Imaginez ceci : une société d’extraction travaillant avec des camions autonomes qui chargent le minerai jusqu’à l’usine de transformation, où le brut est séparé des résidus et disposé en fonction des grosseurs, avant d’être envoyé dans la structure d’assemblage.[:] Les marchandises sont placées dans des machines qui déterminent leur potentiel de couleur et de pureté, tout en évaluant la meilleure destination possible pour la pierre, étant donné les différentes options d’assortiment. Les diamants passent ensuite par le mécanisme de planification informatisé de la société qui analyse la façon d’obtenir le meilleur rendement possible lors de la taille.
À partir de là, les pierres sont expédiées au service de taille, où des machines utilisent l’intelligence artificielle (IA) pour réaliser le processus de taille et de polissage. Le diamant obtenu se voit assorti d’un grade par le biais de systèmes automatisés qui traitent les 4C. Il est ensuite expédié au joaillier ou au consommateur et toutes ses informations sont transférées dans un programme de traçabilité basé sur la blockchain ou le nuage.
Ce processus a été présenté comme une possibilité réelle lors d’un atelier de discussions à la Dubai Diamond Conference, organisé sur le thème « Disruption dans les diamants ». La séance était axée sur la question : En quoi une hausse de l’automatisation de la fabrication affectera-t-elle notre chaîne d’approvisionnement ? L’animateur Anish Aggarwal, créateur du cabinet de conseil Gemdax, est même allé plus loin : Quelles seront les conséquences de l’automatisation pour les centaines de milliers de travailleurs employés dans le secteur de la fabrication ? Et combien de temps faudra-t-il avant que nous parvenions à l’automatisation complète du processus de fabrication ?
Les participants étaient d’accord, ce sera plus tôt qu’on le pense.
« Des pressions se font sentir sur le marché, tout comme une forte attente d’une solution, a indiqué Bernold Richerzhagen, créateur et PDG de Synova, qui a lancé la même semaine le système DaVinci, un système de taille automatisé pour les diamants. Nous sommes prêts à proposer la solution. Reste à savoir combien de temps il faudra pour la mettre en place. »
Des diamants créés en une journée
Le virage vers l’automatisation prend son origine dans l’absence d’efficacité des canaux de distribution des diamants, a affirmé David Block, PDG de Sarine Technologies, qui fournit des équipements pour la fabrication de diamants. Le fait que le processus de fabrication comporte plus de 100 étapes est un élément à prendre en compte, a-t-il ajouté.
L’incapacité du marché à fabriquer en fonction de la demande des clients a provoqué des excès de stocks d’un an ou deux, coincés dans la filière, a poursuivi David Block. Et même s’il faut à peu près un an pour qu’un diamant brut venant d’être extrait arrive sur le marché, la technologie peut raccourcir ce cycle en aidant le marché à adapter la production aux souhaits des clients, a-t-il affirmé.
Accélérer le processus de fabrication est une occasion que De Beers a saisie lorsqu’elle a développé sa stratégie d’innovation. En cherchant à rendre la filière plus efficace, la société a découvert que le plus gros goulot d’étranglement entre le minier et le consommateur intervient au moment de la taille, a rappelé Faried Sallie, responsable de la technologie chez De Beers.
Pour raccourcir la filière, « on nous a dit que notre ambition devrait être d’extraire le produit et de l’apporter au consommateur de façon à ce qu’il soit prêt en une journée », a-t-il exposé aux participants. Se saisissant de ce défi, en 2015, De Beers a été amenée à acquérir une participation de 33,4 % dans Synova, puisque la technologie à micro-jets de la société suisse s’est révélée être la meilleure chance d’être adoptée par l’industrie comme solution à long terme, a indiqué Faried Sallie.
Révolutionner le système
Quatre ans plus tard, Synova prétend que son système DaVinci est en mesure de réduire considérablement les temps de production d’un diamant taillé en regroupant plusieurs processus de fabrication dans une seule machine. Grâce à sa technologie laser guidée par jet d’eau et à un système de commande numérique informatisée (CNC) qui traite les géométries complexes en trois dimensions, DaVinci peut déterminer le moment où la taille est terminée, puis passer automatiquement à une autre facette du diamant.
Synova n’est pas la première société à annoncer un outil d’automatisation de la taille. L’année dernière, le Scientific and Technical Research Center for Diamond (WTOCD) d’Anvers avait dévoilé son équipement Fenix. Les chercheurs du centre avaient prédit qu’il allait accélérer le processus de fabrication de 10 à 20 fois.
