Normalisation du marché : cinq choses apprises à New Delhi

Avi Krawitz

La Conférence mondiale sur le diamant qui s’est tenue la semaine du 8 décembre à New Delhi, en Inde, a beaucoup fait parler dans l’industrie qui, disons-le franchement, avait besoin d’un peu d’action, étant donné l’état du marché.[:]Ce n’est pas si souvent que deux chefs d’État participent à un événement du secteur diamantaire et, ce faisant, apportent un soutien inébranlable à l’industrie.

Les organisateurs ont donc eu raison de se targuer de ce succès car l’événement a fait naître un exceptionnel sentiment de satisfaction lorsque Narendra Modi, le premier ministre indien, et Vladimir Poutine, le président russe, ont inauguré l’événement. La conférence de deux jours s’est donc largement consacrée aux relations naissantes entre l’Inde et la Russie.

Toutefois, derrière les ors et les pompes, la conférence a permis, une fois de plus, d’aborder les thèmes les plus urgents. Tous les secteurs ont fait part de leur point de vue : sociétés minières, fabricants, détaillants et, surtout, banquiers.

Après l’année difficile qu’a été 2014, la conférence a souligné que le développement à long terme de l’industrie ne pourrait être garanti que si des étapes étaient engagées pour améliorer son attrait auprès des banques et stimuler la demande des consommateurs.

Voici cinq choses que nous avons apprises lors de la Conférence mondiale sur le diamant de New Delhi :

1. L’industrie indienne peut communiquer comme jamais auparavant avec son gouvernement.

Lorsque le premier ministre Narendra Modi a été élu en mai, le marché diamantaire local s’est réjoui. Ancien ministre d’État du Gujarati, Narendra Modi s’est attiré les faveurs de l’industrie en soutenant l’émergence de Surat comme principal centre de fabrication.

Il faut ajouter à cela le sentiment que, ces dernières années, le marché des diamants et des bijoux n’était pas la priorité du précédent gouvernement. Des droits d’importation avaient en effet été imposés sur l’or et les diamants pour tenter de contrôler le déficit du compte courant. En outre, la croissance économique a ralenti et la roupie a plongé en 2013, sous le regard des dirigeants, ouvrant la voie à l’élection de Narendra Modi, sur fond de mécontentement dans l’industrie.

La conférence de New Delhi a montré que le gouvernement est attentif aux doléances du marché. Non seulement Narendra Modi a inauguré la conférence mais d’autres membres du gouvernement y ont participé, entre autres le ministre d’État pour le Commerce et l’Industrie, le secrétaire pour les Services financiers, le secrétaire adjoint pour le ministère du Commerce et de l’Industrie et le secrétaire pour le ministère des Mines.

Narendra Modi a affirmé que l’industrie, entre autres secteurs, possède un énorme potentiel en matière de création d’emplois et d’exportations et que le développement de tels secteurs est une priorité pour le gouvernement.

Il semblerait que l’industrie, sous l’égide du Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC), ait toute latitude pour exploiter ce soutien.

2. La Russie et l’Inde font bon ménage quand il s’agit de brut.

Au cours de sa réunion avec Vladimir Poutine, Narendra Modi a proposé trois développements associés à l’industrie.

Il a ensuite été annoncé qu’ALROSA avait augmenté le nombre de ses clients indiens sous contrats à long terme, passant de 8 à 12 en 2015. Cette avancée était prévue de longue date ; il était logique que le plus grand fournisseur de brut en volume s’aligne sur le plus grand centre de fabrication au monde.

Près de la moitié de l’offre d’ALROSA a toujours été envoyée en Belgique, bon nombre de ses clients anversois étant des sociétés indiennes. En fait, même si l’Inde était destinataire de 13 % de l’offre totale du minier au cours des neuf premiers mois de 2014, environ 50 % de son brut est destiné à des organismes indiens, selon ce qu’a annoncé Vipul Shah, le président du GJEPC, lors de la conférence.

