En gardant à l’esprit les discussions actuelles sur l’avenir de l’industrie diamantaire russe, Rough&Polished s’est entretenu avec Maxim Shkadov, le PDG de Kristall (Smolensk), le plus gros fabricant de diamants en Russie et en Europe. [:]Dans cet entretien, Maxim Shkadov s’exprime sur les problèmes que rencontre actuellement l’industrie.
Il semble évident que l’industrie russe se trouve à l’aube de transformations majeures, à la fois dans son organisation et dans son personnel. Du fait de son caractère plutôt exportateur, elle ne profitera des futures décisions que si les nouveaux défis du marché mondial sont correctement appréhendés. Quels sont-ils, selon vous ?
[two_third]À l’heure actuelle, les modèles commerciaux des grands miniers – ALROSA et la De Beers – sont organisés de façon à donner l’illusion d’une demande toujours élevée de la part de nombreux clients. Or, la vérité est qu’il n’existe qu’un seul acheteur : l’Inde. Les sightholders ont peut-être des bureaux en Belgique ou ailleurs, mais 90 % du brut est réellement destiné à l’Inde. Nos collègues indiens ne cachent pas leur objectif : ils veulent contrôler le marché. Le secteur diamantaire dans ce pays est aujourd’hui très bien organisé sur le plan logistique et fortement étayé par le gouvernement. Son chiffre d’affaires avoisine les 15 milliards de dollars. Étant donné que le crédit mondial, destiné à l’achat de brut et à la fabrication, n’équivaut qu’à environ 18 milliards de dollars, nous devons admettre que ce marché est désormais un « marché d’acheteurs ». Cela veut dire une chose : les acheteurs commencent à contrôler les prix. Actuellement, les -7 sont achetés et transformés par des fabricants indiens uniquement.. Si l’on en juge par l’évolution des prix, on peut dire que les tarifs de cette catégorie ne pourront jamais augmenter, car ils sont fixés par un acheteur en situation de monopole. N’oubliez pas que la gamme des miniers regorge de ce type de brut. Autrement dit, les ventes d’ALROSA dépendent déjà fortement de l’état de l’économie indienne et de son système bancaire. Et la De Beers rencontre le même problème.[/two_third][one_third_last]
« La vérité est qu’il n’existe qu’un seul acheteur : l’Inde. »
« Autrement dit, les ventes d’ALROSA dépendent déjà fortement de l’état de l’économie indienne et de son système bancaire. Et la De Beers rencontre le même problème. »
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Mais les « marchandises indiennes » ne représentent pas l’ensemble du brut…
La notion de « marchandises indiennes » n’aura bientôt plus de sens. L’Inde transforme déjà toutes les catégories de brut. Elle s’équipe lourdement de toutes sortes de dispositifs ultramodernes, des derniers systèmes laser et informatiques, ainsi que d’appareils d’examen au microscope. Ce pays a mis en place une stratégie calculée et bien pensée pour s’imposer sur le marché. Quelle est la place aujourd’hui d’Israël en tant que centre diamantaire ? Il est presque absent du marché, totalement submergé par ses concurrents indiens. La Banque Diamantaire Anversoise est en train de quitter le secteur diamantaire, et cela représente environ 1,6 milliard de dollars de lignes de crédit. Si elle doit être remplacée par des banques indiennes, Anvers pourrait bien disparaître en tant que centre diamantaire. Le marché a toujours été un « marché de vendeurs ». Aujourd’hui, il se transforme en un « marché d’acheteurs », une menace sérieuse que les miniers préfèrent ignorer.
Que faire pour contrecarrer cette menace ?
Nous devons créer notre propre canal de vente pour assurer une pénétration maximum du marché. Du brut, des activités de transformation, une marque de bijoux de classe internationale, le tout estampillé Russie, mais aussi notre propre réseau de distribution. C’est la seule façon de garantir un développement sain de l’industrie russe.
Il existe déjà des activités d’extraction et de fabrication en Russie, mais il n’y a pas eu de marque de bijoux de classe internationale depuis l’époque de Fabergé dans ce pays. Combien faudra-t-il de temps et d’argent pour en créer une ?
Nous aurons besoin d’un budget publicitaire de l’ordre de 15 millions de dollars par an. Ce montant est tout à fait réaliste pour mettre sur le marché une marque internationale dans les cinq ans. Elle devra être spécifiquement russe, porter l’étendard du pays. Ce serait bien de revenir à Fabergé.
Qui pourrait apporter un tel financement ?
[two_third]ALROSA devrait être la première intéressée par cette stratégie. Cela lui permettrait d’obtenir son propre canal de distribution, sûr et durable. Si elle laisse passer l’occasion, elle court le risque d’être réduite à une dépendance du marché indien dans un très proche avenir. N’oublions pas Almazyuvelirexport, qui bénéficie d’une excellente santé financière et ne s’est jamais impliquée sur le marché national des diamants et des bijoux. La société vend des « lots de contrôle » de la production actuelle d’ALROSA, ce qui apparaît comme un véritable anachronisme dans les conditions actuelles. Qu’essaient-ils de contrôler de cette façon ? Ils vendent aussi une partie des stocks résiduels du fonds d’État, lequel pourrait très bien se tirer d’affaire tout seul. Il n’a pas besoin d’intermédiaires. Réorganisée, Almazyuvelirexport pourrait servir de base à une équipe qui assurerait la création et la promotion d’une marque de bijoux russe de classe internationale.[/two_third][one_third_last]
« Nous devons créer notre propre canal de vente pour assurer une pénétration maximum du marché. »
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Pour l’heure, l’industrie discute de plusieurs innovations : création d’un Territoire de développement social et économique prioritaire (TOPSED) en Yakoutie, plan de séduction pour attirer certaines des plus grandes marques de bijoux du monde dans des partenariats stratégiques… Aucun de ces programmes ne parle de créer une marque de bijoux nationale. Pensez-vous que ces décisions soient viables ?
Si l’on veut produire des marchandises concurrentielles, en tenant compte des coûts de fabrication appliqués en Yakoutie, il va falloir créer des produits de qualité supérieure, avec l’aide de spécialistes que nous n’avons pas encore. Le TOPSED de Yakoutie pourrait donc bien se transformer en un intermédiaire qui gèrera les exportations de brut. Dès qu’il y aura une bourse de diamants et un centre douanier, le brut va s’écouler rapidement vers l’Inde et la Chine. Bien entendu, cela n’apportera aucun bénéfice à l’industrie. Un partenariat stratégique avec les grandes marques de bijoux du monde est synonyme de conflits d’intérêts. Le marché du diamant subit une pression extrême. La concurrence y est extrêmement rude – à lui seul, Rapaport propose actuellement 7 milliards de dollars de diamants, qui s’échangeront librement. Dans un tel environnement, un partenaire de marque peut toujours dicter les conditions de la coopération qui lui conviendront le mieux et imposer ses prix et ses assortiments. Mais si vous avez toute la chaîne entre vos mains, avec sous une même marque la mine et la bague en diamants, vous tirerez un maximum de profit du marché. Malheureusement, la Russie ne produit quasiment pas de marchandises qui méritent le sceau d’une marque internationale. L’industrie diamantaire apparaît comme une heureuse exception. Une chance se présente à nous, ne la ratons pas.
Photo Kristall Smolensk.