On dit que l’Inde était autrefois le premier producteur mondial de diamants, jusqu’à ce que l’on en découvre au Brésil et en Afrique. Aujourd’hui, l’Inde est le principal fournisseur de taillé au monde. [:] Sur 12 diamants sertis sur des bijoux, 11 seraient taillés et polis dans ce pays. Ainsi, quel que soit l’endroit du monde où vous achetez vos bijoux en diamants, il est très probable que la pierre ait été fabriquée en Inde.
Traditionnellement, les « hira karigars », ou tailleurs de diamants, façonnaient le brut à l’aide de « ghantis », des roues de polissage. Aujourd’hui, le secteur de la taille est bien différent. La ville de Surat (État du Gujarat), qui se situe à environ 250 kilomètres au nord de Mumbai, est l’une des réussites les plus extraordinaires du pays. Grâce à de grandes usines, équipées de machines modernes, le secteur de la taille et du polissage de Surat s’est regroupé dans de grandes installations professionnelles. Les systèmes y sont dotés de la technologie la plus sophistiquée et la plus actuelle.
L’industrie de la taille en Inde reste désorganisée, et ce malgré les tentatives de grandes sociétés de la professionnaliser. Elle se compose de plus de 100 000 structures, petites ou grandes. Le Gujarat regroupe à lui seul 80 % du traitement des diamants produits dans le pays, 90 % étant concentrés dans la ville de Surat. L’Inde réalise 60 % des opérations de taille et de polissage au monde. Environ la moitié des diamants exportés d’Inde proviennent de Surat. On estime que la ville emploie dans ce secteur à elle seule plus de 700 000 travailleurs.
Surat est au cœur de l’industrie de la taille en Inde, qui connaît un véritable essor. Elle est suivie par d’autres centres dans les zones environnantes, et par Mumbai. L’Inde domine le secteur de la taille, malgré l’absence de mines sur place. Récemment, une exploration a été lancée dans les mines de Panna, dans le Nord du pays. Il faudra toutefois un peu de temps avant qu’elles ne produisent du brut. La majeure partie du brut taillé à Surat et ailleurs en Inde est donc actuellement extrait en Angola, au Botswana, en Namibie et en Russie.
Les années ’70 : la percée à l’initiative des Palanpuris
Dans les années 70, l’Inde a commencé à tailler des pierres de qualité médiocre pour les exporter vers les États-Unis. L’opération a permis l’essor d’un centre de taille solide, la main-d’œuvre étant bon marché et aisément disponible. Ceci dit, cette main-d’œuvre accessible n’a pas été le seul facteur permettant à l’Inde de trouver un créneau dans le monde de la taille. La percée est venue des jaïns Palanpuris entreprenants, dans le Gujarat, qui ont fait d’une industrie artisanale très dispersée, un secteur solide de 800 milliards de roupies.
Les Palanpuris, des entrepreneurs originaires de la ville de Palanpur, dans le Gujarat, sont une communauté soudée, qui se développe dans une atmosphère de secret et d’informalité. L’industrie indienne s’appuie sur la confiance, elle refuse les contrats écrits. Cette méthode de travail est encore très répandue aujourd’hui. Des pierres de plusieurs millions de dollars s’échangent sur de simples accords verbaux. Elles sont ensuite transportées, avec une sécurité quasi-minimum. Les Palanpuris se sont également aventurés avec succès à l’étranger. Ils ont ouvert des centres de taille et des bureaux de vente familiaux à Anvers et à Tel-Aviv, aux États-Unis et maintenant également en Chine.
Des pierres de 1 à 5 carats
Il y a plusieurs années, les pierres fabriquées en Inde étaient de grosseur moindre, généralement inférieures à 0,5 carat. Les sociétés n’étaient pas techniquement prêtes à tailler celles d’un à deux carats. Conscients de l’opportunité, les Palanpuris ont commencé à travailler des pierres plus grosses, également plus coûteuses. Croire que l’on ne taille que de petites pierres en Inde est désormais faux. De nombreuses grandes structures sont équipées d’une haute technologie et taillent des pierres de 1 à 5 carats. Ce marché du haut de gamme, très lucratif, représenterait la moitié de la valeur des diamants dans le monde. Les pierres étaient auparavant principalement taillées à Anvers, New York et Tel-Aviv. Aujourd’hui, elles sont fabriquées dans de nombreuses succursales de sociétés basées à Surat et tenues par des diamantaires indiens. Certaines sociétés sont allées recruter des maîtres tailleurs en Belgique et en Israël pour acquérir leurs compétences. Ces dernières années, de nombreuses grandes usines de fabrication de Surat ont, elles aussi, taillé de plus grosses pierres, en quantité importante. L’industrie a démarré très timidement en 1950, à Surat, pour devenir aujourd’hui l’une des plus grandes sources de taillé au monde. La principale plaque tournante des petites et grandes unités se situe à Varacha Road et Mahidharpura, à Surat. Indiscutablement, Surat est devenu le principal centre de taille et de polissage des diamants de moins de 5 points et jusqu’à 5 carats.
