Parmi les évolutions significatives qu’a connues l’industrie du diamant en 2012, soulignons une prise de conscience croissante de la différence de prix entre le taillé teinté et non teinté. En effet, les négociants ont appris à reconnaître que les pierres de couleur brun-vert proviennent des mines de Marange, au Zimbabwe.[:]Malgré les sanctions, une quantité croissante de ces marchandises passent outre les restrictions légales et sont certifiées aux États-Unis sans déclaration, une source de préoccupation grandissante. Résultat, les négociants qui les identifient achètent des marchandises teintées avec un rabais d’environ 10 %.
Il existe une demande certaine pour les diamants de Marange. Les négociants qui achètent ces marchandises, moins onéreuses, les mélangent à des diamants non teintés et les revendent au consommateur final – ignorant de cette pratique – et ce avec des marges supérieures à la moyenne.
Il est donc nécessaire que la profession déclare ces diamants, afin d’assurer des pratiques commerciales justes et le respect des considérations éthiques.
À l’instar des diamantaires qui reconnaissent les marchandises teintées, les consommateurs exigeront le certificat du diamant, pour s’assurer que la pierre provient bien d’une source éthique et qu’elle n’est pas teintée. Une série d’articles publiée cette semaine par McKinsey & Company montre que les consommateurs du monde entier affirment, de plus en plus, être prêts à payer un premium pour bénéficier de produits issus du développement durable et préfèrent avoir affaire à des entreprises dont ils partagent les valeurs et à qui ils accordent leur confiance.
L’industrie diamantaire ne peut plus ignorer cette tendance. Elle doit s’assurer que les sanctions ne sont pas ignorées et garantir que les diamants de Marange sont déclarés.
Malgré tout, la profession peine à tenir ces deux promesses ; les organisations se montrent timides au moment de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils allègent les sanctions et les fabricants ont des difficultés à vendre leurs diamants de Marange sur des marchés où ils ne sont pas autorisés.
En réalité, la question du commerce illégal des diamants de Marange n’est pas complètement réglée aux États-Unis et en Europe. Elle donne même aux tailleurs une opportunité de tirer profit de ces marchandises.
Comme l’a récemment expliqué Martin Rapaport, président du Rapaport Group, dans un article intitulé « Moral Clarity and the Diamond Industry » (« L’industrie diamantaire et la pureté morale »), si un tailleur peut acheter du brut de Marange 25 % moins cher, le tailler, puis le mélanger à des diamants de sources respectables, il peut en tirer un profit non négligeable, en le vendant à un prix supérieur aux attentes.
Ces tailleurs pourront également échapper aux inévitables réactions des acheteurs. Dans la plupart des centres de taille, notamment en Inde, les diamants de Marange sont parfaitement légaux et les fabricants ne risquent pas autant leur réputation que les revendeurs américains et les marques internationales, a souligné l’article.
« Du point de vue des acheteurs américains, les diamants de Marange sont toxiques. Ils ne sont ni éthiques, ni légaux, mais en plus, ils font l’effet d’une bombe sur le marché, a expliqué Rapaport. Les négociants qui trichent achètent à bas prix dans un environnement ultra-compétitif. Face à ces revendeurs de diamants illégaux, les négociants et revendeurs légitimes risquent de voir leur chiffre d’affaires diminuer. »
L’article conclut que les acheteurs américains doivent insister pour que les marchandises de Marange soient séparées au cours du processus de fabrication, comme le sont les autres diamants : en fonction de leur pureté, de leur certification ou encore du fait qu’ils soient traités, synthétiques ou naturels.
Le World Diamond Council (WDC) et tous ceux qui, comme lui, affirment qu’il est impossible de séparer les marchandises de Marange se montrent donc irresponsables ; ils sont à l’origine d’un véritable conflit d’intérêts pour ces organisations. Il en va de même de leur demande d’adoucir les sanctions. En cherchant à légitimer les marchandises de Marange aux dépens de l’industrie américaine, agissent-ils vraiment dans l’intérêt du secteur de la taille ?
Le point de vue du Rapaport Group ne laisse aucun doute.
« Il est incompréhensible que les détaillants et négociants américains soient représentés par une organisation qui prêche le mélange et la légitimation de diamants illégaux et contraires à l’éthique. Il est déjà terrible que le WDC œuvre contre l’intérêt de l’industrie diamantaire américaine, mais il est scandaleux que nous le laissions nous représenter contre nos propres intérêts. En légitimant et en soutenant une organisation qui s’oppose aux lois et aux valeurs de leur pays, les grands noms et les diamantaires américains sont dans l’erreur. »
« Le Rapaport Group appelle tous les membres légitimes de l’industrie, et en particulier les Américains, à démissionner publiquement du World Diamond Council », a cité Rapaport dans son article.
