La récente séance plénière du Kimberley Process à Moscou a été le théâtre – comme on s’y attendait – des querelles habituelles et d’une absence d’avancées bien trop familière. Mais le système de certification, connu pour ses frictions, a accueilli une annonce des plus surprenantes : la candidature du Zimbabwe à la charge de vice-président, l’étape préliminaire traditionnelle avant de devenir président – avec une absence de contestations tout aussi surprenante.
En 2022, la Russie, l’actuel président, transmettra cette responsabilité au Botswana, qui assurera la présidence cette année-là, tandis que le Zimbabwe assurera la charge de vice-président. Comme de coutume, le Zimbabwe deviendra président en 2023.
Bien évidemment, l’histoire du Zimbabwe et du Kimberley Process est terrible, tout comme l’a été l’histoire de son industrie diamantaire. En 2009, des violences dans la région de Marange ont provoqué un embargo de deux ans sur les marchandises provenant de la région, qui a failli déchirer le système de certification, une issue que certains officiels zimbabwéens souhaitaient ouvertement.
Les diamants de Marange restent interdits par les États-Unis, du fait de deux agences gouvernementales différentes. Le service des douanes et de la protection des États-Unis les a interdits à la suite de signalements de travail forcé (point que des ONG locales ont remis en question). Quant au Bureau de contrôle des actifs étrangers (OFAC) du Département américain du trésor, il a interdit les marchandises provenant de deux grandes sociétés minières de la région, Zimbabwe Consolidated Diamond Co. (ZCDC) et Anjin Investments, en raison de liens avec des fonctionnaires du gouvernement ayant fait l’objet de sanctions.
Pourtant, jusqu’à présent, le Zimbabwe s’est révélé être un choix relativement peu controversé. Il n’a bien évidemment pas provoqué le tollé observé lorsque les Émirats arabes unis sont devenus vice-présidents, amenant la Coalition de la société civile à boycotter les séances plénières des EAU et déclenchant une guerre froide continue avec Dubaï.
Edward Asscher, président du World Diamond Council, affirme que, lorsque le Zimbabwe a annoncé sa candidature, « personne n’a émis de commentaires. La société civile du Zimbabwe s’est montrée positive. Ils veulent que les diamants aident à améliorer l’économie locale. »
« En général, je suis optimiste, ajoute-t-il. Il existe une formidable opportunité d’améliorer considérablement la situation au Zimbabwe, comme cela s’est passé lorsque l’Angola a pris la présidence. Je pense que cela aura une influence positive. Aucun pays ne peut assurer la présidence et être critiqué pour ce qui se passe au sein de ses frontières. Il existe une opportunité d’améliorer les choses pour les gens qui vivent sur place. »
Jusqu’à présent, les ONG ont accepté à contrecœur. Shamiso Mtisi, coordinateur de la Coalition de la société civile du KP et directeur adjoint de la Zimbabwe Environmental Law Association, n’a pas répondu à une demande de commentaires de la part du JCK mais a indiqué à Rapaport qu’il espérait que cela amènerait à de nouvelles améliorations.
Farai Maguwu, directeur et fondateur du Centre pour la gouvernance des ressources naturelles du Zimbabwe, s’est montré plus critique.
« Afin d’éviter que la présidence ne soit gâchée, le gouvernement doit mettre en place un groupe de travail aux multiples parties prenantes, capable de conseiller sur différents aspects du secteur diamantaire : droits de l’homme, transparence, développement des communautés, lutte contre la contrebande, questions relatives au travail, etc., explique Farai Maguwu. Et surtout, le gouvernement a besoin d’une vision et d’un ordre du jour précis concernant ce qu’il souhaite réaliser en tant que président. »
Et d’ajouter : « Il semblerait que le gouvernement soit plus préoccupé par la gestion de son image que par ses résultats. »
(Pour preuve, l’article publié au cours de la semaine du 8 novembre par ZCDC sur son site : « Le Zimbabwe charme le Kimberley Process ».)
Joanne Lebert, directrice exécutive d’Impact, une ONG canadienne, ancien membre de la Coalition de la société civile, s’inquiète que le KP puisse récompenser le pays pour son mauvais comportement.
« Le cas du Zimbabwe est bien étayé, c’est un exemple de gouvernement qui s’octroie les ressources diamantaires du pays aux dépens de sa propre population, explique-t-elle. Une fois de plus, il y a un loup dans la bergerie et l’élargissement de la définition des diamants du conflit semble plus insaisissable que jamais. »
Ceci dit, les ONG locales s’accordent à dire que la situation à Marange s’est améliorée, en particulier en ce qui concerne le principal minier, la société ZCDC, appartenant au gouvernement. Aucune violence n’a été signalée depuis plusieurs mois.
