Oubliez la FTC, oubliez le GIA. La nouvelle bataille des producteurs de synthétiques pourrait bien porter sur les droits de propriété intellectuelle.[:]
Dans un entretien organisé au cours de la semaine du 13 mai, des dirigeants de WD Lab Grown Diamonds ont affirmé que, selon eux, certains concurrents enfreignaient leurs brevets sous licence pour produire des diamants sous dépôt chimique en phase vapeur (CVD). Ils ont ajouté qu’ils pourraient d’ailleurs poursuivre des détaillants en justice.
Depuis 2011, WD fournit sous licence la technologie de croissance de synthétiques développée par la Carnegie Institution of Washington, qui possède une part propriétaire dans la société.
« Carnegie a établi les conditions permettant de fabriquer des diamants d’une grosseur raisonnable, affirme Clive Hill, fondateur et président de WD. Il s’agit d’une technique brevetée. Nous pensons que vous ne pouvez pas fabriquer de CVD en dehors de ces conditions. »
La série de brevets de Carnegie comporte également un traitement post-croissance des CVD à l’aide d’un recuit.
Bien que WD ait déjà envoyé des lettres d’avertissement, Clive Hill affirme qu’il engage actuellement des efforts pour parvenir à un niveau supérieur, « plus en profondeur ».
« Nous nous sommes assis et avons évalué les coûts possibles, déclare Clive Hill. S’il faut que nous allions au tribunal, nous irons… Nous avons dépensé beaucoup d’argent dans ce domaine. Nous collaborons avec le cabinet juridique Perkins Coie. Très prochainement, nous lancerons une action contre certains détaillants. »
Parmi les sociétés en ligne de mire, figurent de grands détaillants, des fabricants d’équipement de fabrication et quelques petits acteurs.
« Nous espérons pouvoir en sélectionner un ou deux et les amener à coopérer un peu mieux avec nous, affirme-t-il. Nous voulons collaborer avec les autres. C’est notre mode de fonctionnement. Mais nous voulons que cela soit juste. Je ne pense pas que ce soit déraisonnable. Nous pensons que les détaillants, et en particulier les plus importants, vont vouloir s’assurer de ce qui se passe. »
La société est désormais capable de poursuivre dans cette voie grâce à une injection de capitaux reçus de la société financière privée de Détroit appelée Huron Capital Partners à la fin de l’année dernière.
Michael Beauregard, associé sénior chez Huron, affirme que WD n’essaie pas de limiter l’offre au marché et que la société envisagera des octrois de licences ou d’autres accords.
« Ce que nous aimerions faire, c’est fournir les détaillants que nous ne fournissons pas encore, explique-t-il. L’objectif n’est pas de susciter des hostilités. Il est de pouvoir vendre la technologie de cette société à de nouveaux clients. Plusieurs détaillants, considérés comme des prospects viables pour cette société, ont choisi de s’approvisionner, pour tout ou partie de leur gamme de produits, auprès de parties qui enfreignent, selon nous, un ou plusieurs brevets. Ils vont en être avertis. »
La société vise au départ des détaillants, plutôt que les sociétés qui produisent les diamants, car « nous ne pouvons pas nécessairement retracer les diamants jusqu’à la source, explique Michael Zukas, vice-président de la société financière privée Huron et un administrateur de WD. Mais nous pouvons acheter chez un détaillant, tester ces diamants et estimer s’il s’agit d’une infraction. »
« Nous avons investi dans notre partenariat avec Carnegie et la technologie que nous proposons sous licence, affirme-t-il, et nous voulons nous assurer que les conditions soient équitables et que l’investissement soit protégé. »
Bien que WD soit resté évasive sur d’éventuels objectifs, le JCK a contacté d’autres producteurs de diamants CVD pour obtenir leurs réactions. Martin Roscheisen, président-directeur général de Diamond Foundry, a répondu par e-mail : « Nous avons investi des années en recherche et développement pour faire fortement progresser la technologie de fabrication de diamants de grande qualité. Nos droits de propriété intellectuelle exclusifs parlent d’eux-mêmes. » IIA Technologies, une société de Singapour, actuellement en conflit sur des brevets avec Element Six, n’a pas répondu à la demande de commentaires. L’acheteur putatif de Scio Diamond a laissé entendre que d’autres sociétés étaient en infraction sur ses brevets.
En dehors de ces éventuels conflits sur les brevets, WD a fort à faire. Depuis l’investissement de Huron, sa production a doublé, même si la société ne fournit pas de chiffres.
« Nous n’allons pas révéler les volumes de production, explique Michael Beauregard. Nous pensons que les objectifs de production et les déclarations d’intention sont différents de la capacité à répondre aux clients. »
Ironiquement, pour une société qui revendique le brevet du traitement post-croissance, toute sa production est dite « telle que fabriquée », autrement dit sans traitement ajouté. Cela est dû au fait que de nombreuses pierres traitées ressortent avec une teinte grise, explique Yarden Tsach, directeur de la technologie.
