Les conférenciers présents à l’événement de RapNet ont souligné les défis que présente le thème de la provenance.
L’une des questions récurrentes dans l’industrie du diamant est de savoir si les acheteurs accordent de l’importance à l’origine des pierres qu’ils achètent. Pour Olivia Landau, PDG du détaillant de diamants naturels sur Internet The Clear Clut, le problème est plus profond.
« Tout le monde prend pour acquis que les diamants naturels proviennent d’un seul endroit, l’Afrique, comme s’il n’y avait qu’un seul pays en Afrique, et que par conséquent il s’agissait d’un diamant du conflit, a expliqué Olivia Landau à l’occasion d’une table ronde organisée lors du dernier salon JCK Las Vegas. Nous partons de zéro. »
Par conséquent, la première chose à faire est d’informer les clients sur la provenance des diamants, sur les avantages qu’ils procurent aux pays producteurs et sur les raisons pour lesquelles l’origine est importante, a-t-elle affirmé.
« Lorsque les clients n’ont pas été informés, que la narration n’a pas été élaborée, ils ne savent même pas qu’ils devraient poser la question de l’origine, a poursuivi Olivia Landau. Si vous interrogez un consommateur américain lambda, il ne sait même pas que certains diamants proviennent du Canada, il ne sait pas placer le Botswana sur une carte et il ne se doute probablement pas non plus que la Russie exporte des diamants. »
The Clear Cut s’appuie sur les réseaux sociaux pour informer les consommateurs, a déclaré Olivia Landau. Ainsi, la société a invité des influenceurs et des célébrités à un événement au cours duquel chaque participant a pu évoluer au milieu de stands représentant les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement. L’événement a permis de produire 50 contenus uniques destinés aux réseaux sociaux, a-t-elle déclaré.
« Les détaillants et les sociétés se doivent de créer ce type de buzz marketing pour éduquer les clients à la base », a rappelé Olivia Landau.
Des conseils pratiques
Compte tenu des sanctions occidentales contre la Russie, la question de l’origine des diamants était prégnante lors du salon JCK, qui a eu lieu du 31 mai au 3 juin. Quatre intervenants ont abordé ce thème lors de la table ronde organisée par RapNet le 2 juin, intitulée « Origine des diamants : conseils pratiques pour un achat avisé », modérée par Saville Stern, PDG de RapNet.
Les intervenants ont évoqué les aspects techniques de la traçabilité et reconnu, à l’instar d’Olivia Landau, que la sensibilisation des consommateurs était limitée.
Toutefois, des bribes d’informations peuvent déclencher l’envie d’en savoir plus chez les clients, a déclaré David Block, PDG de Sarine Technologies, une société qui propose des solutions de planification, de taille et de traçabilité des diamants pour l’industrie.
« Un client qui entre dans une bijouterie ne demande pas la provenance d’un diamant, du moins pas encore, a expliqué David Block. En revanche, lorsque vous commencez à raconter l’histoire du diamant, cela éveille une curiosité latente chez les consommateurs d’aujourd’hui, ce qui leur permet de créer un véritable lien avec la pierre. »
Les thèmes qui peuvent être abordés dans cette narration sont l’apparence d’un diamant brut, son cheminement à travers la chaîne d’approvisionnement et son impact sur les pays producteurs et l’environnement, a expliqué David Block.
Il serait ainsi possible de développer un argumentaire de vente en anticipant les préférences des consommateurs, a expliqué David Block. Il compare d’ailleurs cette situation à une autre innovation importante de l’industrie.
« Il y a de nombreuses années, les clients ne demandaient pas de diamant taille princesse car cela n’avait pas été inventé, se rappelle David Block. L’industrie a créé un nouveau produit, qui nous semblait porteur de valeur et que nous avons présenté aux consommateurs. Nous avons ensuite compris que notre invention apportait effectivement une valeur ajoutée. »
Passer à l’offensive ?