Les deux sociétés prétendent que leur technologie va bouleverser l’industrie et réduire leur dépendance à une main-d’œuvre onéreuse.
« Elle va révolutionner l’industrie de la fabrication car le système DaVinci couvre la quasi-totalité du processus de transformation du brut en taillé, a fait remarquer Bernold Richerzhagen lors du lancement. Plusieurs étapes coûteuses et gourmandes en compétences et en main-d’œuvre de la phase de polissage, comme le blocage de la couronne et du pavillon, l’ébrutage du rondiste ou des contrôles qualité récurrents, sont maintenant inutiles. »
Il est donc possible d’adapter la fabrication à la demande saisonnière et au lieu, a ajouté Synova. L’amélioration de la précision et de la symétrie de la pierre permettra au client d’obtenir un rendement supérieur et plus prévisible sur le taillé.
Des tensions dans le monde du travail
Tous ces points ont des conséquences pour la main-d’œuvre de fabrication, comme l’ont fait remarquer les intervenants et de nombreux membres concernés du marché à l’occasion de la conférence. Faried Sallie et David Block se sont appuyés sur leur expérience respective pour replacer dans son contexte le possible impact de l’automatisation sur la main-d’œuvre.
Par le passé, De Beers a déjà fait appel à des camions sans chauffeur dans certaines parties de la production minière. Aujourd’hui, la société recherche des machines de chargement, de camionnage et de forage autonomes qui prennent des décisions sans intervention humaine, a annoncé Faried Sallie.
Le résultat, a-t-il ajouté, est un processus plus sûr et plus efficace, permettant à l’industrie de raconter une meilleure histoire.
Parallèlement, De Beers s’est engagée auprès de communautés et de gouvernements afin de trouver des emplois alternatifs à valeur ajoutée pour les travailleurs concernés par ces nouveaux systèmes, a poursuivi Faried Sallie. Toutefois, il a reconnu que ce n’était pas toujours possible. « Il y aura inévitablement des cas où vous devrez soit assurer une reconversion, soit laisser partir les personnes. Nos associés reconnaissent que, pour maintenir leur compétitivité, ces tensions sont inévitables. »
Les craintes relatives à l’effet que pourrait avoir l’innovation sur la main-d’œuvre ne sont pas un phénomène nouveau, elles ne sont pas non plus réservées à l’industrie diamantaire, a fait remarquer David Block. Il a rappelé la révolution industrielle des années 1 800, dont beaucoup disaient qu’elle allait supprimer des emplois. Mais l’effet final a été positif, a-t-il souligné.
« Les emplois évoluent, parfois ils disparaissent, a-t-il expliqué. Mais lorsque vous regardez le tableau dans son ensemble, lorsque vous regardez la valeur ajoutée qu’a apportée la technologie dans l’industrie, en moyenne, il n’y a pas de pertes d’emplois, c’est simplement qu’ils changent. »
Il a rappelé la réticence de l’industrie face aux machines de planification du brut de Sarine lorsqu’elles sont arrivées sur le marché il y a à peu près 20 ans. Les planificateurs avaient peur pour leur poste, a-t-il expliqué, mais Sarine a ouvert une école afin de les former à l’utilisation de la technologie. Aujourd’hui, il y a des milliers de personnes qui travaillent dans la planification des diamants. La clé, a-t-il souligné, est de montrer aux gens comment utiliser la technologie dès les premières étapes du processus.
Un champ d’application plus vaste
Ce qui est certain, a déclaré David Block, c’est que le changement est inévitable.
À mesure que la technologie évolue et s’améliore, des systèmes tels que DaVinci et Fenix vont permettre de fabriquer un plus large éventail de diamants, comme le laisse penser l’expérience du marché dans d’autres domaines. Les machines de planification du brut de Sarine par exemple ont commencé avec de gros diamants, de qualité supérieure. Aujourd’hui, elles traitent des pierres aussi petites que 0,01 carat, d’après David Block.
De même, pour la certification, la technologie permet aux laboratoires de travailler sur des grosseurs qu’il n’était pas possible d’évaluer par le passé, a fait remarquer Tom Moses, vice-président exécutif et directeur du laboratoire et de la recherche du Gemological Institute of America (GIA).
Les participants ont convenu qu’au fil du temps, les diamants fabriqués par des systèmes automatisés incluraient des pierres de plus en plus petites et bon marché.