« On constate une amélioration considérable, a indiqué Shamiso Mtisi au JCK au cours de la semaine du 8 novembre. Ils ont tenté de corriger certains des problèmes… Nous avons des gens sur le terrain et ils ne nous ont rien signalé. Je ne dis pas cela pour dépeindre une situation idéale. Le Zimbabwe étant le Zimbabwe, la situation politique et économique peut changer à tout moment. »
Farai Maguwu convient que, « sous la direction du nouveau PDG Mark Mabhudhu, ZCDC s’efforce vraiment de négocier un virage et de se débarrasser des ombres d’un passé peu glorieux. Malgré tout, il reste encore beaucoup à faire. »
À l’occasion d’une initiative bien accueillie par les ONG, ZCDC a déclaré être en train d’appliquer l’outil d’autoévaluation de l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA), l’organisme très strict de normalisation minière. ZCDC est jusqu’à présent le seul minier diamantaire à avoir annoncé publiquement sa démarche d’autoévaluation. Un autre le fait de manière privée, explique Aimee Boulanger, directrice exécutive de l’IRMA.
(La réalisation de l’autoévaluation est la première étape afin d’être certifié IRMA mais cela n’oblige pas le minier à obtenir sa certification, ajoute-t-elle.)
Il est tout à fait possible que l’application du processus IRMA incite les douanes américaines à lever leur interdiction sur les diamants de ZCDC – il est déjà arrivé que les douanes fassent des exceptions. Il est en effet probable que la société bénéficiera de garanties indépendantes, certifiant qu’elle n’a pas recours au travail forcé. Comme ZCDC appartient au gouvernement, la levée de l’interdiction de l’OFAC semble plus difficile. Pourtant, le simple fait de suivre le processus augmentera la transparence du secteur diamantaire zimbabwéen, connu pour son opacité.
« C’est une bonne initiative, explique Shamiso Mtisi. Cela pourrait même être une bonne initiative pour le pays. Elle mettra en lumière ce que peuvent faire d’autres sociétés. »
Et même si ZCDC semble essayer de faire le ménage dans ses activités, certains problèmes demeurent autour d’Anjin Investments, le petit minier de la région, qui serait un partenariat entre l’armée du Zimbabwe et le groupe chinois Anhui Foreign Economic Construction Group. Et même s’il n’y a pas eu de rapports de violences à la mine, les habitants voisins se plaignent d’une absence de communication et se montrent circonspects face à son bilan notoire.
« Anjin a été l’une des sociétés ayant connu les plus fortes atteintes aux droits de l’homme, déclare Billian Matambo, présidente de l’organisme récemment formé Marange Women’s Alliance, lors d’un webinaire à la conférence de Chicago sur les bijoux responsables. Dans ce cas, comment peuvent-ils avoir le droit de revenir, sans aucun partage des bénéfices ? »
Abigail Sibanda, correspondante sur le genre à la Marange Women’s Alliance, s’est plainte, lors de ce même webinaire, que les femmes de la région soient soumises à du harcèlement sexuel de la part des mineurs artisans dans une région de commerce populaire et que certains effluents des mines continuent de contaminer les eaux locales.
Deux manifestations ont eu lieu à Anjin, lesquelles auraient été déclenchées par l’absence de réalisation d’un rite tribal avant le lancement des opérations. Lors de la deuxième, des manifestants ont été arrêtés, ce qu’Abigail Sibanda a qualifié de violation de la constitution du pays.
« Le gouvernement tente de réduire le peuple au silence, explique Abigail Sibanda. Il protège les diamants, pas sa population. »
Anjin n’était pas joignable pour commenter la situation – la société n’a pas de site Internet – bien que son responsable des ressources humaines se soit récemment excusé envers le Parlement du Zimbabwe pour avoir repoussé un chef local et ait admis « des problèmes existants ».
Il semble que la situation s’améliore à Marange, même si elle n’est pas encore irréprochable. Ce qui nous amène à la présidence du KP.
Beaucoup craignent que, si le Zimbabwe prend la présidence du KP, cela donne de la légitimité à son gouvernement actuel et à son marché diamantaire, qui ont été ternis par les sanctions et les perceptions négatives de son industrie. Pourtant, même si la présidence du KP pourrait stimuler le Zimbabwe, cela ne durera pas longtemps si la situation s’inverse ou s’aggrave.
Au final, si l’industrie diamantaire du Zimbabwe souhaite vraiment gagner le respect de la scène internationale, la façon la plus sûre d’y parvenir est d’agir de façon respectable.
Photo © Jason Zhao, Unsplash.