Bain & Company, un cabinet international, leader dans le conseil aux entreprises, qui propose des solutions sur des questions de stratégie et d’exploitation, collabore avec plus de 2 700 grandes sociétés multinationales dans tous les secteurs économiques, y compris l’industrie minière du diamant.[:] Le Antwerp World Diamond Centre (AWDC) et Bain & Company ont récemment publié leur troisième rapport annuel, axé plus précisément sur la dynamique de la demande des consommateurs dans le monde.
Olya Linde, directrice des bureaux de la société à Moscou, a accordé une interview à Rough&Polished.
Comment évoluera, selon vous, le système de vente du brut ?
Dans le cadre de notre troisième volet du « Rapport mondial sur le diamant en 2013 : Voyage à travers la chaîne de valeur », nous nous sommes penchés sur le processus et les mécanismes de vente. Les trois canaux de vente actuellement employés pour le brut jouent chacun un rôle important pour les producteurs. Les contrats à long terme, le principal vecteur de vente de brut des grands producteurs, représentent aujourd’hui environ 65 % des ventes totales de diamants. Leur attrait se révèle durable, tant pour les producteurs que pour leurs clients, car il garantit la prévisibilité et la stabilité relative de l’offre. Les ventes aux enchères ont gagné en importance, en particulier sur le marché en pleine croissance. Elles représentent maintenant environ 30 % de toutes les ventes de brut. Ce canal est utilisé principalement par les petites structures. Quant aux ventes à court terme, elles ne représentent qu’environ 5 % de l’ensemble du marché. Elles sont utilisées par certaines entreprises. Ces différents canaux revêtent une importance et des rôles distincts pour les producteurs ; ils ne devraient donc pas vraiment connaître de grands changements à l’avenir.
L’écart entre l’offre et la demande va-t-il se maintenir dans un avenir proche ?
Les perspectives à long terme sont très positives pour la demande de bijoux en diamants ; elles sont stimulées par les prévisions de croissance à long terme des revenus disponibles et un certain nombre de ménages de la classe moyenne. La demande devrait progresser d’environ 5 % par an. Parallèlement, les producteurs ont prévu de développer leur production dans les 5 ans, grâce à de nouveaux projets et à une intensification des opérations dans les mines actuelles. Si tous les projets se matérialisent, sans grosses difficultés techniques ou financières, l’offre et la demande de brut devraient conserver un équilibre fragile jusque 2017-2018 environ. En 2023, les mines actuelles seront épuisées et les nouveaux projets ne devraient pas apporter de gros volumes. L’offre devrait diminuer, tandis que la demande continuera probablement de progresser, creusant un écart croissant entre l’offre et la demande.
Pouvons-nous espérer voir apparaître de nouveaux acteurs sur le marché ?
Le marché du brut a été traditionnellement dominé par une poignée de grands acteurs. La De Beers, ALROSA et Rio Tinto représentent environ 60 % de la production de brut. Ces dernières années, quelques nouveaux noms sont apparus, comme Petra Diamonds et Gem Diamonds, qui ont racheté des actifs vieillissants à la De Beers. Certaines sociétés de capital-investissement ont également fait part de leur intérêt pour ce marché. Bien sûr, un nouvel acteur peut toujours arriver sur le marché, mais il est probable que sa taille sera relativement réduite.
Pensez-vous, vous aussi, que la De Beers deviendra tôt ou tard le principal vendeur de pierres synthétiques, qui sont près d’égaler les diamants naturels en termes de qualité.
La De Beers produit des diamants synthétiques par l’intermédiaire de sa division Element Six Group, détenue majoritairement par De Beers Group, mais gérée en toute indépendance. La société produit des supermatériaux en diamant synthétique, destinés au secteur industriel, qui a progressé de 10 % à 15 % par an ces 10 dernières années. Il a été stimulé par la bonne demande des segments de la construction et de la haute technologie. Les récents progrès de la technologie CVD ouvrent de nouvelles portes aux diamants synthétiques : optique, informatique quantique, biotechnologie, etc. La taille du marché, le potentiel de croissance et la possible rentabilité génèrent des potentialités très intéressantes pour les producteurs de diamants synthétiques. Ces possibilités sont supérieures, les profits similaires et les barrières à l’entrée moindres par rapport au marché des diamants de qualité. Il est donc peu probable, pour l’heure, que les producteurs de synthétique tentent de percer sur le marché des pierres de qualité.
Quelles sont les perspectives de développement pour les diamants techniques et synthétiques, en tenant compte de l’évolution de l’industrie high-tech ?
Plus de 95 % du marché des diamants industriels est occupé par les synthétiques. Leur principale destination est le segment de la construction. Celui des hautes technologies devrait se développer plus rapidement que les autres, entraînant dans son sillage l’ensemble de l’industrie vers une croissance d’environ 5 % à 10 % pour les 7 à 10 prochaines années. En effet, les biotechnologies, l’informatique quantique, les lasers et l’optique génèrent une demande en croissance rapide. En outre, les progrès des solutions de diamants industriels synthétiques sont très rapides. Ces nouvelles solutions misent sur les performances extrêmes des diamants synthétiques ; elles pourraient tout à fait être mises à profit dans toute une série d’industries.
La Russie pourrait-elle devenir l’un des centres du commerce mondial ?
De nouveaux centres internationaux (comme Dubaï, Hong Kong et Mumbai) se sont créés à proximité des grandes zones de taille. L’industrie russe est relativement réduite et se concentre principalement sur des pierres de grande valeur.
La place de la Belgique et du Royaume-Uni en tant que centres diamantaires internationaux pourrait-elle décliner ?
La Belgique a toujours été l’un des centres diamantaires les plus importants. Anvers demeure incontournable, avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 50 milliards de dollars. Malgré une concurrence croissante de Dubaï et Mumbai, les centres traditionnels se réinventent ; ils se spécialisent dans des pierres de valeur, proposent une infrastructure bien développée et offrent un environnement réglementaire favorable pour les professionnels. La valeur totale des marchandises importées et exportées d’Anvers a progressé de plus de 30 % en 2011 et reculé de 8 % en 2012, ce qui est conforme aux chiffres d’autres grands centres du diamant.
Le retour au modèle stimulé par la demande est l’évolution la plus importante depuis la crise. Quelles sont, selon vous, les mesures nécessaires pour favoriser la demande des consommateurs ?
Les campagnes de marketing générique de la De Beers ont connu un énorme succès. Elles ont permis de bâtir une demande solide sur les marchés développés et d’offrir une belle dynamique de croissance aux économies émergentes. Elles ont depuis été remplacées par de la publicité de marque. Les grands noms dépensent des centaines de millions de dollars chaque année pour promouvoir les bijoux en diamants.
Il est probablement trop tôt pour savoir si la publicité de marque se substituera aux promotions génériques ou si la demande pour les bijoux en diamants de bridal reculera. Jusqu’à présent, aucune preuve fiable ne vient soutenir cette affirmation. Observons toutefois ce qui va se passer : la publicité de marque va-t-elle convenablement remplacer les efforts génériques ou les grands producteurs de diamants devront-ils conjuguer leurs efforts pour la campagne générique mondiale « Got Diamonds ? »[1]
[1] En référence à la célèbre campagne générique américaine pour les produits laitiers « Got Milk? »