LVMH a réalisé un travail d’envergure pour revitaliser la marque Tiffany & Co. Voyez par vous-même.
Dans une récente téléconférence, le président de LVMH, Bernard Arnault n’a pas manqué de s’attribuer le mérite des résultats « remarquables » du joaillier depuis son rachat en janvier 2021. (Le conglomérat de luxe ne fournit pas de résultats ventilés pour ses marques.)
Ces dernières années, alors que le secteur du luxe connaissait une croissance formidable, « Tiffany stagnait », a annoncé Bernard Arnault. « Ni les bénéfices ni les revenus n’évoluaient. […] Nous avons pu inverser la tendance et atteindre des performances extrêmement élevées. »
Peut-être. Mais rappelons que, pendant des années, toute l’industrie de la bijouterie a obtenu des résultats inférieurs à ceux du secteur du luxe. Cela jusqu’en 2021, où elle a obtenu des résultats supérieurs dans à peu près toutes les catégories.
En réalité, l’année dernière, les ventes de bijoux ont connu un tel succès qu’il serait incroyable que Tiffany n’obtienne pas de résultats incroyables. Certes, la nouvelle équipe n’a pas ménagé ses efforts pour relever la marque, mais il faudra peut-être attendre une période plus normale pour pouvoir véritablement évaluer ses succès. (La société a refusé qu’un dirigeant s’exprime pour cet article.)
Jusqu’à présent, le parcours de LVMH a été erratique et quelque peu tumultueux. Certains anciens sont partis – pas uniquement dans le groupe dirigeant mais aussi à des échelons inférieurs.
LVMH, quant à elle, reste sur sa trajectoire et travaille à faire monter la marque en gamme. La direction entend s’éloigner de l’argent bon marché pour lui préférer des « bijoux haut-de-gamme étincelants », d’après un article de Reuters à propos d’une réunion de Tiffany.
Ces décisions ont provoqué un décalage culturel – et parfois même un choc des cultures. La ligne de conduite de LVMH ne fait pas l’unanimité. Même si la marque a toujours eu une image haut-de-gamme, elle proposait malgré tout une grande quantité de produits accessibles. En 2017, le Wall Street Journal annonçait : « 45 % des ventes de Tiffany l’année dernière provenaient de bijoux d’un prix moyen de 530 dollars. »
« La magie de Tiffany repose sur sa capacité à permettre à une personne ordinaire de se sentir extraordinaire », déclarait Associated Press en 1998 lorsque la boutique a commencé à vendre des paquets de cartes à 12,50 dollars.
Mais les choses ne sont plus comme avant.
« Le lieu était ouvert, très chaleureux, explique une personne autrefois proche. Il est devenu plus exclusif. Lorsque vous voyez le design de la nouvelle boutique de Boston, vous n’imaginez pas que des gens vont y dépenser 200 dollars. »
Cette personne admet que, par le passé, la marque ait pu avoir besoin d’un coup de polish mais affirme aujourd’hui : « La question est de savoir jusqu’où l’on va en procédant de la sorte ? »
L’aspect qui est en cause ici, c’est le difficile travail d’équilibrage de LVMH. Tiffany a toujours attiré les jeunes consommateurs grâce à des bijoux en argent de designer peu onéreux. Acheteurs qui deviennent souvent des clients à vie.
La marque espère toujours attirer une clientèle plus jeune – et aussi plus riche. L’initiative est sensée dans des marchés comme la Chine, où les jeunes consommateurs dépensent plus que leurs parents. Mais en Amérique, être jeune implique souvent de crouler sous les emprunts étudiants et certains membres de la génération Y regardent d’un mauvais œil les marques ostentatoires. Or, Tiffany a toujours été une marque très américaine.
Dans un article du Wall Street Journal paru plus tôt en février, Alexandre Arnault, le vice-président exécutif de la marque pour les produits et les communications (et fils de Bernard Arnault), a nié que LVMH souhaitait « désaméricaniser » la société. Il a fait remarquer que lorsqu’il rachète une société – et il en a racheté des dizaines – il tente de respecter son ADN. Pourtant, son père avait déclaré qu’il voulait rendre Tiffany « un peu plus française ».
Pour être juste, Tiffany est depuis longtemps tournée vers l’étranger pour y trouver son inspiration. Son PDG actuel, Anthony Ledru, est son troisième PDG européen consécutif (à l’exclusion du bref retour de Mike Kowalski). Ce n’est pas la première fois non plus que la marque essaie de monter en gamme.
Mais la famille Arnault a mis un coup d’accélérateur. Prenez son marketing. Tiffany a toujours fait appel à des célébrités pour ses publicités. En 2017, elle s’était assuré les services de Lady Gaga. Après l’acquisition, LVMH a non seulement signé Beyoncé et Jay-Z mais également Kim Kardashian, Pharrell, Rosé, Sarah Jessica Parker, Anya Taylor-Joy, Tracee Ellis Ross et Eileen Gu.