On pourrait considérer que les sanctions de l’Union européenne imposées à la Russie risquent d’influencer les accords d’approvisionnement à long terme d’ALROSA, qui sont en cours de négociation. Même si les sanctions ne concernent pas le marché diamantaire, le gouvernement russe – qui détient toujours une participation dans ALROSA – doit certainement chercher d’autres partenaires plus accueillants avec qui travailler.

WDM-compositionNarendra Modi est prêt à travailler pour ce partenariat. Sa deuxième demande au président Poutine concernait l’abolition des droits d’importation de la Russie sur le taillé en provenance d’Inde, afin de mettre sur un pied d’égalité le brut russe et le taillé indien.

3. L’Inde ambitionne de négocier du brut.

La troisième proposition de Narendra Modi visait à ce qu’ALROSA vende son brut directement dans la Zone notifiée spéciale (SNZ), installée dans la Bharat Diamond Bourse (BDB). Le gouvernement s’est dit prêt à accéder à cette demande. Il a annoncé, lors de la conférence, la création d’une zone qui permettra aux grands miniers d’envoyer du brut en Inde en consignation et de réexporter les marchandises invendues sans avoir à payer de taxes.

La zone a été longue à créer car l’Inde cherche à concurrencer la Belgique et Dubaï pour le négoce de brut et donc à faire revenir à Mumbai les nombreuses entreprises indiennes de ces deux centres. Un espace a été réservé dans la BDB pour cette zone, qui devrait ouvrir en 2015. Il sera intéressant d’observer l’usage qu’en feront les sociétés minières l’an prochain.

4. Mazal U’Bracha ne suffit pas pour les banquiers.

Nous verrons l’année prochaine dans quelle mesure l’industrie peut augmenter ses crédits bancaires. En fait, s’il y a bien eu un message adressé aux fabricants lors de la conférence, c’était que l’industrie a besoin d’améliorer son « attrait pour les banques » ou de « gagner le droit d’exister », du point de vue d’un banquier.

Erik Jens, le PDG d’ABN Amro Bank Diamond and Jewelry Group, a affirmé avec franchise que les opérations de l’industrie n’avaient pas suffisamment brillé pour attirer les prêteurs.

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Si, pour attirer les banques, il faut associer rentabilité et transparence, a-t-il expliqué, les diamantaires vont devoir travailler sur ces deux plans. Ils doivent améliorer leur contrôle sur les actifs, présenter des comptes consolidés et faire preuve d’une bonne gouvernance d’entreprise. La baisse des stocks et la réduction des échanges sans valeur ajoutée sont également essentielles pour prouver leur rentabilité aux banques. La transparence se mesurera à des comptes vérifiés et complets, à des rapports consolidés, à une gouvernance d’entreprise précise, à des évaluations indépendantes des stocks et au respect des processus et des applications professionnels. Les banques s’intéressent aussi de plus en plus à la responsabilité sociale de leurs clients.

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« Si, pour attirer les banques, il faut associer rentabilité et transparence, a-t-il expliqué, les diamantaires vont devoir travailler sur ces deux plans. »

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Howard Davies, le responsable du développement d’entreprise à la De Beers, a ajouté que les banques n’ont d’autre choix que d’insister sur ces mesures, étant donné ce qui est exigé d’elles au titre des nouvelles réglementations, comme les accords de Bâle.

Il a donc réaffirmé que, si l’industrie veut plus de financement, elle doit se débarrasser de son habitude de faire aveuglément confiance et de conclure des transactions d’une poignée de main, autrement dit Mazal U’Bracha. Ce qui fait sa fierté, cette confiance unique, est aussi ce qui la dessert.

Dans le même état d’esprit, Howard Davies a expliqué que la De Beers insiste sur la conformité financière des sightholders lors de ses négociations de nouveaux contrats de sights à long terme, qui prendront effet en 2015. En un sens, l’objectif est de normaliser la procédure de déclaration dans l’activité diamantaire.