Accueillir le changement
Même si les dirigeants n’étaient pas en phase sur les délais nécessaires avant que l’industrie ne soit totalement automatisée, ils ont fait remarquer que différents processus faisaient constamment appel à de nouvelles technologies, et par-là même, accéléraient toutes les opérations. Par exemple, a souligné Faried Sallie, des éléments tels que les systèmes financiers et les ressources humaines sont déjà en cours d’automatisation.
Ainsi, s’est interrogé Anish Aggarwal, qu’advient-il des sociétés de fabrication ?
Les fabricants doivent se préparer avant que le changement n’intervienne, a répondu David Block. Faried Sallie est allé dans le même sens, affirmant qu’ils vont devoir intégrer les nouvelles possibilités que présentent l’automatisation, l’IA et autres technologies, s’ils veulent mieux répondre aux besoins de leurs clients et du consommateur final.
Intégrer la technologie va permettre à l’industrie de se montrer compétitive autrement, a indiqué le dirigeant de De Beers.
« Ce que nous faisons aujourd’hui ne ressemble en rien à ce que nous ferons demain et nous ne vendrons plus le même produit. Il ne s’agit pas de remplacer notre capacité de fabrication actuelle. Nous allons proposer notre offre selon des manières très différentes, ce qui nous offrira la possibilité de redéfinir notre produit. »
Un débat fait rage dans les cercles de certification concernant l’avenir des gemmologues. Certains, et Sarine Technologies en premier lieu, considèrent que le processus de certification va entièrement s’automatiser à mesure que la technologie évoluera. Le Gemological Institute of America (GIA) s’attend quant à lui à ce que des gemmologues soient toujours nécessaires pour vérifier les résultats des machines.
Le GIA a développé sa première machine de certification de la couleur dès 1945, d’après Tom Moses, qui fait partie de l’institut. Plus récemment, le groupe a investi dans l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle, bien que son objectif soit d’améliorer l’efficacité plutôt que de remplacer les certificateurs actuels, a-t-il souligné lors d’une discussion en atelier à la Dubai Diamond Conference en septembre.
« Nous pensons que cette avancée vers l’automatisation permettra de traiter davantage de pierres, avec un prix et une efficacité qui renforceront la confiance du client, a ajouté Tom Moses. Mais je ne pense pas que nous arriverons au point où la certification sera totalement automatisée, sans aucun certificateur humain. »
Au contraire, Sarine pense qu’une telle éventualité est possible. La société dispose d’appareils qui, selon elle, peuvent automatiser la certification des 4C, la couleur et la pureté étant les deux aspects les plus difficiles. Tout est basé sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique : l’équipement rassemble des données à partir de tests répétés et de l’analyse de dizaines de milliers de diamants.
La mise en place d’un processus de certification totalement automatisé réduit les risques d’erreurs humaines, améliore la cohérence et rend l’opération moins subjective, a soutenu David Block, PDG de Sarine, qui décrit la société comme une entreprise technologique soutenue par des gemmologues.
« Un F-VS2 du GIA d’aujourd’hui est-il le même qu’il y a 20 ans ?, a-t-il lancé aux participants. Il est question ici d’installer la cohérence sur le long terme. Il est inévitable que la fabrication avance sur la voie de l’automatisation et cela concerne aussi la certification des diamants. »
Le GIA commence à intégrer l’utilisation de l’IA dans sa certification de la couleur et de la pureté. La technologie permet également à ses laboratoires d’évaluer des diamants de grosseur inférieure, ce qui n’était pas possible avant, a expliqué Tom Moses, bien qu’il ait ajouté que ces applications nécessiteront toujours la vérification d’un gemmologue.
Si la certification s’automatise encore, s’est interrogé le modérateur de l’atelier, Anish Aggarwal, les fabricants ne finiront-ils pas simplement par utiliser les machines eux-mêmes, plutôt que d’envoyer les pierres à un laboratoire ?
C’est une possibilité que le GIA envisage, a reconnu Tom Moses.
« Nous prévoyons effectivement un scénario dans lequel, au moins pour certains diamants, nous pourrions nous reposer sur une technologie de certification, les résultats étant corroborés et surveillés par un gemmologue », a-t-il affirmé. Les données seraient collectées, puis transférées dans le nuage et vérifiées sur le système du GIA, un processus qui pourrait fonctionner, selon lui, pour une part importante du flux de production.