Certains y voient une opportunité, d’autres doutent de leur stabilité.[:]
Imaginez ceci : vous servez un client qui est sur le point d’acheter un diamant de qualité et de grande valeur. Arrive le moment de payer. Au lieu d’utiliser Apple Pay ou de vous présenter une carte de crédit habituelle, le client demande si vous acceptez les bitcoins. Vous marquez une pause… vous ne savez pas bien comment répondre. Près de dix ans après la première apparition de la crypto-monnaie depuis les profondeurs d’Internet, son idée même véhicule toujours un sentiment de risque et d’abstraction, comme un système souterrain réservé aux criminels et aux pirates informatiques.
Mais même si les bitcoins se sont forgé une réputation douteuse – un parrain du crime russe aurait récemment blanchi plus de 4 milliards de dollars grâce à des comptes en bitcoins – ils prennent aussi de plus en plus d’ampleur. De grandes sociétés comme PayPal, Microsoft et Overstock les acceptent désormais. IBM a adopté sans réserve la blockchain, la technologie de grand-livre sophistiquée qui suit les déplacements de chaque bitcoin. Et, lentement mais sûrement, les détaillants commencent à considérer les bitcoins comme un moyen de paiement légitime. Cela permet aux joailliers et autres vendeurs de diamants de répondre à une question quasiment inédite : l’heure est-elle venue d’adopter une nouvelle forme d’argent ?
Boom ou bulle ?
Le bitcoin a été conçu comme une devise numérique alternative, isolée des turbulences internationales et du contrôle des gouvernements. Il n’existe pas de bitcoins physiques, ce n’est qu’une unité de mesure qui représente une somme donnée. Lorsque le système est entré en service en janvier 2009, un bitcoin, ou BTC, ne valait pas grand-chose. Aujourd’hui, les choses ont changé. Le 12 octobre 2017, le prix d’un bitcoin a dépassé les 5 000 dollars, un record historique. Cela signifie que ce qui avait démarré comme une cyber-expérimentation décalée est devenue un véritable système financier. Il y a même eu des rumeurs, citées par un récent article du Wall Street Journal, selon lesquelles Goldman Sachs, grand nom de la vieille école, prévoyait d’ouvrir prochainement un bureau d’échange de bitcoins.
D’autre part, les sceptiques avancent que nous sommes sur le point de connaître une bulle des bitcoins. Ce qui rend la devise si attrayante pour certains, c’est précisément ce qui la rend si dangereuse pour d’autres. Les partisans des bitcoins s’enthousiasment du fait que le système soit décentralisé et donc protégé du type d’événements internationaux qui ont provoqué la crise financière de 2008. En cela, les bitcoins ne sont guère différents des diamants ou autres pierres précieuses. Ils sont une alternative, une forme de richesse portative pour des investisseurs doutant de la valeur à long terme des achats traditionnels, comme l’immobilier et les actions. Mais les détracteurs des bitcoins soulignent que la réglementation gouvernementale, du moins aux États-Unis, est inévitable et qu’une fois qu’elle sera appliquée, la valeur de la crypto-monnaie va plonger.
Pourtant, cela n’a pas empêché le célèbre joaillier international Samer Halimeh d’adopter les bitcoins en septembre dernier après avoir remarqué une rapide hausse des demandes de la part de ses clients. Selon lui, le mariage entre bitcoins et ventes de luxe est évident.
« Ces dernières années, [Bitcoin] a gravi les échelons du marché, les portails achetant et vendant des marchandises d’occasion mais de grande qualité comme des véhicules Ferrari, des voitures de sport Mercedes-Benz, des montres Rolex et des bijoux, affirme-t-il. Ce qui se passe maintenant, c’est que des détaillants comme nous acceptent directement les bitcoins pour des articles de luxe de première main. »
Une bourse des matières premières
Par conséquent, à quoi cela sert-il de négocier des bitcoins contre des diamants ? (« Négocier » n’est probablement pas le mot le plus approprié étant donné que, du point de vue fiscal, l’IRS considère actuellement la devise virtuelle comme un bien, et non comme de l’argent.) Au mieux, c’est une façon rapide et anonyme de payer, avec moins de risques de dysfonctionnement que les cartes de crédit et très peu de frais. En théorie, il est plus sûr d’accepter des bitcoins que des espèces, puisque la blockchain assure une protection contre la contrefaçon par exemple. Mais, au pire, le vendeur de diamants qui négocie des bijoux contre des bitcoins met une confiance indue dans une devise volatile et non régulée, sans historique éprouvé. Il échange une marchandise sans cours fixe – un diamant – contre une autre mais, dans le cas des bitcoins, ce n’est ni un système qui a fait ses preuves dans le temps, ni un produit physique étincelant.
Néanmoins, le succès des bitcoins montre qu’il existe une volonté, partout dans le monde, de disposer d’un capital alternatif, particulièrement chez ceux qui n’ont plus confiance dans les institutions financières traditionnelles. C’est peut-être pourquoi l’Israel Diamond Exchange (IDE) s’est associée à la start-up CARATS.IO pour créer une devise numérique officielle appuyée sur les diamants, et appelée CDC. Même si les pierres sont depuis longtemps utilisées pour remplacer les espèces, cette expérience va formaliser la notion de devise-diamant. Comme l’a révélé CARATS.IO, la société entend créer une devise numérique qui serait moins volatile que le bitcoin car elle serait associée à une matière première.
Une activité risquée
Est-ce une bonne nouvelle pour le monde diamantaire ? C’est ce que pense la bourse israélienne, espérant que cette collaboration favorisera les échanges. Ceci dit, c’est une nouvelle étape vers la standardisation du prix des diamants, une chose à laquelle l’industrie s’est opposée – du moins par le passé. Dans l’ensemble, même s’il est risqué pour un détaillant de luxe ou un négociant de diamants d’accepter quelques paiements en bitcoins, il est peu probable que le résultat soit désastreux. Mais on peut vouloir y réfléchir à deux fois avant d’abandonner totalement les autres devises, plus fiables. Elles ont leurs défauts, mais au moins ces défauts sont-ils relativement prévisibles.