Y a-t-il un quelconque mérite à critiquer la manière dont l’industrie diamantaire indienne a recours aux financements bancaires dans « le but mesquin et destructeur de spéculer sur les prix du brut [sic] », comme vient de le faire le nouveau président de l’IDMA (l’International Diamond Manufacturers Association) ?[:] Ou bien les représentants indiens du secteur font-ils simplement bon usage des avantages que leur offre leur gouvernement, comme c’est le cas dans tous les centres de négoce du diamant ?
Cette critique quelque peu acerbe de l’industrie indienne par Maxim Shkadov en a fait sourciller plus d’un, et en a fait ricaner d’autres. Après tout, dans les autres capitales du diamant, nombreux sont ceux qui estiment que ces financements bancaires des plus généreux et bon marché constituent un avantage déloyal en faveur des négociants indiens.
Ce n’est pas la première fois que Maxim Shkadov, le directeur général de la Kristall Production Corporation (Kristall de Smolensk) critique l’Inde et son industrie diamantaire. En mars 2012, le ministre indien du Commerce, de l’Industrie et du Textile avait demandé au Gokhran, l’Agence d’État russe des métaux et pierres précieuses, de vendre du brut à l’Inde. Maxim Shkadov avait estimé cette requête « contraire à l’éthique ».
Des règles du jeu inégales ?
L’industrie diamantaire représente 7,5 % du total des exportations indiennes. Autant dire qu’elle y contribue de manière importante. Pour atteindre de telles proportions, le gouvernement indien a décidé, il y a plusieurs années, d’encourager les exportations (toutes, pas uniquement celles de diamants). Il a également adopté une loi exigeant que les banques indiennes allouent un pourcentage de leurs actifs au financement des exportateurs. Ce financement en dollars bénéficie de taux réduits. Fatalement, certaines banques ont choisi de soutenir le secteur diamantaire.
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Cette mesure, engagée par le gouvernement, n’a rien d’exceptionnel. Tous les pays prennent des mesures pour développer et soutenir leurs industries ; l’industrie diamantaire en a bénéficié dans le monde entier. Le Botswana, la Namibie et l’Afrique du Sud ont pour ainsi dire obligé la De Beers à octroyer des marchandises à l’industrie locale afin de développer des usines « d’enrichissement », le meilleur exemple étant les usines de taille.
Ces conditions favorables existent également en Israël : les négociants y sont exemptés d’impôt sur les importations de diamants, et ne paient qu’une taxe dérisoire de 1,75 ‰ sur les exportations, laquelle est directement affectée aux initiatives commerciales de l’industrie locale et à d’autres programmes similaires.
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« Tous les pays prennent des mesures pour développer et soutenir leurs industries ; l’industrie diamantaire en a bénéficié dans le monde entier. »
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La Russie ne fait pas exception, comme Maxim Shkadov l’a lui-même souligné l’an passé. Il avait annoncé à l’époque que les ventes de brut provenant des stocks du Gokhran étaient « réalisées uniquement en faveur des fabricants russes, en vertu de la législation budgétaire ». Alrosa est effectivement tenue de fournir une partie de sa production aux fabricants russes.
Voilà 50 ans que le gouvernement russe a mis sur pied ce programme de valorisation qu’est le Kristall. Pendant la majeure partie de ce demi-siècle, et jusqu’à il y a quelques années seulement, la société a bénéficié d’une attribution subventionnée de brut.
Tirs croisés
L’industrie indienne, se sentant prise de court, a rapidement estimé que les dernières remarques de Maxim Shkadov étaient « de mauvais goût ». Vipul Shah, président du Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC), a fait part de son « profond mécontentement ».
Il est cependant vrai que certains négociants indiens ont profité de façon éhontée des avantages financiers qui leur étaient offerts et les « allers-retours » sont devenus un véritable problème entre 2008 et 2011. Cela dit, l’industrie indienne a bien compris qu’il fallait mettre un terme à cette pratique : en janvier 2012, dans une formidable impulsion, elle a fait pression sur le gouvernement afin qu’il prélève un impôt de 2 % sur les importations de taillé. Résultat, en février, les importations de taillé ont chuté de 80 % et les exportations de 53,7 %. (De septembre à décembre 2011, les exportations de taillé représentaient 4,2 milliards de dollars. Un an plus tard, elles étaient tombées à 1,9 milliard, soit moins de la moitié).
Maxim Shkadov a peut-être commis une erreur. Cela arrive aux meilleurs d’entre nous ; il faut ensuite voir comment elles sont réparées. En tant que président de l’IDMA, il représente tous les fabricants, et la majorité d’entre eux, que l’on compte en valeur, en volume ou en nombre de personnes, sont indiens. Il n’a pas abordé le problème de manière constructive, mais s’est contenté de traîner la plupart d’entre eux dans la boue. Ce sont pourtant eux qui supportent la majeure partie du fardeau. Il existe de meilleurs moyens d’appréhender cette question.
Les mêmes règles pour tout le monde ?
Les fabricants évoluent dans le secteur le plus sensible de l’industrie. Ils se battent constamment pour obtenir et conserver des avantages. Ils installent donc leurs exploitations là où cela semble le plus sensé du point de vue économique : soit parce que la main-d’œuvre ne coûte qu’une bouchée de pain, soit parce que les gouvernements rendent obligatoire l’accès aux stocks locaux de brut.
Que l’on évoque les exonérations d’impôts (Israël, Dubaï), les propriétés d’État (Russie, Botswana, Afrique du Sud), les réquisitions du stock local (Russie, Botswana, Namibie, Canada, Afrique du Sud), les subventions (Russie, Inde) ou toute autre mesure prévue pour aider les entreprises locales, il s’agit à chaque fois d’une politique de valorisation. Ou, comme a pu le suggérer Maxim Shkadov, de protectionnisme.
En réalité, au grand jeu du diamant, les règles sont constamment réinventées. Chacun essaie de les faire jouer en sa faveur. Sur un marché concurrentiel, les meilleurs essaient toujours d’obtenir un avantage et les règles finissent toujours par les favoriser. Le tout est de ne pas laisser la situation dégénérer et d’agir dans l’intérêt des marchés locaux et internationaux.