Tout le monde le sait, le marché diamantaire est un chaos total, tout comme ses méthodes de vente. Le système est brisé. Tandis que les producteurs continuent de publier des bénéfices solides, les marges des fabricants sont réduites à la portion congrue et les affres du marché intermédiaire ont amené l’industrie à un seuil critique.[:]
Sur le papier, les miniers vendent le brut de la même façon depuis des décennies. La plupart des producteurs restent fidèles à une liste établie de clients, à un nombre de ventes bien établi, à des prix qu’ils déterminent. La De Beers a lancé le système des « sights » et la plupart de ses concurrents (mais pas tous) continuent de suivre son exemple. Il s’agit, en théorie, d’un modèle logique, qui propose des offres et un approvisionnement constants aux producteurs et aux fabricants.
Ce qui a changé, ce sont les tarifs. À l’ère du cartel, les prix étaient globalement statiques et la De Beers annonçait des augmentations à peu près un an sur deux (les baisses étaient tenues au secret). Aujourd’hui, les tarifs du brut sont devenus bien plus dynamiques. En 2010, ceux de la De Beers ont pris 27 %. Depuis le début de l’année, les prix auraient chuté de 7 %, bien que le recul effectif soit probablement bien supérieur.
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Les changements de prix sont apparemment motivés par plusieurs facteurs, notamment l’influence croissante des tenders et la pression accrue imposée aux miniers par les sociétés-mères et les pays producteurs. Parfois, ces facteurs convergent. Le Botswana vend désormais près de 12 % de sa production par l’intermédiaire d’une nouvelle société, Okavango, qui organise des tenders et des enchères au comptant. Lorsque ces ventes atteignent des prix élevés, comment la De Beers peut-elle expliquer à son partenaire de longue date que les prix de son sight sont en baisse ?
Pour couronner le tout, l’information est désormais plus instantanée, les producteurs disposent donc de données de meilleure qualité, plus précises, sur le monde du taillé. La question que se posent donc désormais les miniers est la suivante : qu’entend-on par « rendement acceptable » pour les fabricants ?
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« Les changements de prix sont apparemment motivés par plusieurs facteurs, notamment l’influence croissante des tenders et la pression accrue imposée aux miniers par les sociétés-mères et les pays producteurs. »
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L’année dernière, les producteurs tablaient apparemment sur une moyenne à un chiffre. C’est peu, surtout si l’on considère que les fabricants supportent également des coûts, des frais généraux et des intérêts sur les financements nécessaires à leur investissement initial. Bien que tous les tailleurs appliquent des modèles différents, il existe un consensus quasi-général sur le fait que la transformation des diamants n’est plus rentable. Et les sociétés qui ne gagnent pas d’argent ne résistent pas. Elles ne reçoivent pas non plus de financement bancaire. La situation actuelle n’est pas durable.
[two_third]Si je devais résumer le consensus de l’industrie sur la façon de se sortir de ce bourbier, je dirais ceci : tout d’abord, la demande doit augmenter car elle va stimuler les prix du taillé. (Une autre façon plus rapide de raffermir les prix du taillé consiste à limiter l’offre ou à réduire la production.) Ensuite, les miniers doivent adopter une politique générale permettant aux fabricants d’obtenir des bénéfices supérieurs, ce qui pourrait stabiliser le marché, offrir aux tailleurs la capacité d’acheter pendant les périodes difficiles et ramener le soutien des banques.[/two_third][one_third_last]
« Qu’entend-on par «rendement acceptable» pour les fabricants ? »
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Il existe d’autres idées plus radicales, qui impliquent de changer fondamentalement le système de vente actuel. Voici une liste de modulations possibles et de modèles alternatifs, leurs avantages, leurs inconvénients et les chances qu’ils soient adoptés. La liste n’est en aucun cas exhaustive et vos commentaires sont les bienvenus.
