangement. Le fabricant n’a plus à assumer le risque du marché du taillé qu’il subirait s’il avait acheté la pierre brute directement. En théorie, le minier devrait y gagner sur la vente du brut. »
Eira Thomas a souligné que les prix du taillé se sont généralement mieux maintenus que ceux du brut et que l’accord assurera à Lucara un flux de trésorerie garanti.
Qu’en est-il pour HB, qui assume malgré tout un certain risque ? « Leur motivation est la même que celle des sightholders de De Beers qui concluent des contrats à long terme, affirme Paul Zimnisky.Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pour recevoir une offre régulière. Si vous êtes fabricant de diamants d’exception, vous recevez tous les diamants d’exception de la principale mine de diamants pour produire des pierres spéciales. »
HB s’assure également la couverture de ses coûts de fabrication, en plus de la commission/des frais. (Pour véritablement aligner les intérêts des deux parties, il faudrait que cette somme ressemble davantage à une commission qu’à un montant fixe, puisque le résultat de HB augmentera avec le prix de vente. Lucara n’a pas donné d’indications.) Et puisque les fabricants se plaignent continuellement du resserrement de leurs bénéfices, cela pourrait rapporter davantage à HB que l’arrangement standard entre minier et tailleur. En revanche, Lucara considère également qu’elle obtiendra de meilleurs prix pour ses marchandises et cela ne sort pas du néant.
Cet arrangement ressemble beaucoup à un essai : il ne dure que jusqu’à la fin de l’année. Et rien n’indique qu’il sera poursuivi après cela.
Lors de la conférence, Eira Thomas a affirmé que, selon elle, sa société ne devrait pas totalement abandonner les tenders ou autres outils de vente mais qu’elle pourrait employer un mélange de canaux de commercialisation.
« Il y a des périodes où il serait logique et adéquat de proposer des marchandises aux tenders. À d’autres moments, il est plus logique d’utiliser la plate-forme de vente de brut de Lucara, appelée Clara, ou un accord comme celui conclu avec HB. Mais nous pensons vraiment qu’il est nécessaire d’harmoniser la chaîne d’approvisionnement et que c’est ce par quoi toute l’industrie doit commencer. »
Bien sûr, avoir un acheteur garanti est une bonne chose, mais rien n’assure que cet acheteur garanti soit en mesure d’absorber tout ce que la nature nous donne. En novembre 2015, la semaine où a été découvert le Lesedi La Rona, Karowe a également produit une pierre de 815 carats. Cela ferait beaucoup, même pour le fabricant le plus volontaire. Dans le cas peu probable où Lucara gagne une fois de plus le double jackpot, des tenders pourraient se révéler être une alternative plus attrayante.
L’industrie ergote depuis longtemps sur les méthodes standard pour vendre le brut : les sights et les tenders. Ce modèle paraît nouveau et innovant. Eira Thomas a fait remarquer que même De Beers souhaite ajuster son système de sights. Mark Cutifani, le PDG de sa société-mère Anglo American, affirme que « la chaîne de valeur des diamants doit évoluer pour s’adapter à notre époque. »
Rien ne dit que De Beers serait intéressée par ce type d’accord. Mais je ne serais pas surpris qu’elle garde un œil dessus.