Les femmes accèdent au métier de tailleur
Les petits et moyens fabricants de Surat ont mis en place des centaines d’unités, dans des zones tribales comme Jhankhvav, Mandvi, Vankal, Ahwa, Dang et les villages frontaliers de Nandurbar à Maharashtra et Vansda. Ils y emploient des membres de tribus, y compris des femmes. Ces personnes taillent chaque année 13 millions de roupies de diamants de petite grosseur, pour un salaire mensuel de 8 000 à 10 000 roupies. Un petit entrepreneur, qui avait ouvert des unités avec 15 hommes tribaux, emploie désormais environ 175 personnes, dont 65 femmes. Un autre a ouvert deux structures de taille à Jankhvav, près de Mandvi, et à Ahwa, dans le district de Dang. Là-bas, sur 400 travailleurs répartis en deux unités, près de 100 sont des femmes.
Récemment, les femmes se sont fait une place dans le secteur de la taille et du polissage. Ainsi, le prochain diamant que vous achèterez aura peut-être été taillé par des femmes tribales du Gujarat. Ces dernières années, le nombre de celles qui se sont chargées de la taille et du polissage dans des villages de Tapi, Surat et le district de Dang ont augmenté de façon exponentielle. En fait, 1 tailleur sur 8 dans ces régions est une femme. Surat emploie 1 femme tailleur pour 12 travailleurs. Voilà bien un exemple d’autonomisation des femmes !
Le plus grand centre de fabrication au monde
Avec près d’un million d’employés dans le secteur de la fabrication, l’Inde apparaît comme le plus grand centre de fabrication au monde. Le pays apporte 60 % de l’approvisionnement mondial en valeur et 85 % en volume. Selon le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC), sur 12 diamants sertis sur des bijoux, 11 sont fabriqués en Inde. D’ici 2015, l’Inde devrait disposer d’une part de 49,3 % du brut dans le monde en termes de valeur. Sur ce chiffre, 21,3 % sont destinés à la Chine, 7,1 % à la Russie, 5,5 % à l’Afrique du Sud, 4,7 % à Israël et 1,4 % aux États-Unis.
Au fil des années, l’Inde, un pays où les coûts du travail sont faibles et qui s’adapte rapidement et facilement aux nouvelles technologies, a rogné sur la part du secteur israélien. Elle a totalement pris en charge la production de petits brillants. Le faible coût du travail représente l’un des principaux facteurs de son succès. Selon des analystes, l’Inde dépense 10 dollars/ct pour la taille et le polissage, contre 17 dollars en Chine et 40 à 60 dollars en Afrique du Sud. Les salaires des tailleurs et polisseurs vont de 80 dollars à 100 dollars par semaine, en fonction de variables comme l’expérience, les compétences dans divers types de tailles, etc. Certains artisans sont hautement qualifiés et peuvent tailler et polir du brut pesant une fraction de carat.
Depuis de nombreuses années, l’Inde s’efforce de baisser encore les coûts de fabrication. Pour cela, elle s’assure des sources directes de brut en concluant des accords avec les sociétés minières. Toute l’industrie est tributaire d’importations régulières de brut. Il y a quelques années, ALROSA, le géant russe du diamant appartenant à l’État, a signé un accord d’approvisionnement de trois ans avec Diamond India. L’accord garantissait un apport direct aux entreprises locales qui, jusque-là, devaient importer du brut auprès de centres tels que la Belgique et Israël, d’où une hausse des coûts. Cette source directe engendre des économies d’au moins 3 % à 4 % pour les sociétés de fabrication indiennes.
