New York – Selon Russell Shor, analyste senior pour le Gemological Institute of America, les prix pourraient rester stables à court terme. L’économie globale s’améliore, offrant aux détaillants une raison d’être optimistes.[:]
Dans un entretien réalisé après les salons de Las Vegas, Russell Shor aborde des sujets comme l’économie, les prix et l’importance de l’approvisionnement éthique pour l’avenir de l’industrie.
D’abord journaliste pour l’industrie de la joaillerie pendant plusieurs dizaines d’années, Russell Shor a rejoint le GIA en tant qu’analyste senior en 2002. Il contribue aux publications du laboratoire et assiste les services marketing, recherche et enseignement.
Cet entretien Market Insight est le quatrième d’une série que National Jeweler publiera cette semaine, au lendemain des salons de Las Vegas.
National Jeweler : si vous étiez détaillant, agiriez-vous avec un « optimisme prudent » ?
Russell Shor : Pour moi, un détaillant américain a plus de raisons d’être optimiste qu’un détaillant européen, par exemple. L’épanouissement de la Chine semble sur son déclin, et ce pour plusieurs raisons. La Chine est… La croissance de ce pays ralentit. Quant à l’Inde, la roupie a chuté à son niveau le plus bas face au dollar. Résultat, les prix augmentent sur ces marchés intérieurs. Les deux plus grands marchés de croissance perdent en intensité.
Le plus grand marché (les États-Unis) reste satisfaisant. Dans l’ensemble, il n’existe aucune vraie raison, d’ordre économique, pour que les prix flambent. L’optimisme prudent, c’est bien le plus grand cliché de l’industrie, mais oui. Pour le marché américain… surtout à l’extrémité supérieure, parlons plutôt d’optimisme que d’optimisme prudent. En revanche, le détaillant moyen a toujours quelques motifs pour rester prudent. Je pense tout de même que l’époque où l’on craignait une récession à double creux est révolue.
NJ : diriez-vous que l’industrie de la joaillerie vit une période de reprise ?
RS : Oui, en quelque sorte. Cela dit, je pense que l’or était plus présent à ce salon en raison de sa baisse de prix. J’ai vu des professionnels de l’argent et d’autres marchandises… revenir s’aventurer sur le marché de l’or.
Les salons Couture et Luxury ont obtenu de très bons résultats. Il me semble que leurs clients, des détaillants indépendants sur ce marché haut de gamme, étaient très confiants dans l’économie.
Je pense (aussi) qu’en période d’instabilité, vous vous réfugiez auprès de ceux en qui vous avez confiance. Pour moi, chez les joailliers de Couture, de nombreux noms existent depuis des décennies. Je pense qu’ils misent beaucoup sur cet aspect. Les gens ne se sont pas encore aventurés loin de cette bulle de confiance. Ils en profitent vraiment.
Le principal salon du JCK a été satisfaisant mais les acheteurs étaient sélectifs. Je pense que la réussite a reposé notamment sur un regain de confiance. De nombreux joailliers paraissaient tout simplement ne plus avoir de stock… Ce que j’ai le plus apprécié ? Qu’il n’y ait pas eu un flux de remises latentes.
NJ : pour ceux qui l’auraient ratée, parlez-nous de la présentation sur les prix que vous avez faite au JCK.
RS : Dans ma présentation, j’ai analysé pourquoi nous avons des prix record dans une vente aux enchères de grosses pierres et du taillé qui est resté relativement statique pendant 10 ans.
Les grosses pierres sont vraiment rares. Vous avez beaucoup de gens riches (qui), pour une raison ou pour une autre, les recherchent fiévreusement. En fait, pour les 5 carats et plus, mais surtout pour les 10 carats et plus, ce sont les acheteurs qui sont en concurrence et non les vendeurs. Donc, les prix montent.
Quant aux diamants plus ordinaires, il y en a pléthore. Cette compétition entre acheteurs n’existe donc pas. Là, ce sont les vendeurs qui luttent, cela évite que les prix ne grimpent trop haut.
Voilà l’essentiel de mon discours à Las Vegas. La majeure partie de la publicité pour les bijoux en diamants reste axée sur les prix.
Quand on parle d’une vente aux enchères de grosses pierres, on attend forcément des prix élevés. Alors qu’une publicité fait naître une attente de baisse des prix dans l’esprit des consommateurs. Cela contribue vraiment à freiner les prix des diamants. C’est l’un des facteurs. Ce mode de publicité incite à penser que les prix baissent. La plupart des publicités ont généralement l’effet inverse, pour la haute joaillerie, à celui d’une maison de vente aux enchères et de la presse de mode.
En outre, il y a encore beaucoup de stock sur le marché. Si vous le pouvez, cédez un diamant et, en attendant un peu, vous en obtiendrez un autre moins cher.
NJ : selon vous, comment évolueront les prix d’ici à la fin de l’année ?
RS : C’est difficile à dire. Las Vegas a montré qu’ils ne reculent pas mais, en ce moment, je ne vois rien qui les pousse vraiment à la hausse.
Les petites marchandises fluctuent tout au long de la saison. Quand les grands fabricants de bijoux s’entendent et qu’ils ont besoin de tout un tas de petites marchandises, les prix ont tendance à augmenter. Les marchandises qui assurent l’activité de base sont généralement plus stables, mais connaissent un pic avant les salons.
Le fait que personne n’accorde de remises semble traduire une confiance raisonnable dans le marché. Toutefois, personne n’a fait exploser les plafonds. Aucun boom ne se profile à l’horizon.
NJ : diriez-vous que l’avenir de ce marché passe par une belle histoire à raconter et un approvisionnement éthique à mettre en avant ?
RS : Pour la belle histoire, oui. Quant à l’approvisionnement éthique, il est important, mais ce n’est pas un facteur décisif. C’est comme n’importe quoi d’autre. En faisant les courses, vous voyez un café équitable pour 7,99 $ les 500 g. Or, il se vend un café bien plus ordinaire pour 4,99 $. Certaines personnes s’en soucient, elles ne sont pourtant pas prêtes à payer un gros supplément. C’est plus une excuse pour ne pas acheter quelque chose qu’une excuse pour payer davantage.
Certes, c’est important dans l’esprit du consommateur. Ces différents vecteurs vont gagner en importance mais, pour une marque, dans le sens large du terme, qui veut différencier son produit, ce sera l’un des aspects à prendre en compte. Pour sortir de cet espoir de prix bas, vous devez vous différencier. Et même les premiums s’amenuisent ces jours-ci… ce genre de facteur de différenciation n’est plus aussi sélectif que par le passé.