Que se passerait-il si les États-Unis décidaient de mettre des barrières aux importations de taillé ? Et si le Canada ou la Communauté européenne décidaient que, pour que le taillé puisse franchir leurs frontières, il doive être assorti d’un justificatif quelconque, prouvant qu’il satisfait une norme éthique ? Serait-il vraiment possible que ces marchés de grande consommation et que les principaux membres du Kimberley Process (KP) décident d’interdire une partie du taillé fabriqué dans les grands centres tels que l’Inde et la Chine ?[:]
Les États-Unis, en ardents défenseurs du capitalisme, ont pour credo de laisser les forces du marché dicter son orientation, parallèlement à une intervention a minima du gouvernement. Dans un tel environnement, les forces du marché induisent la demande laquelle, à son tour, détermine l’offre.
Certains gouvernements, dont les États-Unis, pourraient décider d’imposer des barrières commerciales sur les importations de taillé dans leurs pays. Il s’agit d’une issue possible en cas d’échec des efforts actuels pour changer la définition des « diamants du conflit » dans le document de base du KP. En fait, ceci pourrait éventuellement se produire, même si la définition venait à changer.
Alors, pourquoi le gouvernement américain, ancré dans cette philosophie du libre échange, est-il si déterminé à modifier la définition des diamants du conflit ? Après tout, si les consommateurs ne veulent pas acheter de diamants pour des questions d’éthique, ils voteront avec leur porte-monnaie… et s’abstiendront.
Je me suis récemment entretenu avec la présidente du KP, l’ambassadeur Gillian Milovanovic, et je l’ai interrogée à ce sujet. Gillian Milovanovic ne nie pas cette possibilité. Elle ne l’a pas évoquée directement, mais d’autres au Département d’État américain avancent que si le KP n’actualise pas la définition des diamants du conflit, le pays pourrait décider d’imposer ses propres règlementations, interdisant ainsi l’importation de produits qui ne respectent pas leurs « normes ».
Les États-Unis, tout comme le Canada, l’Australie et la Communauté européenne, pourraient décider d’imposer une réglementation plus stricte, qui prendrait le pas sur le KP. Ils avancent ainsi une menace voilée pour certains pays, principalement les pays producteurs, qui hésitent à modifier le KP.
Fabricants contre consommateurs
La situation soulève quelques questions, notamment sur l’ampleur que doit prendre l’intervention du gouvernement. Et sur les bénéfices de cette intervention. Gilian Milovanovic met en avant un possible problème de réputation, et explique : « Lorsque vous souffrez d’une image négative, il faut l’effacer pour pouvoir promouvoir le produit à nouveau. »
Naturellement, le marché n’apprécie pas l’intervention du gouvernement. Les industries tentent de l’éviter, soit en amenant des lobbyistes à faire modifier l’énoncé d’une loi, soit en définissant leurs propres réglementations internes. L’industrie de la radiodiffusion aux États-Unis en fait un parfait exemple, elle a établi ses propres normes dès les premiers jours de la radio. L’industrie cinématographique est allée encore plus loin en imposant une autorégulation excessive.
La réglementation locale ne doit pas être considérée comme une menace. Les détaillants devraient peut-être établir leurs propres règlements, en prévoyant les coûts associés. Si vous respectez les normes, vous pouvez devenir fournisseur. Dans le cas contraire, vous pouvez vendre vos diamants ailleurs. Dès lors, les fabricants qui hésitent à approuver les modifications du KP, ne voulant pas supporter la charge supplémentaire qu’elles entraîneraient inévitablement, se verront épargner ce coût.
Il s’agit d’une question importante, et comme le dit Gilian Milovanovic, elle ne va pas disparaître. Les détaillants peuvent fixer des normes très strictes dans un pays, et d’autres moins sévères ailleurs. Les fabricants pourraient trouver cela plus difficile à gérer et vont devoir réfléchir à la façon dont ils veulent procéder. Les détaillants intéressés par une telle réglementation doivent tenir compte du coût… et de leur volonté de prendre le taureau par les cornes, puis ajuster leurs marges pour s’accommoder du changement. Et peut-être le KP doit-il simplement évoluer.
Quelle que soit l’issue, un avenir où le taillé, et pas seulement le brut, serait réglementé est peut-être plus proche qu’on ne pense.