Une question se pose : l’industrie doit-elle provoquer la demande d’informations sur la provenance ou se contenter de répondre aux souhaits des clients ? Peut-être faut-il trouver une solution intermédiaire.
« On remarque des attitudes défensives et des attitudes opportunistes », a déclaré Wesley Tucker, intervenant de la table ronde et PDG de Tracr, la plate-forme Blockchain de De Beers.
Les attitudes défensives, a-t-il déclaré, sont caractéristiques des vendeurs de diamants synthétiques qui reprennent la question de l’origine à leur avantage, par exemple en commercialisant leurs pierres sous la marque « Made in America ».
Les attitudes opportunistes qualifient les vendeurs qui imaginent, à l’avance, des façons de positionner les diamants en aval de la filière, en présentant l’histoire de leur origine, comme De Beers et Rio Tinto ont tenté de le faire. « À mesure que la technologie va évoluer, cette tendance va s’amplifier », a déclaré Wesley Tucker.
David Block, PDG de Sarine, estime que les miniers abordent différemment la question de l’origine depuis un an ou deux. « Lentement mais sûrement, ils engagent des efforts pour, à leur façon, aider le consommateur à savoir d’où vient le produit, a-t-il poursuivi. Ils prennent position et ne laissent plus la corvée au détaillant. »
Aligner les critères
Sur le plan pratique, la multiplicité des méthodes disponibles pour tracer les diamants – Tracr, Diamond Journey de Sarine, le rapport Diamond Origin du Gemological Institute of America (GIA), entre autres – pourrait semer la confusion dans l’esprit des consommateurs.
Johanna Levy, vice-présidente pour les programmes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) du GIA, a affirmé que les discussions sur les différentes solutions de traçabilité devaient être laissées à l’industrie. Les joailliers n’ont pas à inonder les consommateurs d’informations sur toute la gamme des méthodes de traçage. Ils doivent se concentrer sur la cohérence de leur discours.
« Avec la multiplication des solutions, nous devons nous assurer d’œuvrer à l’élaboration d’une référence », a proposé Johanna Levy.
Au fil du temps, l’industrie va s’aligner sur les critères d’origine des diamants, comme elle l’a fait pour les définitions de certification, d’après Wesley Tucker, qui a souligné que l’origine n’était que l’un des éléments constitutifs de la notion de provenance.
Toutefois, cette avancée devrait se matérialiser par trois positionnements principaux. Les grandes marques et les joailliers insisteront pour obtenir des références plus strictes, car ce sont eux qui ont le plus à perdre en termes de réputation, a déclaré Wesley Tucker. Ces sociétés embarqueront avec elles leurs fournisseurs de diamants. (Les grandes marques n’afficheront pas la mention de la marque Tracr dans leurs boutiques mais l’utiliseront pour leur propre confort, a-t-il fait remarquer.)
D’autres seront prêts à accepter des références moins prestigieuses et plus accessibles, mais souhaiteront malgré tout un certain degré de garantie. D’autres enfin ne se sentiront absolument pas concernés.
« Chacun devra déterminer les références et le degré de garantie qu’il souhaite obtenir. En effet, c’est le détaillant ou le diamantaire qui va s’engager auprès du client, a affirmé Wesley Tucker. Si vous faites une promesse, en vous appuyant sur un système qui n’est pas fiable, vous mettez votre réputation professionnelle en jeu. »
L’industrie « commence à faire preuve […] de transparence vis-à-vis des références, en présentant différents niveaux de choix, a expliqué Wesley Tucker. Ces niveaux ne vont cesser de s’élever et les références deviendront de plus en plus strictes au fil du temps. »
Étant donné la nature « fragmentée » du segment, The Clear Cut – qui s’est associée à Tracr – aborde la traçabilité plutôt comme un avantage proposé après la vente, a déclaré Olivia Landau au public. La société collabore avec certains fournisseurs pour communiquer aux clients des informations telles que l’identifiant Tracr et l’origine du diamant.