« Dans le monde moderne, si l’industrie diamantaire veut continuer à être financée, elle va devoir se conformer aux mêmes règles que tous les autres secteurs, a-t-il déclaré. Elle doit se montrer professionnelle, responsable et transparente. Il n’y a pas d’autre choix. »

Les fabricants seront peut-être rassurés par l’une des déclarations d’Erik Jens, selon qui le marché doit étaler la charge de la dette de l’industrie, au-delà des fabricants et des négociants, et impliquer les miniers et les détaillants. Il s’est interrogé pour savoir si les fournisseurs de taillé pouvaient demander de meilleures conditions de paiement aux détaillants, si les envois informels de marchandises pouvaient perdurer sur le long terme et si les paiements du brut en liquide et à l’avance étaient la seule solution.

Il faudrait un vrai bouleversement pour parvenir à modifier ces pratiques, mais, dans les années à venir, démontrer sa rentabilité et sa transparence deviendra chose commune. En fait, Erik Jens considère que ces exigences représentent un challenge bien moins grand que de sensibiliser le consommateur au produit final.

5. L’industrie tente de s’entendre sur le marketing.

de-beers-jewellery-waiting-for-necklaceAinsi, peut-être par habitude, la conférence a démarré par une discussion entre les miniers sur leurs programmes de création de marques et elle s’est terminée par une présentation de l’initiative de marketing générique, ou de catégorie, de la World Diamond Mark Foundation.

Comme pour le message sur les banques, Stephen Lussier, le PDG de la marque Forevermark de la De Beers, a souligné que l’industrie ne peut plus se reposer sur les anciennes méthodes marketing, mais qu’elle doit adopter une approche plus « normalisée ». Pour la De Beers, cela implique de stimuler le souhait sous-jacent des consommateurs, grâce à des marques et à la création d’un avantage exclusif, pour elle et ses partenaires.

Même si la De Beers est passée d’un marketing générique à un marketing ciblé sur sa marque et si l’on considère les sommes dépensées en publicité par les grands joailliers, Stephen Lussier a noté que l’investissement de l’industrie du diamant dans le marketing n’a en fait pas diminué. Toutefois, notre industrie n’investit pas autant que les industries concurrentes – dont très peu ont des campagnes génériques – et elle perd donc des parts de marché.

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Alex Popov, le président de la World Diamond Mark Foundation, a remarqué que les diamants sont passés derrière les articles en cuir, les voyages et les soins non essentiels, et qu’ils seront bientôt dépassés par les appareils électroniques dans le classement des produits de luxe les plus recherchés.

Alex Popov considère que la WDM est là pour promouvoir une idée : le diamant lui-même est une marque. Le lancement récent de la marque en Turquie et à Dubaï tentera de servir cet objectif, de replacer les diamants en tête de liste et d’en faire profiter, espérons-le, tous les segments de la filière.

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« Alex Popov considère que la WDM est là pour promouvoir une idée : le diamant lui-même est une marque. »

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Stephen Lussier a, lui, souligné qu’il ne suffit pas de développer la demande des consommateurs s’il n’y a pas de marges supplémentaires pour la vente au détail. Il a ajouté que les marges ne peuvent être obtenues que grâce aux marques, qui alimentent également le désir d’acquérir des produits de cette catégorie.

Les fabricants présents s’interrogeaient probablement sur leurs propres marges. La meilleure solution pour eux est peut-être de participer aux initiatives marketing existantes, comme Forevermark et la WDM. Jean-Marc Lieberherr, le directeur général de Rio Tinto Diamonds, a souligné que cette collaboration est essentielle pour garantir la croissance de l’industrie.

« Travailler ensemble, dans un esprit de partenariat sur toute la chaîne de valeur, de la mine à la boutique, est la meilleure façon de créer de la valeur durable dans l’industrie », a-t-il indiqué.

On ne sait pas vraiment le rôle que peut jouer le secteur minier dans la WDM, à part la financer, ce qui est peu probable. On espère plutôt que l’initiative laissera une place aux fabricants et aux négociants afin qu’ils racontent l’histoire du diamant, avec leurs partenaires détaillants.

D’une façon ou de l’autre, dans ces premières étapes, le but de la WDM est de créer le buzz chez les consommateurs, comme l’a fait la fondation en organisant cette conférence marquante avec le GJEPC. Voyez-vous, comme l’ont montré les discussions de New Delhi, qui ont traduit la morosité du marché en 2014, il reste encore beaucoup à faire.

 Source Rapaport