Dans une lettre ouverte à la profession (en anglais), Cecelia Gardner, présidente du Jewelers Vigilance Committee (JVC), qui conseille le WDC sur le plan légal, a répondu aux requêtes demandant que le JVC cesse de représenter le WDC. D’après elle, le JVC doit maintenir sa position auprès du WDC pour continuer à diffuser le point de vue américain auprès de la communauté internationale sur les questions de conformité légale, d’éthique et d’intégrité. Cecelia Gardner a longuement considéré le défi que représentait la participation des États-Unis au WDC, les nombreux conflits d’intérêts internationaux n’offrant pas un reflet fidèle des joailliers américains.
La décision du JVC reviendra certainement le hanter. Au lieu d’agir pour l’industrie américaine, les États-Unis et le JVC n’auront vraisemblablement d’autre choix que de transiger sur leurs valeurs, comme lors de la discussion entre le WDC et le Kimberley Process (KP) au sujet du Zimbabwe. Cela recommencera. Le KP est trop centré sur les miniers et le WDC sur les tailleurs pour que la discussion prenne une autre tournure.
D’un autre côté, la démission du JVC éviterait ce compromis et enverrait un message clair et percutant quant aux intérêts et aux valeurs des joailliers et des consommateurs américains.
En Europe aussi, ces concessions sur les valeurs inquiètent. Cette semaine, Global Witness a mis en garde les dirigeants européens, en leur demandant de ne pas tenir compte des appels de la Belgique à abandonner les sanctions contre les intérêts miniers du Zimbabwe, mais plutôt de renforcer les mesures visant à restreindre les ventes des diamants de Marange en Europe.
Chaque groupe a ses propres intérêts à cœur. Comme l’affirme Global Witness, le gouvernement belge clame son inquiétude pour les Zimbabwéens. Ses véritables intérêts sont pourtant nationaux et se situent plus précisément du côté du marché diamantaire d’Anvers. Les négociants de ce pays et en Inde cherchent de nouveaux moyens de vendre leurs marchandises de Marange.
Le Zimbabwe ne manque pas d’acheteurs pour son brut, bien qu’il ait certainement espéré un environnement économique plus solide afin d’obtenir de meilleurs prix. Le pays aurait produit environ 12 millions de carats en 2012 et devrait, selon le budget proposé en novembre par Tendai Biti, le ministre des Finances zimbabwéen, en produire 16,9 millions cette année. Les dernières données du KP annoncent une production de 8,5 millions de carats en 2011.
Tendai Biti note également un manque-à-gagner pour le Trésor dans les revenus liés aux diamants. Il a annoncé que, même si les exportations ont plus que doublé sur les 10 premiers mois de 2012 en glissement annuel, à 563 millions de dollars, seuls 43 millions de dollars de dividendes ont été versés au Trésor à cette date.
« Bien qu’il y ait des sanctions américaines à l’encontre des ressources de Marange, celles-ci n’expliquent pas l’absence de paiement quand des ventes ou des exportations ont bien eu lieu, a-t-il constaté. Nous ne pouvons pas nous permettre de donner l’impression qu’il existe de la corruption ou des activités fiscales parallèles en rapport avec nos diamants. »
Ces déclarations apportent de l’eau au moulin de Global Witness, qui affirme que certains revenus générés par les diamants sont remis aux forces de sécurité contrôlées par le Zanu-PF. Il y aurait alors un risque sérieux que ces revenus soient employés pour financer des violences autour des élections de cette année. De telles inquiétudes ne rappellent que trop la nécessité de ces sanctions.
En fin de compte, le Zimbabwe continuera à vendre ses diamants et les tailleurs chercheront à les commercialiser. Au marché et à ses représentants de s’assurer qu’ils ne viendront pas compromettre leur légalité ou leur réputation. Comme Rapaport conclut dans son article, « les entreprises doivent prendre conscience que la gestion de la chaîne logistique ne consiste pas uniquement à contrôler la casse. Il est aussi question de payer un prix plus élevé pour des diamants et des bijoux de marques d’origine éthique. »
Les premiums récemment exigés pour les marchandises non teintées en témoignent. Au bout du compte, les consommateurs suivront le mouvement. Ils veulent des produits d’origine éthique et ils sont prêts à en payer le prix. Le secteur du diamant n’a d’autre choix que de respecter cette volonté.