« Ce n’est pas facile à mettre en place avant la vente, car tous nos fournisseurs n’utilisent pas les plates-formes et nous ne pouvons pas dévaloriser certaines marchandises et en promouvoir d’autres », a expliqué Olivia Landau.
Même si la certification de la source doit devenir la méthode de différentiation des diamants naturels, « il faut des liens plus étroits […] entre le producteur, la filière intermédiaire et le consommateur », a poursuivi Olivia Landau.
Des vagues et des boîtes
Certaines caractéristiques distinctives de l’industrie du diamant rendent les opérations plus complexes, comme l’assemblage des marchandises, les lots d’origine mixte et les périples sinueux des pierres entre la mine et le consommateur.
Les diamants arrivent par « vagues », et non de manière linéaire, a déclaré Wesley Tucker. Tracr a dû s’adapter pour répondre à deux mondes différents : le marché du taillé et le marché du brut.
Tracr a réussi à exploiter la technologie Blockchain pour aborder le marché du taillé, en suivant de près tout le parcours du diamant, même si la pierre change de mains à de nombreuses reprises, a expliqué Wesley Tucker.
Dans le secteur du brut, de nombreuses boîtes de De Beers – les lots de marchandises que les sightholders achètent au minier – sont échangées sur le marché. Pour aider l’industrie à préserver la traçabilité de ces pierres, Tracr permet désormais aux fabricants de transférer la propriété numérique des boîtes – chose ironique, comme le reconnaît Wesley Tucker, puisque De Beers n’apprécie pas spécialement que les sightholders « s’échangent » ses boîtes.
« Nous construisons cette réserve de disponibilité, a-t-il continué. Nous sommes effectivement arrivés à un moment charnière. Or, aujourd’hui, la filière intermédiaire est bien plus avancée technologiquement. Les professionnels ont compris ce qu’ils doivent faire. »
Le modèle d’assemblage de De Beers – qui mélange le brut issu du Botswana, d’Afrique du Sud, de Namibie et du Canada pour le vendre – assure l’homogénéité des boîtes, ce qui est avantageux pour les tailleurs, a expliqué Wesley Tucker, faisant remarquer qu’il s’exprimait au nom de Tracr et non de De Beers. Ce système confère de la valeur aux boîtes de De Beers sur le marché. Or, le modèle n’est pas exclusif à De Beers, a-t-il souligné.
« L’intention est vraiment, chez De Beers, d’aller jusqu’à indiquer le pays d’origine car […] l’histoire devient plus riche lorsque l’on évoque un seul pays, a indiqué Wesley Tucker. Les tailleurs comme les détaillants veulent connaître le véritable pays d’origine. »
À l’échelle des miniers
Tracr a ainsi passé les 12 derniers mois à tester le « désassemblage numérique ». Cette opération consiste à scanner un jumeau numérique du diamant à la mine, puis à nouveau lorsqu’il est vendu dans un écrin. Le pays d’origine peut alors être « dévoilé » plus en aval de la chaîne d’approvisionnement.
« Cela signifie que nous pouvons préserver la valeur intrinsèque de l’assemblage, un atout pour les pays producteurs, a indiqué Wesley Tucker, mais cela signifie aussi que nous pouvons désassembler numériquement ces diamants et les pousser vers l’aval. »
David Block, PDG de Sarine, convient qu’il est essentiel de scanner les pierres à la source. (La société procède à cette opération pour son produit Sarine Journey.)
« La technologie existe déjà, tout comme la capacité à suivre le diamant de la mine jusque chez le tailleur, tout au long d’un processus de négoce complexe, a déclaré David Block. Il est plutôt question d’échelle que de capacités. »
Image principale : un étudiant analyse un diamant taillé à l’aide d’une loupe et d’une pince à l’académie du diamant de De Beers à Gaborone, au Botswana (De Beers).