Une histoire légendaire, la popularité d’une marque… tels pourraient être les premiers critères qui attireraient un éventuel prétendant pour Tiffany & Co. Pourtant, LVMH s’intéresse à un autre aspect majeur qui fait tout l’attrait du joaillier américain : sa capacité à acheter ses propres diamants et à contrôler sa chaîne d’approvisionnement.
« Tiffany est en avance, grâce à un très haut niveau d’intégration verticale, supérieur à celui de nos propres marques, a déclaré Jean-Jacques Guiony, directeur financier de LVMH, dans une téléconférence pour les analystes mardi 26 novembre. Nous sommes décidés à capitaliser sur cet avantage et à faire naître des synergies. Nous sommes certains de pouvoir créer de la valeur en combinant les deux modèles d’activité dans le groupe. »
Tiffany achète entre 80 % et 90 % de ses diamants taillés de plus de 0,18 carat directement aux mines, sous leur forme brute, puis les taille en interne, a expliqué Alessandro Bogliolo, son PDG, dans un entretien vidéo avec Bloomberg en novembre. Laurelton Diamonds, la filiale de fabrication appartenant à Tiffany à 100 %, a conclu des accords d’approvisionnement de brut à long terme avec De Beers, ALROSA, Dominion Diamond Mines et Rio Tinto.
« Ce mode de fonctionnement est l’exact opposé de celui de l’industrie ou d’autres joailliers qui achètent des diamants sur le marché de gros, a ajouté Alessandro Bogliolo. Cela… est très important pour un consommateur de la génération Y. En premier lieu, le client se rend chez Tiffany parce qu’il apprécie sa compétence… Deuxièmement, puisque nous achetons à la source, nous pouvons certifier d’où vient le diamant. »
La part de marchandises que Tiffany achète est supérieure à celle des entreprises de bijouterie de LVMH, a noté Jean-Jacques Guiony lors de la conférence organisée après l’annonce du rachat du détaillant new-yorkais pour 16,2 milliards de dollars. Une telle stratégie d’approvisionnement et de fabrication représente « un actif unique », pouvant profiter aux marques de LVMH. Le groupe de luxe français n’a absolument pas l’intention de transformer ce modèle, a-t-il ajouté.
« Tiffany est un nom de premier plan pour toutes sortes de diamants. C’est un secteur dans lequel l’approvisionnement est compliqué et nous espérons pouvoir profiter de ces compétences », a-t-il déclaré à l’assistance, sans s’étendre sur la façon dont il comptait procéder.
De la marge pour croître
L’acquisition fera passer les ventes de montres et bijoux de LVMH de 9 % à 16 % du total des revenus. Contrairement à Tiffany qui a obtenu des résultats mitigés ces dernières années, LVMH continue d’annoncer une croissance solide de ses ventes de montres et bijoux. Les revenus de cette catégorie ont pris 8 %, à 1,13 milliard d’euros (1,24 milliard de dollars), au cours du trimestre clos le 30 septembre.
La vigilance constante que doivent exercer les sociétés indépendantes cotées en bourse, ayant des obligations de déclaration régulières, pourrait freiner les progrès de Tiffany, a déclaré Jean-Jacques Guiony. LVMH est également cotée en bourse mais ne publie pas les résultats de ses marques individuelles.
« Nous allons donner à Tiffany du temps et du capital, des atouts qu’ont du mal à se procurer les sociétés devant publier leur comptes chaque trimestre », a ajouté Jean-Jacques Guiony.
L’un des projets les plus coûteux du joaillier, la rénovation de sa boutique flagship sur la Cinquième avenue, a été fermement approuvé par LVMH, même si l’acheteur a également indiqué que l’opération aurait dû être lancée plus tôt. Tiffany a réservé jusqu’à 2 % de son chiffre d’affaires international à la refonte de ce point de vente essentiel, dont les travaux devraient s’achever en 2021.
« Malgré l’aspect emblématique de cette boutique sur la Cinquième avenue, dû principalement au film de Blake Edwards de 1961, Diamants sur canapé, c’est également un actif dans lequel la marque doit investir. Je pense que le programme en place est adapté, mais qu’il a probablement été lancé trop tard, a expliqué Jean-Jacques Guiony. Je sais combien il est difficile de prendre la décision de rénover une boutique de cette taille et de cette importance mais, à un moment donné, il faut franchir le pas. »
Porter la marque
LVMH espère accroître les revenus de Tiffany par mètre carré, autrement dit la densité de vente, qui est actuellement plus basse aux États-Unis qu’à l’étranger. Or, il faudra pour cela renforcer la marque, a fait remarquer Jean-Jacques Guiony. Tiffany est également sous-représentée en Europe, où elle pourrait revoir son travail de séduction des Européens et des touristes, a-t-il fait observer.
Le dirigeant s’est dit satisfait de l’assortiment inhabituel du joaillier, constitué de bagues de fiançailles onéreuses et de bijoux en argent plus abordables, deux catégories essentielles pour la société.
« La question n’est pas de savoir à quel prix nous vendons les articles, mais si ces articles portent la valeur de la marque, a-t-il affirmé. Pour Tiffany, les articles en argent… sont des produits d’entrée de gamme qui permettent de s’offrir la marque pour quelques centaines de dollars. Nous n’avons aucun problème avec cette notion. »
Parallèlement, en rachetant Bvlgari en 2011 pour 5,2 milliards de dollars, LVMH a compris l’importance des collections. Il s’agit d’ailleurs d’un point que le groupe espère appliquer à Tiffany, a fait remarquer Jean-Jacques Guiony. La forte expansion de la part des ventes issues des collections chez Bvlgari a renforcé les revenus et les bénéfices ces dernières années, a-t-il expliqué.
« D’ailleurs, Tiffany est bien positionnée pour y parvenir mais nous ne manquerons pas d’insister sur l’importance qu’il y a à capitaliser sur les collections existantes et à en développer de nouvelles », a-t-il prévu.