Le pasteur Emmanuel Momoh raconte l’histoire de la découverte du 14e plus gros diamant au monde.[:]
Les négociations débutèrent dès l’arrivée de Komba John-Bull et de quatre autres mineurs à la maison du pasteur Emmanuel Momoh, en cette nuit décisive du 13 mars 2017.
L’équipe de creuseurs pensait avoir trouvé quelque chose d’important et, tradition oblige, avoir droit à un pourboire – une rémunération – de la part de leur bailleur de fonds, détenteur des droits sur la grosse pierre trouvée plus tôt ce jour-là. Le pourboire serait une expression de confiance de sa part : la nouvelle devait être bonne.
Assis dans son salon, et intrigué par leur excitation faussement timorée, le pasteur finit par accepter un prix de 800 000 leones pour que les hommes révèlent ce qu’ils savaient – ou possédaient. Cette somme, équivalant à 100 dollars, était un bon prix, pensa-t-il, mais il fallait que ce soit important pour qu’ils aient jugé nécessaire de venir chez lui sans y être invités.
Alors que les hommes s’exprimaient avec engouement sur la question, les soupçons du pasteur furent vite confirmés. Komba John-Bull finit par mettre la main dans sa poche et, avec un sourire reflétant la teinte jaune du diamant qu’il venait de sortir, déclara en regardant le pasteur : « Voilà ce avec quoi Dieu nous a bénis cet après-midi. »
Le pasteur Momoh s’assit tranquillement tandis que les hommes spéculaient sur la grosseur de la pierre, leur excitation grimpant à chaque carat ajouté.
« Nous étions peut-être à 200 ou 300 carats mais, à ce moment-là, nous n’étions même pas sûrs que ce soit vraiment un diamant », raconte Emmanuel Momoh à Rapaport Magazine.
Il finit par renvoyer les hommes chez eux afin de pouvoir élaborer un plan d’action. S’il s’agissait bien d’un diamant pesant des centaines de carats, la découverte pourrait avoir des conséquences majeures, non seulement pour le Pasteur Momoh et son équipe, mais aussi pour leur village de Koryardu, le district de Kono et la Sierra Leone dans son ensemble.
Prise de conscience
Emmanuel Momoh sut qu’il devait en informer le chef Paul Ngaba Saquee, responsable de la chefferie où le diamant avait été trouvé – et où vivaient les creuseurs – pour s’assurer que le diamant emprunte le bon chemin avant sa mise sur le marché.
Mais Emmanuel Momoh dut d’abord s’assurer qu’il s’agissait bien d’un diamant et de son poids-carat exact.
Le pasteur se rendit donc chez l’un des plus grands négociants du district diamantaire de Kono, dont le nom restera anonyme dans cet article. Lorsque le négociant plaça la pierre sur la balance, elle pesait 706 carats – même s’il a été confirmé par la suite qu’elle atteignait 709 carats –, ce qui en fait le 14e plus gros diamant brut jamais extrait et le troisième plus gros de Sierra Leone.
C’est alors que débuta la nouvelle série de négociations d’Emmanuel Momoh.
En voyant la grosseur de la pierre, le négociant voulut l’acheter, bien qu’il n’ait pas donné de prix, se rappelle le pasteur. Pourtant, Emmanuel Momoh résista à la demande pressante de le vendre sur-le-champ. Il ne pensait qu’à avertir le chef Saquee, qui pourrait le guider au mieux dans la vente. En outre, continue le pasteur Momoh, les négociants de Kono sont réputés pour proposer des prix très bas pour les diamants achetés aux creuseurs.
Lorsque le pasteur Momoh prit congé pour aller appeler le chef, il était deux heures du matin. Frapper à la fenêtre de l’ancien du village à cette heure tardive aurait été une violation majeure du protocole. Lui et son équipe de creuseurs revinrent donc le lendemain matin et parvinrent à lui présenter le diamant.
