Parfois, les banques sont les meilleures amies des négociants en diamants. Mais ils ont souvent le sentiment qu’elles ne sont pas assez généreuses avec eux. [:]Or, dans un cas au moins, elles ne se contentent pas d’être des amies, elles sauvent aussi des vies. Les banques ont réagi aux prix élevés du brut, sans tenir compte des principes de sagesse, tandis que de nombreux fabricants succombaient à la tendance. Elles ont décidé de livrer seules un juste combat, en limitant le financement du brut. Depuis le début de l’année, les prix du brut ont atteint des hauteurs vertigineuses. La De Beers a augmenté ses tarifs de 6 % et de nombreux autres miniers ont également relevé leurs prix au cours de cette période.
Parallèlement, les prix du taillé restent stables, en hausse d’environ 1,5 % entre janvier et juin. Dans un marché où les marges de fabrication sont inférieures à 5 % (de 3 % à 4 % au mieux), la différence entre des prix du brut en hausse rapide et des prix du taillé presque stables traduit l’écart entre une rentabilité faible et une rentabilité nulle.
Selon de nombreux comptes-rendus, Philippe Mellier, le PDG de la De Beers, estimerait que tant que les sightholders sont prêts à payer, les contestations relatives aux niveaux de prix ne sont que purs bavardages… Après tout, les sightholders continuent d’acheter. Selon un témoin, Philippe Mellier a déclaré à un sightholder, qui se plaignait de la situation, qu’il n’avait qu’à refuser des marchandises… Il y en aurait toujours deux ou trois prêts à les acheter.
Si le PDG de la De Beers estime que, lorsqu’un client chevronné et soigneusement sélectionné refuse des marchandises trop chères, il convient de lui retirer son sight, il y a là une rupture fondamentale de la relation à long terme entre le premier fournisseur de l’industrie en valeur et ses clients.
Cela mérite quelques explications : généralement, les sightholders craignent de perdre leur sight. Ils achètent donc les marchandises, même si l’opération n’est pas rentable, uniquement pour éviter des effets négatifs sur leur approvisionnement. D’autres achètent des marchandises non rentables, attendant de les recevoir plus tard, dans l’espoir qu’elles gagneront en rentabilité en cours de route. Il s’agit alors d’un investissement, et non d’une véritable acceptation des prix !
De nouveaux dépositaires ? Les banques du côté des fabricants
Rappelons quelques faits d’histoire. En octobre 2008, au début de la crise économique mondiale et des grandes incertitudes qui allaient de pair, les fabricants indiens ont craint que leurs positions ne se dégradent. Ils ont eu peur de dire à la DTC, qu’en tant qu’individus, ils ne pouvaient pas accepter leurs attributions. Ils ont donc fait appel à leur conseil en exportation, le GJEPC, qui les a représentés et imposé un embargo sur les importations de brut dès le mois de novembre. Personne n’a donc eu à dire non.
Nous nous retrouvons aujourd’hui face à ce même scénario : des clients de grands miniers, désireux de refuser des marchandises, mais qui estiment qu’ils ne peuvent pas. Cette fois, le problème tient au déséquilibre entre les prix du brut et du taillé.
Et c’est là que les banques entrent en jeu. Déjà inquiètes pour la faible rentabilité de leurs clients, elles ont décidé d’agir : limiter l’accès au brut et réduire le financement de base des garanties pour les achats de brut.
ABN AMRO, le premier établissement de financement de l’industrie, a informé certains de ses clients d’une réduction du financement des acquisitions, de 70 % à 80 %. La possibilité de resserrer d’autres conditions à l’avenir a même été évoquée. L’Antwerp Diamond Bank (ADB), autre banque importante au service de l’industrie, envisage également de réduire le financement de base des garanties pour les achats de brut. La State Bank of India (SBI) a annoncé, le 21 août, qu’elle avait cessé de financer les achats.
Un banquier a récemment écrit dans un e-mail : « De par notre statut d’établissement bancaire, notre principale préoccupation concerne en effet le manque de rentabilité des entreprises du secteur intermédiaire que nous finançons. Notre objectif n’est pas de financer nos futurs NPA [actifs non performants]. » Les banques sont devenues difficiles, pas seulement en matière de bénéficiaires des prêts, mais aussi au niveau des raisons de l’affectation des dépenses. Elles cherchent à réduire leur exposition.
Les banques sont-elles devenues les nouveaux dépositaires du marché ? Il est certain que la De Beers ne joue plus ce rôle, comme continue de le déclarer M. Mellier. D’ailleurs, elles rendent un grand service à l’industrie, en « obligeant » les fabricants à limiter leurs achats. Elles montrent aussi leur scepticisme face à la politique des miniers en matière de hausse des prix.
Des réductions de prix à l’horizon ?
Le message a bien été compris à Charterhouse Street. Lors du sight de la De Beers cette semaine, les prix d’environ deux tiers des boîtes ont été réduits, d’autres ont perdu jusqu’à 5 %. Globalement, la baisse a pourtant été très faible, de 1 % à 2 %, moins que ce dont les fabricants ont besoin pour se relancer. D’autant plus que les prix de certaines des marchandises restaient très élevés. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais l’initiative est encore trop limitée.
Reste à savoir si les prix vont continuer de baisser, pendant combien de temps, et si ALROSA suivra l’exemple de la De Beers. Pour l’heure, l’industrie doit s’en remettre à la chance et remercier les banques de jouer les adultes responsables. Qu’elle profite de l’opportunité pour ralentir les achats de brut.