– Un prix coûtant majoré
Bien souvent, lorsque les producteurs sont critiqués pour leurs augmentations de prix, les dirigeants notent qu’ils sont aussi confrontés à des pressions tarifaires, notamment une escalade des coûts associée à une exploration minière souterraine plus en profondeur. Pourquoi alors les producteurs ne basent-il pas simplement leurs prix sur leurs dépenses ? Ils pourraient ainsi empocher un bénéfice défini et permettre au marché de trouver son équilibre.
Avantages : le système est simple et transparent. Il ne pénalise pas les fournisseurs qui développent de nouveaux marchés pour certains articles (une autre faiblesse du système actuel). Il offre aux producteurs des bénéfices stables et garantis.
Inconvénients : cela peut entraîner un changement majeur des tarifs des diamants et déséquilibrer le marché. Le système laisse de l’argent sur la table, ce qui pourrait irriter les producteurs et les sociétés-mères. Comme les tenders ne vont pas disparaître, cela pourrait créer deux « niveaux » de prix du brut, amenant certains à subir de grosses pertes ou de gros bénéfices bancaires. En outre, comment calcule-t-on le coût de chaque diamant ? La plupart des gros vendeurs disposent de plusieurs mines, dont la rentabilité varie. Cela décourage également les producteurs de mettre en œuvre des mesures d’efficacité des coûts et d’agir pour stimuler la demande.
Chances que le système soit adopté : zéro.
– Les producteurs font crédit à leurs clients
Avantages : cela aide les fabricants, qui subissent d’un côté les pressions des miniers, lesquels exigent un paiement comptant, et de l’autre celles des détaillants, qui demandent des délais de paiement et des crédits. Leur permettre de ne plus avoir à payer comptant dès le départ pourrait les laisser respirer afin qu’ils achètent sur des marchés difficiles. Cela offrirait également aux producteurs un autre flux de revenus (les intérêts).
Inconvénients : le système introduit un risque pour les producteurs. L’extraction minière n’est pas donnée et ils veulent récupérer leurs investissements le plus vite possible.
Chances que le système soit adopté : cet été, après que Howard Davies, le responsable du développement commercial de la De Beers, a vanté la solidité financière de ses clients à un public de financiers, l’un d’eux a demandé : « Si vos clients sont si solvables, pourquoi la De Beers ne leur octroie-t-elle pas des crédits ? » « C’est une perspective tentante, a-t-il répondu, mais absolument improbable. »
Peut-être que si le financement de l’industrie reste limité, la probabilité pourrait augmenter un peu. Mais il est évident que, pour les sociétés minières, un tien vaut mieux que deux tu l’auras et elle se refuse à faire la chasse aux diamantaires à qui des conditions de crédit de 90 jours auraient pu être accordées.
– Toutes les marchandises sont proposées dans des tenders
Les enchères ont gagné en importance sur le marché. ALROSA et la De Beers vendent toutes deux une partie de leur production par ce système. Le minier BHP, aujourd’hui disparu, vendait toutes ses marchandises de cette façon. Même si les tenders représentent toujours une partie moindre des ventes globales de l’industrie, ils jouent un rôle démesuré dans la fixation des prix du marché.
Avantages : les tenders sont transparents. Ils permettent au marché de fixer les prix et (généralement) aux producteurs d’optimiser la valeur. Ils permettent aux clients de se montrer plus sélectifs dans leurs achats, sans être contraints par des accords d’attribution mis au point à une autre époque. Ils n’obligent pas non plus les clients à payer des prix qui ne leur conviennent pas.
Inconvénients : les enchères peuvent être volatiles et exagérer les fluctuations du marché, poussant les plus hauts encore plus haut et les plus bas encore plus bas. Elles n’améliorent pas les marges des fabricants car elles font grimper les prix au maximum. Et surtout, elles ne permettent pas aux fabricants de réaliser des prévisions. (Ayant réalisé cela, BHP a développé un système hybride entre tenders et sights).