La société est spécialisée dans les diamants de plus de 1 carat, de couleur I et supérieure, et de pureté SI jusqu’à VS. De plus, elle vend principalement à des détaillants, ainsi qu’à des intermédiaires du retail, mais évite de vendre directement aux clients.
« J’ai une expérience de détaillant, explique Clive Hill, ancien PDG de la chaîne britannique Fraser Hart. Avant, je détestais lorsque mes clients entraient en concurrence avec moi. Je ne vais pas faire concurrence à mes clients. »
De plus, il vend du taillé, plutôt que du brut.
« Je préférerais avoir des clients qui traitent avec nous, entretiennent avec nous de bonnes relations et se révèlent stables, sachant qu’ils continueront à acheter chez nous le mois suivant et les mois d’après, explique-t-il, plutôt que d’approvisionner une sorte de marché très commercial, qui se montre volatile et où la demande pour mes marchandises sera moins régulière. Je veux vraiment être en aval. Je veux toucher les clients. Je ne veux pas être réduit à un producteur de produits chimiques en vrac. »
Huron affirme s’être intéressé à WD en raison de ses actifs de propriété intellectuelle, de sa capacité à suivre ses pierres, de sa capacité à personnaliser sa production et des personnes impliquées. « Clive Hill et Yarden Tsach sont d’une espèce un peu différente de celle des nombreux acteurs avec lesquels ils sont en concurrence et qui sont en lien avec la production de pierres », explique Michael Beauregard.
Contrairement à d’autres acteurs des capitaux privés, Huron affirme ne pas être pressé de toucher des liquidités.
« Notre cabinet travaille sur le marché des capitaux depuis plus de 20 ans, explique Michael Beauregard. Comme nous sommes bien établis, nous n’avons pas de pression pour obtenir des résultats à un moment quelconque. Cette société étant capable d’améliorer sa valeur intrinsèque, nous continuerons à financer l’activité et à profiter de la croissance de l’entreprise sous-jacente. Il est possible que cette société atteigne le seuil nécessaire pour réaliser une introduction en bourse, en particulier si elle se diversifie en termes de secteurs. Elle affiche ce type de profil de croissance. »
Notre entretien, qui s’est tenu au siège de WD dans des bureaux du Maryland, a également abordé les sujets suivants :
– Clive Hill reste en dehors des débats sur la question de savoir si les synthétiques sont plus écologiques que les diamants naturels.
Selon lui, au départ, les sociétés de synthétiques ont insisté sur l’aspect écologique du fait d’un certain « embarras » à propos du produit.
« Et puis, les gens ont réalisé que les clients sont vraiment intelligents, qu’il n’est pas nécessaire de leur raconter d’histoires. Il est tout à fait logique d’acheter des synthétiques. On obtient un meilleur produit pour la même somme. »
Telle est la raison pour laquelle il ne souhaite pas faire auditer sa structure par des tiers extérieurs ni fournir d’informations sur sa consommation de kilowattheures. « Nous sommes une organisation relativement discrète, explique Clive Hill, qui travaillait auparavant dans le secteur de l’énergie éolienne. Je ne souhaite pas que des gens s’activent ici pour procéder à des audits énergétiques. »
« Au final, l’énergie renouvelable est une décision d’ordre national, poursuit-il. À quel point souhaitez-vous l’encourager ? Avec quelle facilité faut-il parvenir à obtenir des autorisations ? Le mix énergétique va gagner en énergies renouvelables à un moment donné. Mais savoir à quel moment cela interviendra dépasse mon niveau de compétence. Vous ne pouvez pas hypothéquer l’énergie. C’est un non-sens. »
– En ce qui concerne les prix des synthétiques, Clive Hill admet qu’ils ont baissé mais affirme que l’on aborde le sujet à l’envers.
« J’ai toujours l’impression que la question est un peu biaisée. Ce qui se passe véritablement, ainsi que je le perçois, c’est que les clients obtiennent de meilleurs produits pour le même montant. Ils viennent nous voir et disent : « c’est une activité technologique, je m’attends à obtenir un peu plus cette année que ce que j’ai eu l’année dernière. » »
Il explique que de nombreuses sociétés qui s’inquiètent de la perte de valeur des pierres sont celles-là même qui « vendent quelque chose et 20 minutes après, si l’acheteur revient, leur proposent 20 % de réduction. »
– En ce qui concerne l’avenir du secteur, Clive Hill considère que les ventes de synthétiques ne sont maintenant plus limitées que par l’offre. Il considère que la demande augmentera et que, d’ici l’année prochaine, les synthétiques seront bien implantés.
« Les synthétiques prendront des parts de marché aux diamants naturels, c’est inévitable, et impossible à empêcher. J’ai été détaillant. Je comprends combien ce changement peut être effrayant pour de nombreux détaillants traditionnels. Des personnes qui ont travaillé dans une activité relativement lente toute leur vie sont brusquement confrontées à un secteur en évolution, cela fait peur, forcément. Il est normal qu’elles soient inquiètes. Mais il faut faire ce que veulent les clients. C’est un fait, ce génie ne rentrera pas dans sa lampe. »