Les leçons à retenir du cas Victoria’s Secret

Emili Vesilind

Victoria’s Secret est connue pour ses anges, un groupe de super-mannequins, au corps parfait, parées de soutiens-gorges push-up et d’ailes d’anges, lors de défilés excessifs diffusés à la télévision… depuis des décennies.

Mais ces événements qui, en leur temps, étaient perçus comme amusants et ambitieux dérangent maintenant les clients. Ces dernières années, ceux-ci ont montré davantage d’amertume face à la promotion de la marque, axée sur une beauté inatteignable (qui, a posteriori, a toujours semblé destinée davantage au regard des hommes qu’aux consommatrices que Victoria’s Secret cherchait à habiller).

La société, détenue par L Brands, se débat depuis des années. Elle est considérée comme trop peu visionnaire pour s’adapter aux changements de priorités et de comportements des consommateurs – y compris sur les réseaux sociaux. Les clients suivent désormais le mouvement de la positivité du corps et les profils montants de marques de lingerie qui proposent des grandes tailles, comme Third Love et Fenty de Rihanna.

Confrontée à l’effondrement de ses ventes, Victoria’s Secret a récemment rebondi, engageant un nouveau PDG (l’ancien avait des liens sociaux avec Jeffrey Epstein) et un nouveau conseil d’administration, presque entièrement constitué de femmes. Elle a également échangé sa tribu de top-modèles pour une série de nouvelles ambassadrices qui, ensemble, sont le symbole de l’inclusivité et de la diversité modernes. La star du football Megan Rapinoe, l’actrice Priyanka Chopra Jonas, le mannequin grandes tailles Paloma Elsesser et le modèle transgenre Valentina Sampaio figurent parmi les nouveaux visages de la marque.

Reste à savoir quelle sera la réaction des consommateurs au virage à 180 degrés de l’état d’esprit de la société. Sera-t-il perçu comme opportuniste ? Comme un exercice destiné à cocher les cases culturelles et attirer les consommateurs ? Seul l’avenir nous le dira.

Mais quelle que soit la réponse du marché, le renouveau du branding de la société est un exemple intéressant pour toutes les marques, y compris les sociétés de joaillerie, figées dans des méthodes marketing vieille école : n’engager que des modèles taille 34, les photographier en robes de soirée, parées de diamants, marchant nonchalamment le long d’un chemin escarpé (ou sur tout autre arrière-plan incongru).

Ce revirement pourrait se révéler très précieux pour les marques de bijoux qui continuent à promouvoir leurs marchandises – y compris les bagues de fiançailles – uniquement auprès des hommes, plutôt qu’auprès des femmes qui les portent.

Car le marketing pour les femmes a considérablement changé ces dix dernières années. Et cela est dû en grande partie au fait que les réseaux sociaux sont devenus de grands médias. En 2021, ils apparaissent comme un facteur de poids pour influencer les choix et les comportements des consommateurs.

De nouvelles tendances, des idées, des mots nouveaux et des styles sont nés sur Instagram et TikTok. Et si vous avez récemment passé du temps sur ces plates-formes, vous voyez que l’artifice disparaît (ce que les utilisateurs recherchent littéralement), tandis que la diversité, l’authenticité, la compassion et l’absence de complaisance sont rois.

Compte tenu du pouvoir de persuasion des réseaux sociaux, des industries, comme celle de la joaillerie, ne peuvent plus espérer que les femmes s’extasient sur des images photoshopées de cellulite et des représentations idéales d’une féminité sans rides.

Bien sûr, les Kardashian continuent de faire recette, étalant leur marque de beauté soumise aux filtres (et à la chirurgie). Mais l’idée de perfection, en matière de féminité, est battue en brèche à de nombreux égards et ces défis engendrent un changement réel. Ashley Graham, mannequin grandes tailles, l’une des perturbatrices les plus influentes sur le plan culturel, expose fièrement ses vergetures de grossesse sur Instagram et est l’une des modèles les mieux payées au monde.

Et tandis que les consommateurs deviennent de plus en plus avisés et tiennent compte de la transparence, du développement durable et de la philanthropie lorsqu’ils veulent acheter, l’Amérique des entreprises n’a d’autre choix que de s’aligner sur le ton et l’aspect des plates-formes sociales sur lesquelles elles sont présentes. Ignorer ces vagues culturelles de changement, comme l’a fait Victoria’s Secret pendant si longtemps, présente un risque pour sa survie.

De Beers, le plus grand producteur de diamants au monde, a commencé à renoncer à un marketing des diamants et des bijoux exclusivement destiné aux hommes et à s’adresser aux femmes vers 2017. Cette année-là, Stephen Lussier, dirigeant de De Beers, a déclaré dans un discours : « Selon la vieille méthode, un homme disait : « Merci. Je t’offre ce diamant. » Ce n’est pas ainsi que les femmes veulent recevoir un cadeau de nos jours… Dans la publicité, le soutien de famille a toujours dit : « Merci de prendre soin de la famille pendant que je fais autre chose. » Mais dans ce monde nouveau, il doit dire : « Je suis fier de toi, pour tout ce que tu fais. » Nous engageons ce virage et nos diamants continueront de représenter ce symbole. C’est très subtil. »

Quatre ans plus tard, ce virage n’a probablement plus besoin d’être subtil. Bien sûr, les hommes achètent des bijoux et en achètent de plus en plus pour eux-mêmes (grâce à Harry Styles et ses perles). Et bien sûr, ils jouent toujours un rôle, souvent important, dans les ventes de bagues de fiançailles et de bijoux pour des occasions spéciales.

Mais les femmes sont, très majoritairement, le public et le principal consommateur de joaillerie. Leur pouvoir d’achat est destiné à augmenter. Elles ne s’intéressent plus à la perfection angélique – elles veulent de l’authentique.

Source JCK Online


Photo © Victoria’s Secret.