Le buzz qui a entouré les enchères de Sotheby’s et Christie’s à Genève au cours de la semaine du 9 novembre a fait beaucoup de bruit sur le marché diamantaire, actuellement en manque d’émulation. [:]
Mercredi 11 novembre, Sotheby’s a vendu un Fancy Vivid Blue IF, taille coussin, de 12,03 carats pour 48,5 millions de dollars, soit 4 millions de dollars par carat, établissant un nouveau record, tous diamants ou bijoux confondus vendus aux enchères, selon la maison d’enchères. La veille, Christie’s avait vendu un Fancy Vivid Pink VVS2, taille coussin, de 16,08 carats pour 28,5 millions de dollars, soit 1,8 million de dollars par carat. La maison d’enchères a annoncé qu’il s’agissait d’un record mondial pour un diamant Fancy Vivid Pink vendu aux enchères. Les deux pierres ont été achetées par Joseph Lau, un milliardaire hongkongais, qui les a baptisées en l’honneur de sa fille de 7 ans, Josephine.
Les prix sont assez remarquables si l’on considère l’état général du marché diamantaire. Selon David Bennett, président de la division bijoux pour Sotheby’s International, des pierres telles que le diamant désormais appelé « The Blue Moon of Josephine » sont tellement exceptionnelles qu’elles devraient obtenir de très bons résultats, quel que soit le marché. C’est en tout cas ce qu’il a indiqué dans un e-mail adressé à Rapaport News avant la vente.
De même, Rahul Kadakia, responsable des bijoux chez Christie’s International, a comparé le diamant rose « Sweet Josephine » à une œuvre d’art, car les collectionneurs recherchent ces pierres spéciales pour des investissements réfléchis, « gorgés de splendeurs », et dont la valeur peut s’apprécier considérablement au cours d’une période relativement courte, a-t-il écrit dans un communiqué avant les enchères.
Des défauts dans un marché sans défauts
Ceci dit, tous les diamants d’investissement ne se sont pas tous appréciés d’autant et n’ont pas toujours profité d’une stabilité en 2015.
La demande pour des diamants incolores D, IF de qualité supérieure a en réalité baissé l’année dernière, a expliqué Zvulun Leviev, président-directeur général du fabricant LLD Diamonds, qui gère également des boutiques de bijoux en diamants haut-de-gamme. Ceci est principalement dû au fait que les richesses diminuent dans les grands marchés comme la Russie, la région du Golfe, la Chine et Hong Kong, a-t-il expliqué.
Un autre fournisseur de gros diamants de qualité supérieure, qui a souhaité rester anonyme, a affirmé que les prix des diamants D, IF de 5 carats s’étaient dépréciés d’environ 10 % cette année, tandis que ceux des D, IF de 10 carats avaient plongé de 10 % à 15 % et que les grosses pierres I à K de qualité commerciale avaient reculé encore plus.
« Avec la chute des cours du pétrole et une baisse des richesses, le facteur psychologique est extrêmement important dans le segment des méga-richesses, a-t-il expliqué. Si une personne valait 1 milliard de dollars il y a un an et qu’elle vaut aujourd’hui 500 millions de dollars, elle peut toujours se permettre d’acheter une bague en diamants de 2 millions de dollars. Mais elle va naturellement devoir se serrer la ceinture car la moitié de sa richesse a été effacée. »
Les acheteurs arabes et russes potentiels ont été frappés par un recul des cours du pétrole, en baisse de 26 % depuis le début d’année, a fait remarquer Zvulun Leviev. Les Russes ont été en outre gênés par une brusque dépréciation du rouble et des sanctions qui ont gelé certaines de leurs richesses. Dans le même temps, la campagne anticorruption et les restrictions sur les transferts d’argent transfrontaliers en Chine ont limité les dépenses chez les plus aisés, a-t-il ajouté.
Un recul de la demande d’investissement
Les deux fournisseurs ont souligné que le recul de la demande pour les diamants de qualité supérieure se faisait sentir au niveau de la vente de détail et qu’il avait des conséquences sur le marché des négociants.
Pour leurs investissements, les acheteurs de gros diamants D, F cherchent des prix qui n’ont pas encore atteint leur niveau plancher, a expliqué le négociant anonyme. « Il n’y a tout simplement plus aucune transaction car les acheteurs pensent qu’ils vont pouvoir obtenir les marchandises moins chères dans quelques mois », a-t-il expliqué.
David Bennett, de Sotheby’s, a répliqué que les enchérisseurs pourraient être incités à s’intéresser à des biens tangibles et portables, comme les diamants, car les marchés boursiers sont devenus volatils.
Ils pourraient aussi se concentrer sur des actifs comme les diamants de couleur fantaisie, qui ont conservé leur valeur et donnent moins de prise à l’achat spéculatif, a déclaré Bruno Scarselli, associé chez Scarselli Diamonds, un fournisseur de diamants de couleur fantaisie de qualité supérieure.
