La chute spectaculaire de la roupie, aussi bien cette semaine que ces derniers mois, contraint l’Inde à préciser sa position sur le marché du diamant. Les grands fabricants indiens devraient profiter de la dépréciation de la monnaie. Leur activité commerciale pourrait malgré tout rester compromise. [:]
La roupie a atteint un plus bas historique, à 69,22 pour un dollar mercredi 28 août. Il s’agit de sa plus forte chute en une journée depuis 18 ans. Dès lors, le niveau des 70 ne semble plus aussi inatteignable. La devise a perdu plus de 17 % en valeur depuis le début de l’année. Ces brusques reculs avaient commencé à la mi-mai.
Bien entendu, cette faiblesse de la roupie ne contribue guère à renforcer le marché national des diamants et des bijoux. Le coût de la vie a augmenté dans le pays ; quant à la confiance des consommateurs, elle a reculé parallèlement au ralentissement de la croissance économique. Les bijoutiers de gros et de détail sont déjà confrontés à des droits d’importation prohibitifs de 10 % sur l’or, imposés par le gouvernement pour réduire le déficit du compte courant. Aujourd’hui, ils doivent également faire face à l’escalade des prix des produits achetés en dollars. Les prix de l’or en roupies ont atteint un record cette semaine.
Par conséquent, la demande nationale de bijoux en diamants, qui représente à peu près 9 % du total mondial, a reculé ces derniers mois. Les intervenants à la récente Conférence internationale sur le diamant (IDC) de Rapaport, à Mumbai, prévoient une croissance modérée à moyen terme, principalement en raison de facteurs macro-économiques.
Le secteur de la fabrication en Inde subit lui aussi les effets de la faiblesse de la monnaie. Le crédit bancaire local est assuré en roupies ; or, si l’on tient compte uniquement de la traduction des taux de change, le brut, déjà coûteux, s’est apprécié de 17 % pour les acheteurs indiens endettés. De nombreux fabricants, petits et moyens, qui approvisionnent le marché local, ont donc fermé leurs usines ou déplacé leurs opérations vers l’échange de taillé.
Toutefois, les grands fabricants, qui ont accès à un financement en dollars, et qui approvisionnent le marché de l’exportation, ont tout à y gagner. La faiblesse de la roupie pourrait bien augmenter l’avantage concurrentiel de l’Inde dans le secteur de la fabrication, car les coûts de main-d’œuvre en dollars ont considérablement baissé. Tant qu’ils sont financés en dollars, et qu’ils achètent et vendent en dollars, leurs coûts en roupies restent inférieurs.
Cependant, pour en profiter pleinement, ils vont devoir œuvrer à réduire les prix du brut. Le collectif indien jouit toujours de l’influence nécessaire pour y parvenir. Quant à la situation des liquidités, elle devrait obliger les fabricants à refuser du brut onéreux. Les premières annonces d’une baisse des prix des petites marchandises, lors du sight de la De Beers de cette semaine, sont donc encourageantes.
Autrement dit, l’Inde a tout intérêt à exploiter sa position dans le domaine de la fabrication.
La perspective de faire de Mumbai le principal centre d’échange de brut et de taillé au monde semble évanouie. Les mesures gouvernementales ont découragé les sociétés étrangères d’exercer dans le pays. Preuve en a été l’absence d’une présence internationale lors du récent salon IIJS.
Les prévisions que nous avancions dans cette rubrique en mars 2012, après l’introduction par le gouvernement d’un droit à l’importation de 2 % sur le taillé, se sont révélées correctes. « Au final, la taxe limitera l’avantage concurrentiel de l’Inde et, ce-faisant, les opportunités de croissance de l’industrie locale », écrivions-nous à l’époque (voir l’éditorial « Protecting India », publié le 2 mars 2012). Certes, l’obligation était destinée à renforcer les fabricants locaux face à la hausse de la concurrence des négociants étrangers. Mais elle a aussi eu pour effet de diminuer l’importance de Mumbai, en tant que plaque tournante des échanges.
Enfin, cette semaine, le Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) s’est prononcé contre les mesures gouvernementales, en se concentrant cependant sur le secteur de l’or. Vipul Shah, son président, a déclaré s’attendre à ce que le chômage augmente dans le secteur de la joaillerie. Les droits d’importation sur l’or sont en effet récemment passés de 8 % à 10 %.
« Le secteur va être confronté à un problème. D’autre part, il n’y aura pas d’or à disposition. Il n’y aura donc pas de travail, d’où l’augmentation du chômage, a déclaré Vipul Shah à SME Times. Nous voulons que le gouvernement réévalue la hausse [des] droits à l’importation. »
Pourquoi ne pas inclure, dans cet appel, une demande visant à supprimer les droits de 2 % sur les importations de diamants ? En effet, d’autres centres diamantaires ont pris bonne note de la position vulnérable de l’Inde.
Les négociants israéliens et belges, entre autres, flairent l’opportunité. Les conversations animées à l’Israel Diamond Exchange (IDE), cette semaine, en témoignent. Cette année, les négociants internationaux se concentrent sur la semaine américaine et internationale du diamant à Ramat Gan, plutôt que sur l’IIJS. Ils entendent créer une dynamique, avant le très important salon de Hong Kong en septembre. Les prix étaient stables en Israël, mais les craintes progressent : que les fournisseurs indiens se débarrassent de leurs marchandises à bas prix, à Hong Kong, pour obtenir des liquidités.
Beaucoup de choses dépendent des liquidités. Les banques indiennes, souvent blâmées pour leur responsabilité dans la bulle des prix du brut, en raison de l’accès facile au crédit ces dernières années, sont en train de changer de politique. Les réglementations bancaires mondiales les obligent d’ailleurs à insister sur les normes internationales et sur une plus grande transparence ; dans le même temps, les défaillances de grands noms les ont amenées à faire preuve de davantage de prudence envers l’industrie. Enfin, leur propre exposition à une roupie faible a également contribué à cette tendance.
Le resserrement du crédit, couplé à des prix élevés du brut et à la chute de la roupie, a provoqué une crise des liquidités dans le secteur de la fabrication en Inde. Tant que les liquidités continueront de diminuer, il en ira de même de la capacité de l’Inde à acheter du brut. Les prix devraient donc reculer dans les prochaines semaines, entraînés par la roupie. Les tailleurs locaux pourraient alors profiter d’un avantage concurrentiel dans la fabrication, puisque les coûts du travail diminueraient.
La sur-réglementation et la dépréciation de la roupie semblent avoir acculé l’industrie diamantaire en Inde au domaine de la fabrication. C’est là que réside sa force ; c’est aussi là qu’elle peut conserver son avantage concurrentiel.
En définitive, il faudra un certain temps avant que la position de l’Inde ne soit fixée. Beaucoup ont prédit que la roupie atteindrait le niveau des 70 pour un dollar pendant un certain temps. Aujourd’hui, la devise ayant presque atteint ce niveau, on ignore jusqu’où elle continuera de baisser. Un niveau de 75, voire 80 roupies pour un dollar n’est pas inimaginable.
Aujourd’hui, l’industrie en Inde paraît, par conséquent, se trouver dans un état de transition. Malgré les parts de marché sagement gagnées par le pays en matière d’échanges, il y a quelques années, cet avantage s’érode lentement. Ainsi, même si le reste de l’industrie des diamants et de la joaillerie en Inde lutte pour sa stabilité, les grands fabricants, environnés de perspectives obscures, voient un peu de lumière au bout du tunnel.