La question est épineuse et les arguments des deux parties bien huilés et sincèrement exprimés. Néanmoins, les tenders sont-ils en train de léser une grande partie de l’industrie ? [:]D’un côté, les petites et moyennes entreprises affirment qu’elles ne peuvent pas enchérir, ne disposant manifestement pas de la puissance de feu financière pour s’assurer les marchandises. D’autre part, dans les tenders, les prix ont tendance à atteindre des niveaux irréalistes. Quiconque a assisté à des enchères connaît ce sentiment d’euphorie, qui vous pousse parfois à enchérir pour un article qui vous a tapé dans l’œil. Vous vous laissez emporter et proposez un prix bien plus élevé que ce que conseillerait le bon sens commun.
Tous les grands producteurs – la De Beers, Rio Tinto et ALROSA –, satisfaits de l’efficacité du système, vendent une partie de leurs marchandises par le biais de tenders. La plupart des miniers de petite et moyenne taille, qui se sont établis ces dix dernières années, vendent aussi leur production dans des tenders. Les producteurs affirment que le moyen est équitable et transparent ; malgré cela, l’opposition semble généralisée au sein de l’industrie.
Les petits et moyens fabricants, qui constituent la grande majorité du marché, souffrent de ce système. Ne disposant pas des moyens financiers des grandes sociétés, de nombreuses petites structures ne peuvent même pas se permettre d’assister aux ventes internationales et encore moins d’enchérir contre les grandes maisons, capables de pousser les prix à des niveaux inatteignables pour leurs petits concurrents. Il y a quelques années, l’Assemblée Générale du WFDB a appelé les producteurs de brut à conserver des quantités de marchandises suffisantes, pour les vendre en dehors des tenders.
Les membres du WFDB se sont dits mécontents des tenders, qui empêchent les sociétés d’organiser leur approvisionnement régulier en marchandises pour réaliser leurs programmes. De même, lors des tenders, les fabricants rencontrent des difficultés pour savoir quelles marchandises acheter, et à quel prix, un facteur négatif dans la planification stratégique à long terme. Dès lors, les producteurs eux-mêmes devraient en conclure qu’ils ont tout intérêt à réduire la quantité de marchandises proposées en tenders ou à faire appel à un canal de vente différent. Au final, ils sont tributaires de la bonne santé de l’industrie de la fabrication.
« Les producteurs qui vendent des marchandises en tenders affirment qu’ils peuvent ainsi atteindre le prix du marché, au moment de la signature. Ils obtiendraient alors une image précise de la situation et des tarifs, ce qui rendrait le système équitable pour tous », m’a affirmé un haut responsable de la bourse du diamant d’Israël. « Pour moi, les prix obtenus sont plus équitables pour les producteurs que pour les acheteurs. C’est une politique sans vision à long terme ; je crois que les producteurs devraient de nouveau s’interroger sur ce moyen de vendre leurs diamants. »
« On ne réalise pas toujours parfaitement à quel point les petits et moyens diamantaires sont essentiels pour l’ensemble du secteur. Ils achètent souvent des pierres qui n’intéressent pas les grandes entreprises, car leurs acheteurs veulent des pierres particulières, dont les grandes entreprises n’ont pas l’utilité. »
Parallèlement, un grand fabricant belge expliquait : « Je travaille dans ce secteur depuis plus de 40 ans et je n’ai jamais vu un tender qui soit intéressant – soit vous payez trop cher, soit vous obtenez des diamants dont vous ne voulez pas ou dont vous n’avez pas besoin. Ce système est peut-être l’aspect le plus négatif du marché. Il entraîne les participants dans leurs derniers retranchements, ce qui pourrait être dangereux. »
Non seulement il s’oppose aux tenders, mais il refuse même d’acheter à des producteurs qui lui proposent des diamants invendus lors des tenders, à des prix attractifs. « J’ai la chance de pouvoir le faire ; ce n’est pas le cas de tout le monde. Je ne ferai rien pour encourager les tenders, même si je pourrais très facilement accepter des invendus de tenders et les transformer de façon très rentable. Les tenders risquent d’augmenter la volatilité du marché et d’encourager l’achat spéculatif. »
Un fabricant indien a déclaré, avec cynisme, qu’il pensait que de nombreux diamants proposés en tenders avaient déjà été refusés par les principaux fabricants, clients des producteurs. « Ils ont aussi été parfaitement répertoriés. Les vendeurs savent donc exactement ce qu’ils ont en mains et les prix qu’ils veulent recevoir. Les tenders ne sont pas vraiment l’endroit pour faire de bonnes affaires. »
Toutefois, les tenders peuvent assurer davantage de transparence et de visibilité, dans ce que l’on peut effectivement qualifier de marché assez fermé. Ils offrent aux producteurs un instantané de l’état du marché, tout en permettant aux acheteurs de découvrir d’autres types de diamants, auxquels ils ne sont peut-être pas habitués.
Enfin, les tenders peuvent servir de méthode marketing efficace pour certains types de pierres, comme les « Specials » de Rio Tinto, de 10,8 carats et plus, que la société vend exclusivement dans des tenders depuis de nombreuses années. En outre, la société vend chaque année, depuis 25 ans environ, ses 50-60 plus beaux diamants roses d’Argyle. Personne ne pourrait sérieusement prétendre que ces diamants pourraient être vendus d’une autre manière, a déclaré un dirigeant de Rio Tinto.
Face à l’argument selon lequel il s’agit de diamants gros et coûteux, pour lesquels l’intérêt ne peut être que limité de la part de fabricants ou de bijoutiers aux moyens importants, le dirigeant affirme que l’industrie peut profiter des tenders, car ils offrent un équilibre entre « des mécanismes de vente différents, mais complémentaires ».
Il souligne également que les principaux producteurs de diamants vendent, pour la plupart, à un groupe relativement stable de clients. Cela contribue à générer de l’efficacité dans l’industrie, en veillant à une répartition plus efficace des marchandises, une chaîne d’approvisionnement plus légère et un environnement plus prévisible, lequel, à son tour, est propice aux investissements à long terme dans la technologie et le développement du marché.
La De Beers affirme que seulement 10 % de ses marchandises sont vendus par l’intermédiaire de son unité Diamdel. Sur cette quantité, 70 % sont proposés lors de tenders. La plupart des diamants sont vendus au moyen de contrats fixes. Or, la société exploite les données recueillies sur les marchandises vendues aux enchères pour obtenir une indication précise des prix.