Le marché chinois
Parmi les nouveaux venus, la Chine occupe une place prépondérante dans la hiérarchie mondiale, dans des domaines comme la taille, les bijoux et la consommation. L’industrie de la taille est plutôt réduite. Elle concerne entre 20 000 et 30 000 personnes. La plupart des sociétés sont situées dans les villes de Panyu (Guangzhou) et Shenzhen (Shandung). Le Diamond Exchange Centre de Shanghai, les deux laboratoires de gemmologie et une baisse récente des taxes sur l’importation de taillé ont donné une impulsion au pays. Pas étonnant que la taille du marché chinois ait un impact sur l’économie mondiale. À une époque où toutes les industries subissent l’influence de la Chine, l’industrie du diamant et des bijoux peut-elle rester en retrait ? On entend d’ailleurs dire que la demande de diamants chinoise gonfle les prix des grossistes partout dans le monde !
Dans l’ensemble, le marché devrait croître parallèlement à l’essor de la demande des classes moyennes en Chine. Pour profiter de cette opportunité et marquer de leur patte le marché chinois, certains diamantaires ont ouvert des unités de fabrication dans le pays. Les salaires y sont encore inférieurs à ceux de l’Inde. Une analyse a montré qu’en 2015, la Chine devrait représenter 13 % de la consommation de bijoux, derrière les États-Unis (26 %), et avant l’Inde (12 %).
Actuellement, l’Inde rencontre une forte concurrence de la Chine au niveau de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. La Chine est en plein essor. Du fait de coûts du travail inférieurs, le pays se transforme donc en un important centre de polissage. Qui plus est, la tendance irait de plus en plus à tailler les diamants dans les pays d’extraction, comme en Afrique. La pression est essentiellement politique et il conviendra de la respecter. Le secteur indien devra donc aussi gérer des problèmes au sein des frontières nationales.
À l’instar de l’Inde, la Chine n’est pas non plus un grand producteur. Elle doit importer du brut d’Afrique. Et vu son appétit croissant, il est évident que le pays prévoit d’augmenter sa part du marché. Pékin se dessine comme le nouveau centre de taille et de polissage. La Chine fait son possible pour évincer ses concurrents en achetant de grandes quantités de brut en Afrique, directement à la source.
Apparemment, le gouvernement chinois a commencé à conclure des transactions de plusieurs milliards de dollars, portant sur des échanges de brut avec des articles que le pays produit, comme les médicaments, les huiles et les produits et services industriels. De surcroît, les investissements de la Chine en Afrique représentent une grave menace pour l’industrie indienne de la taille et du polissage. La demande devrait augmenter, les prix peuvent grimper et l’offre diminuera pour d’autres acteurs importants. Pour ne pas se laisser dépasser, l’Inde prend des mesures destinées à établir des systèmes d’échange similaires entre elle et les pays africains.
Ces jours-ci, l’Inde subit une concurrence croissante de la Chine et de la Thaïlande. De toute évidence, l’Inde et la Chine devraient rencontrer des opportunités et des obstacles ; le succès ira à celui qui s’adaptera et évoluera. Mais la concurrence de la Chine est grave pour l’Inde, qui regroupe actuellement 60 % des entreprises de finition.
Certes, la Chine n’est pas encore concernée par les exportations, mais la hausse de la demande nationale de taillé est un énorme marché à satisfaire. La situation a favorisé l’Inde, qui a vu là l’occasion d’exporter près de 7 milliards de dollars. Même si l’essor de l’industrie de la taille et du polissage en Chine représente une menace, le développement de la clientèle est une aubaine dont profite l’Inde, pour l’instant. Le pays, qui doit satisfaire son propre marché intérieur et la demande de l’étranger, entend assurer son approvisionnement en brut. Parallèlement, la Chine accroît ses investissements dans ce domaine.
En cas de confrontation entre l’Inde et la Chine, les prix fluctueront de façon inimaginable partout dans le monde. Ils augmenteront certainement pour les consommateurs des États-Unis, avec la ruée des Chinois dans le secteur. En outre, si la Chine conclut de nombreux contrats juteux et bloque l’approvisionnement, elle dirigera le marché en créant un véritable cartel. Et vu les investissements massifs de la Chine, l’Inde se prépare sans doute à vivre des moments difficiles.
Aruna Gaitonde, à Mumbai