Ses nouvelles publicités dévoilent non seulement les talents des célébrités mais également leur fortune. Avant l’acquisition, A$AP Ferg et Elle Fanning avaient dansé sur Moon River dans des vêtements du quotidien. (Il ne s’agissait probablement pas de tenues bon marché, mais quand même.) Après LVMH, Beyoncé a repris cette chanson en tenue de soirée, à côté d’un magnifique piano.
La fréquence des publicités a également changé. Autrefois, les décisions marketing de Tiffany prenaient du temps et étaient réfléchies. Aujourd’hui, le marketing est bien plus présent et plus fréquent.
Voilà qui est à la fois bon et mauvais. L’ancienne direction considérait la marque avec une extrême délicatesse, comme s’il s’agissait d’un morceau de son célèbre cristal. Mais lorsque LVMH a commencé à gérer Tiffany, la marque s’est empêtrée dans une liste impressionnante de controverses. Il y a eu les remous à propos des diamants du conflit de Beyoncé. Le retour de flamme après la campagne « Not Your Mother’s Tiffany ». Les amis de Jean-Michel Basquiat condamnant l’utilisation de ses œuvres d’art. Et aujourd’hui, une nouvelle attaque : les lunettes Tiffany portées par Pharrell ne sont que des copies d’une ancienne paire vendue par Sotheby’s.
Ces éclats n’ont pas donné lieu à de gros scandales – il s’agissait plutôt de gaffes sans grand retentissement – et on peut se demander s’ils ont mérité toute l’attention qu’ils ont suscitée. Mais la liste est tout de même longue.
Rien de tout cela n’est de mauvais augure. Comme l’explique cet article instructif, à l’ère de ce que l’on appelle l’économie de l’attention, une mauvaise presse peut parfois – mais pas toujours – devenir une aubaine. Les marques ne cherchent généralement pas à s’attirer une attention négative. Mais les attaques sur les réseaux sociaux sont devenues si fréquentes qu’elles s’oublient vite, tandis que les hordes de Twitter s’attaquent à la prochaine cible de la journée. Pendant ce temps, le profil de la marque a été mis en avant. Tiffany a été beaucoup citée dans la presse l’année dernière et, même si une part étonnante des articles étaient négatifs, il s’agissait malgré tout d’une couverture médiatique.
Alors, même si Alexandre Arnault a admis que la campagne « Not Your Mother’s Tiffany » avait provoqué un retour de flamme, il a ajouté : « Cela a aussi permis à des personnes qui n’avaient jamais pensé à Tiffany de parler de nous, ce que je considère comme un signe positif. »
Tiffany ne semble pas rechercher délibérément la controverse ; elle essaye même d’étouffer ces incendies assez rapidement. (Généralement, elle ne commente même pas.) La question des diamants de Beyoncé s’est terminée par la déclaration d’une « source », affirmant que la chanteuse était « déçue et en colère » contre le joaillier – même si, apparemment, cela n’a pas suffi pour lui faire rompre son contrat. La diffusion de « Not Your Mother’s Tiffany » a été arrêtée après moins de deux semaines.
« La marque est examinée à la loupe, et par des tireurs d’élite, a indiqué Bernard Arnault au Wall Street Journal. Il est assez fascinant de constater les réactions que nous déclenchons, que ce soit de la haine ou de l’amour. »
Toute cette actualité a renforcé le buzz autour de Tiffany. La marque veut qu’on parle d’elle et c’est bien ce qui se passe.
Au bout d’un an, il est évident que LVMH a renforcé son engagement et, surtout, ses investissements. Elle a mis sur pied un plan clair pour l’avenir, qu’elle sait comment exécuter et, même si certains pensent que cette stratégie pourrait ne pas être totalement adaptée à Tiffany, le plan a le mérite d’exister.
Pourtant, lorsque je m’entretiens avec des anciens de Tiffany et d’autres observateurs, ils notent qu’à quelques exceptions près, ni le produit ni l’expérience de retail générale n’a considérablement changé. La publicité a peut-être affirmé que Tiffany ne ressemblait plus à ce qu’avait connu votre mère mais pour l’instant, la plupart des mamans ne devraient pas être dépaysées.
« Il sera absolument essentiel de transformer le produit et la collection, a déclaré une autre personne autrefois proche de la marque. Il leur faudra au moins 18 mois pour commercialiser un nouveau produit. Tiffany est un super tanker, pas une vedette. »
LVMH « n’aura pas tout juste tout de suite », a ajouté cette personne. « Mais je suis optimiste pour le long terme. »