Chances que le système soit adopté : minces. Certes, de plus en plus de marchandises pourraient être proposées dans des tenders, mais les grands producteurs et fabricants préfèrent clairement le système des sights, même si l’un de ses principaux avantages, la stabilité, semble avoir disparu.
– Permettre aux clients de négocier les prix
Cette solution a été proposée par Guy Harari, cofondateur de BlueDax, une société de courtage de brut en ligne : « Les producteurs pourraient dire aux clients : si vous ne voulez pas de cet article, dites-moi au moins le prix que vous êtes prêt à payer. »
Avantages : il s’agit d’un système hybride entre les tenders et les sights. Il garantit un certain approvisionnement aux clients mais ne les oblige pas à acheter à des prix qui ne soient pas rentables.
Inconvénients : « Comment une banque pourrait-elle financer un sight ?, se demande Chaim Even-Zohar, commentateur de longue date de l’industrie. Vous ne savez pas si votre client a obtenu ces produits pour pas cher ou s’il a payé plein pot. » Guy Harari admet qu’il faudrait appliquer des contraintes, étant donné la propension des négociants à négocier, faute de quoi les sights prendraient des mois.
Chances que le système soit adopté : minces à nouveau, bien qu’il soit possible qu’une variante de ce système se mette en place dès maintenant.
– Les prix restent stables pendant toute une période contractuelle
L’une des principales innovations de la De Beers ces dernières années est le système de l’intention de vendre (ITO), qui donne aux fabricants une idée précise des marchandises auxquelles ils peuvent s’attendre. Cela pourrait-il également s’appliquer aux prix ? Il existe un précédent avec d’autres matières premières, le système s’apparente à acheter un contrat à terme sur du brut.
Avantages : fabricants et producteurs pourraient améliorer leurs prévisions. Les tailleurs auraient la possibilité d’obtenir des bénéfices supérieurs (mais aussi plus de pertes). Les changements de prix seraient en théorie mieux étudiés, en fonction des tendances durables du marché. Cela pourrait même permettre d’établir un « plancher » pour les prix pendant les périodes difficiles.
Inconvénients : désynchroniser les prix du brut de ceux du taillé, même temporairement, risque de faire apparaître certains des problèmes associés au système du « prix coûtant majoré », notamment des intervenants mécontents.
Chances que le système soit adopté : probablement faibles. Il semble toutefois que les producteurs doivent choisir entre deux options : maintenir la stabilité ou instituer des changements chaque mois. Si l’on adopte le système mensuel, les ajustements doivent refléter précisément le marché, baisses comprises (et instituer un seuil de dépressurisation, comme indiqué précédemment).
– Plus de transparence
Étant donné que toutes ces alternatives sont peu probables, pour avancer, il reste aux miniers à mieux communiquer avec le marché sur leur mode de fixation des prix de leurs marchandises – y compris lorsque les prix augmentent ou baissent, les facteurs utilisés pour les fixer et leur relation globale avec les prix du taillé.
Avantages : prenons un exemple récent. Les premières annonces sur le sight du mois d’août de la De Beers affirmaient que les prix avaient baissé d’environ 9 % à 10 %. Par la suite, beaucoup ont indiqué que ces chiffres étaient élevés, car les baisses concernaient souvent des assortiments de qualité inférieure (ce que la De Beers a démenti). Mais ces premiers rapports ont créé des attentes sur le marché, faisant espérer que les prix du brut avaient reculé dans toutes les catégories.
Nous vivons à l’ère de l’information et, bien souvent, les prix font l’objet de discussions sur des sites Internet (comme celui-ci), avant même que les ventes soient clôturées. Étant donné que les informations circulent de toute façon, pourquoi les producteurs ne publieraient-ils pas des données fiables et officielles pour guider le marché (ainsi que les banques et le secteur financier) ?
Inconvénients : cela va à l’encontre des habitudes de l’industrie. Mais étant donné l’état actuel du marché, cela pourrait être une bonne chose.
Chances que le système soit adopté : faibles. Mais on ne sait jamais.