La couleur, synonyme de valeur
Selon la Fancy Color Research Foundation (FCRF), une organisation à but non lucratif qui analyse les tendances sur ce marché, les prix des diamants de couleur fantaisie sont restés relativement stables en 2015. La fondation a annoncé, au cours de la semaine du 2 novembre, que son indice des prix pour les diamants bleus avait progressé de 4 % au troisième trimestre. Les roses sont restés relativement stables et les cours des diamants jaunes ont perdu 2 %. Au contraire, l’indice RapNet pour le taillé incolore de 1 carat certifié par le GIA a chuté de 6,3 % au cours de la même période.
Bruno Scarselli, dont la société s’est écartée des marchandises plus commerciales pour s’intéresser aux couleurs fantaisie de qualité supérieure, étant donné le marché volatil actuel, a affirmé que cette décision avait été payante car la société a enregistré l’une de ses meilleures années en 2015. Cette réussite est intervenue face à une demande stable pour les très gros diamants Intense Vivid et Fancy Yellow, ainsi qu’avec la vente de quelques diamants Intense Pink et Intense Blue pendant l’année, a-t-il annoncé.
La connaissance des diamants de couleur augmente chez les consommateurs car le marché a tenté de mieux les informer ces dernières années, a expliqué Bruno Scarselli. En outre, on voit de plus en plus de couleurs dans les lieux d’influence de la culture pop, notamment sur les tapis rouges et les podiums de défilés de mode.
« Les acteurs s’intéressent davantage à la couleur et il y a également eu un virage notable vers les couleurs pastels dans les maisons de haute couture, a-t-il expliqué. Tout cela tend à sensibiliser les gens et a un impact sur le marché. »
Créer de l’euphorie
Ce qui est peut-être le plus important, c’est la rareté des diamants de couleur fantaisie haut-de-gamme, qui suscite de l’intérêt et soutient leur valeur, a expliqué Shmulik Polnauer, directeur des achats de diamants chez Leibish & Co., qui vend des diamants de couleur fantaisie, principalement en ligne. D’après lui, les récents tenders de diamants roses d’Argyle par Rio Tinto ont prouvé qu’une telle rareté stimule les prix des pierres uniques.
Cette année, Rio Tinto n’a proposé que 65 diamants taillés roses et rouges en provenance de sa mine Argyle en Australie, considérée comme la principale source de diamants roses rares, et ce malgré une baisse de l’approvisionnement. Shmulik Polnauer a estimé que les prix obtenus étaient bien plus élevés que ceux qu’il avait réglés sur le marché des négociants pour des diamants roses d’Argyle l’année dernière.
Shmulik Polnauer fait remarquer que ces marchandises suscitent déjà de l’intérêt de la part des négociants et des acheteurs privés, sur des marchés allant de l’Australie aux États-Unis, en passant par l’Europe et l’Asie. Certaines des pierres seront retaillées afin de perfectionner leur couleur, a-t-il ajouté. Bruno Scarselli a expliqué que les négociants se tournent souvent vers les enchères en quête de diamants qu’ils vont pouvoir améliorer. Ils enchérissent alors en fonction de la valeur retaillée potentielle, plutôt qu’en fonction de la qualité observée lors de l’adjudication. Il a ajouté que les pierres présentées aux enchères sont souvent de qualité inférieure et qu’elles ont déjà fait l’objet de refus sur le marché des négociants.
Pour leur part, les maisons d’enchères peuvent capitaliser sur des pièces véritablement spéciales, afin d’attirer l’attention sur des marchandises de moindre qualité et sur les enchères dans leur ensemble. David Bennett explique que le buzz contribue également à faire venir de nouveaux acheteurs potentiels pour les pierres uniques qui sont proposées.
Après tout, comme le fait remarquer Zvulun Leviev de LDD, les diamants roses et bleus nécessitent des compétences différentes, leurs fournisseurs diffèrent de ceux du marché général. En réalité, Bruno Scarselli ajoute qu’il n’existe qu’une poignée de négociants susceptibles d’apprécier véritablement la beauté de ces diamants de couleur fantaisie spéciaux et très peu d’acheteurs qui peuvent se permettre de les acquérir.
« Trouver une personne susceptible de dépenser 4 millions de dollars par carat pour un beau diamant est un véritable défi. Les maisons d’enchères doivent proposer des marchandises qui vont provoquer de l’euphorie, a indiqué Bruno Scarselli. Ces ventes ne sont pas représentatives du marché dans son ensemble, mais bien de la valeur de chaque pierre. La réalité, c’est que les belles choses se vendent bien. »
Photo : Diamant jaune depuis le site Scarselli