« Je n’arrêtais pas de répéter « waouh », se rappelle le chef Saquee. C’était incroyable et je savais que cette négociation devrait être menée avec délicatesse. »
L’occasion de réaliser un rêve
Après avoir vu le diamant, le chef le rendit au négociant en geste de bonne volonté, montrant ainsi qu’il n’était pas opposé à ce qu’il lui soit vendu. Mais ils devaient d’abord informer le gouvernement de la découverte de la pierre. Le chef appela immédiatement la Maison d’État – le principal lieu de travail du président –, où avait lieu ce jour-là une réunion du cabinet. On lui indiqua le moment où il pourrait présenter la pierre aux principaux fonctionnaires du gouvernement, dont le président Ernest Bai Koroma.
Paul Ngaba Saquee prêta sa voiture au pasteur et aux creuseurs tandis que lui et le négociant se mettaient en route pour ce périple de 360 kilomètres entre Kono et Freetown, la capitale du Sierra Leone. Le chef remit volontairement le diamant aux mains du négociant pour le voyage, craignant des problèmes s’il ne le faisait pas et pour lui laisser entendre qu’il pourrait toujours en devenir l’acquéreur.
En chemin, le chef eut à résister à des pressions constantes pour vendre le diamant sans impliquer le gouvernement, recevant des appels des associés du négociant – qui se trouvaient à Anvers à ce moment-là –, sans parler des badineries incessantes du négociant lui-même dans la voiture. Mais à l’arrivée, alors que les hommes se dirigeaient vers les bâtiments du Parlement, et constatant la présence de nombreux agents de sécurité à proximité, le chef demanda à reprendre le diamant.
Tandis qu’il présentait la pierre au président, le chef ne parvint pas à contenir son excitation.
« Ça a toujours été mon rêve, explique le chef Saquee. C’était l’occasion pour nous de vendre un diamant découvert en Sierra Leone lors de tenders publics dans le pays et de ramener les bénéfices aux citoyens du pays. »
Une fois le gouvernement impliqué, le chef Saquee et Emmanuel Momoh se sentirent soulagés et capables de procéder à la vente. Mais lorsque la pierre fut placée dans un tender à Freetown quelques mois plus tard, tous deux soupçonnèrent les acheteurs d’être de mèche pour sous-évaluer son prix définitif. Au vu des offres des négociants locaux, ils eurent le sentiment que la plus haute, d’un montant de 7,7 millions de dollars, n’était pas satisfaisante pour un diamant de cette envergure.
Après avoir refusé l’offre, le chef Saquee décida que l’heure était venue de le proposer sur le marché international. Ils lancèrent un appel pour que le diamant soit vendu en leur nom. Leur choix se porta sur Rapaport Group qui convint de renoncer à ses frais et d’aider pour l’investissement ultérieur des bénéfices. Chacun des acteurs, du pasteur au président, avait besoin de conseils pour s’assurer que les fonds profitent à la communauté locale.
En dépit de ses réserves de diamants, nous fit remarquer le pasteur, Kono ne dispose pas des services rudimentaires comme l’électricité, l’eau, l’enseignement et les infrastructures. Étant le plus gros actionnaire du diamant, et comme l’équipe de creuseurs en détient aussi une part importante, Emmanuel Momoh affirme vouloir apporter une contribution importante à la communauté. Le gouvernement, de par ses droits de propriété partiels et des royalties et des impôts qu’il percevra, garantit également que les bénéfices profiteront aux miniers artisans et à la communauté. C’est notamment pour cette raison que le président le baptisa « Peace Diamond ».
La vente, souligne le chef Saquee, prouvera aux mineurs artisans qu’en déclarant convenablement leurs découvertes, plutôt que de les écouler en contrebande ou de se faire voler par des hommes d’affaires peu scrupuleux se faisant passer pour des négociants, ils percevront une rémunération convenable. Quand ce sera enfin le cas, la Sierra Leone et le district de Kono pourront tirer de nombreux bénéfices des richesses de la région.
« Le Peace Diamond va nettement améliorer la vie de nos populations car il va permettre d’apporter de l’eau potable et de l’électricité et d’ouvrir des écoles, des installations médicales, des ponts et des routes vers nos villages et vers le district de Kono, affirme Emmanuel Momoh. Ce diamant, c’est notre espoir d’un avenir meilleur, pour que les ressources de Sierra Leone financent la croissance, le développement et l’emploi. »
Photo © Rapaport, DC.