Le marché ressent un malaise croissant face à des banques qui réduisent leur exposition à l’industrie. Pour un marché qui dépend tellement du crédit, l’inquiétude est justifiée.[:] Les banques adoptent une approche plus prudente des prêts envers le secteur du diamant, mais aussi parce que leur propre fonctionnement subit des contraintes.
Avec Bâle III, les banques évoluent dans un environnement plus réglementé. Elles ont l’obligation d’insister sur l’adéquation des capitaux, les tests de sensibilité et la liquidité du marché de leurs clients. Les services au sein d’une même banque se font concurrence pour obtenir de maigres ressources. Les établissements doivent obtenir des fonds mais de façon moins risquée. Contrairement à ce que croient certains, cet examen approfondi a lieu partout, y compris en Belgique, à New York et en Israël, mais aussi en Inde, quoique à des degrés divers.
Pour les diamantaires, cette avancée a un goût amer. La plupart n’en voient pas l’intérêt. Pourtant, c’est toute une partie de la filière, la branche du financement, qui s’assainit grâce à ces vérifications contraignantes mais nécessaires.
L’évolution devrait réduire l’exposition globale au risque de l’industrie et aboutir à un marché plus efficace. L’influence qu’a eue le crédit facile sur les précédentes bulles de prix a nui à l’industrie et aux banques. Aujourd’hui, la communauté bancaire risque moins de participer à ces pratiques. Un sightholder l’a expliqué à Rapaport News, « jadis, les banques avaient du poids. Et même si leurs ressources étaient limitées, l’argent allait dans de mauvaises mains. Aujourd’hui, avec le nouveau système, même si l’argent est plus rare, il est destiné aux structures adaptées. »
Voilà qui devrait être encourageant, compte tenu des tendances du marché. Les prix du brut ont progressé en février et ceux du taillé se sont raffermis lors du récent salon de Hong Kong. Depuis, la crainte veut que les négociants n’achètent que dans l’espoir que les prix augmentent encore. Confrontés à un examen plus poussé de la part des banques, les diamantaires seront moins disposés à payer des prix élevés pour le brut, même si la concurrence est forte pour se procurer les quantités réduites qui arrivent sur le marché.
L’année 2013 pourrait donc bien être caractérisée par une dynamique de baisse de l’offre, compensée par une réduction du financement des banques. Cet équilibre pourrait quelque peu assainir le marché.
Naturellement, les diamantaires sont frustrés. Après tout, le crédit bancaire est une bouée de sauvetage. Sans lui, ils ne peuvent ni fonctionner ni se développer. Les fabricants ont besoin de fonds pour payer comptant le brut qu’ils ne revendront sous forme de taillé que trois mois plus tard. Aujourd’hui, ils sont découragés. Depuis que le marché s’est effondré en 2008-2009, les hausses de prix et l’essor des échanges dépassent largement la progression de leurs lignes de crédit. Selon eux, la nécessité de rationaliser leurs activités devrait au moins être compensée par le sens de la responsabilité des banques, qui devrait contribuer au développement de l’industrie.
Les diamantaires déplorent également une relation changeante, moins accessible, avec une nouvelle génération de banquiers. Leurs rapports sont désormais régis par un système glacé, où l’on met les points sur les i, lorsqu’il s’agit d’évaluer une ligne de crédit. Il n’y a plus de partenariats pour développer l’activité. Or, les banques soutiennent le contraire. Elles notent au moins que les conditions du marché et les nouvelles réglementations les ont influencées pour améliorer leurs relations avec les diamantaires. Ceux-ci ont de plus en plus besoin de conseils pour naviguer dans un paysage bancaire en pleine mutation.
Les banques ont aussi dû repenser leurs lignes de crédit et leurs modèles de financement après 2012. L’année a en effet été particulièrement difficile pour l’industrie. Et même si le chiffre d’affaires a augmenté, les entreprises ont dû lutter pour dégager des bénéfices. Il est donc naturel qu’un prêteur réduise son exposition aux pertes ou aux risques dans un tel environnement. Ajoutez à cela de nouveaux règlements régis par les accords de Bâle. Les banques ont donc eu à réévaluer le type d’activité qu’elles choisissent de financer et augmenter leurs besoins en fonds propres.
Du point de vue des banques, des risques supplémentaires demeurent, spécifiques à l’industrie, qui subit elle aussi des changements notables. Sa structure évolue, les banques regardent avec intérêt (et une certaine prudence) le retrait de BHP Billiton, la hausse de participation d’Harry Winston et la réévaluation par Rio Tinto de son engagement dans les diamants. Quant au Zimbabwe, il apparaît comme un important producteur de brut. Ces facteurs peuvent affecter la façon, le lieu et l’identité de ceux à qui les diamants sont vendus, et donc la manière dont les banques considèrent le marché.
De surcroît, le déménagement des sights de la De Beers au Botswana va probablement faire transiter le volume d’affaires des centres traditionnels vers les centres émergents, tels que le Botswana et Dubaï. La conférence de Dubaï la semaine prochaine, axée sur le financement, arrive donc au moment opportun. Elle sera importante.
Le crédit bancaire mondial à l’industrie est estimé entre 13,5 milliards et 15 milliards de dollars, répartis principalement entre les grands centres de fabrication et d’échange. Ceux-ci incluent l’Inde, la Belgique, les États-Unis et Israël, dans cet ordre. Or, des centres comme Dubaï, le Botswana et Hong Kong vont continuer à gagner en importance. Ils se montrent en effet plus agressifs dans leurs méthodes pour obtenir des parts de marché. Là encore, la diversité accrue du marché devrait finir par être considérée comme un atout pour les banques, une fois que l’incertitude du changement sera dissipée.
Pour l’heure, toutefois, l’industrie est jugée risquée. Et on peut bien crier au loup, le marché n’a pas d’autre choix que de danser au rythme des banquiers. En fin de compte, une nouvelle réalité s’impose à tous les secteurs d’activité. À long terme, elle devrait permettre un marché plus efficace et rationalisé. Dans la nouvelle réalité d’après 2008, les marchés sont volatils, la prudence reste de mise. Aussi douloureux que cela puisse paraître, les banques sont obligées de montrer la voie.