Une réflexion de bon sens voudrait qu’une hausse du recyclage des diamants fasse baisser les prix, en raison de la hausse théorique de l’offre.[:] Or, le contraire pourrait en fait être vrai aujourd’hui, sur un marché relativement nuancé. En réalité, si le recyclage s’imposait, il sauverait peut-être l’industrie des diamants naturels.
Historiquement, comme un marché plus actif des pierres recyclées aboutirait inévitablement à un accroissement de la quantité de taillé dans la chaîne d’approvisionnement, les industries en amont et la filière intermédiaire ont, on le comprend, manqué de motivation pour soutenir le marché secondaire. Toutefois, étant donné l’état de l’industrie des diamants naturels, une nouvelle motivation pourrait s’installer.
Une génération montante de consommateurs estime que les diamants sont une source de perturbations sur le plan social et environnemental, qu’ils ne sont pas rares et qu’ils sont trop chers. Ainsi, l’accent mis de plus en plus souvent sur le recyclage pourrait en partie répondre à ces préoccupations. L’industrie des synthétiques s’est déjà positionnée de manière stratégique pour aborder ces problèmes mais l’industrie des diamants naturels est en mesure de proposer un produit encore plus attractif dans ce contexte.
Lorsque l’on aborde la question d’un diamant « vert » ou « écologique », il est difficile de rivaliser avec une pierre recyclée car tout le coût énergétique, environnemental ou social de sa production a déjà été réalisé. Bien qu’un synthétique ne nécessite pas de creuser la terre, son processus de production exige malgré tout une grande quantité d’énergie, sans aucune garantie que les pratiques salariales soient idéales, notamment dans les usines HPHT existantes dans le monde oriental. Un diamant recyclé est théoriquement dépourvu de tous ces coûts de production pour la société.
Après avoir admis les inquiétudes concernant la valeur, un marché des diamants d’occasion plus accessible, plus compétitif et plus actif augmenterait les liquidités sur le marché secondaire pour des diamants naturels d’occasion. Il soutiendrait vraiment le prix de tous les diamants naturels, sur le marché principal ou secondaire.
En principe, la seule chose qui distingue un diamant naturel de son équivalent synthétique est son caractère non renouvelable. Cela est particulièrement important puisqu’un diamant est un article de luxe. L’offre de diamants naturels est limitée par la nature et elle reçoit la valeur que la science économique lui attribue.
Cette valeur transparaît sur le marché secondaire des diamants naturels. C’est la raison pour laquelle la plupart des grands acheteurs C2B (de consommateur à entreprise) ont tendance à se cantonner aux diamants naturels. Ainsi, de grands noms de l’industrie comme WP Diamonds (White Pine), IIDV et Mondiamo, un partenaire de Blue Nile, n’achètent pas de synthétiques actuellement. La société en ligne Worthy.com achète des synthétiques, mais uniquement des solitaires de 2 carats minimum. I Do Now I Don’t (Delgatto) a récemment lancé une « expérimentation » en achetant des synthétiques mais uniquement à prix très réduits.
Bien que de nouvelles sociétés aient pu se créer ces dernières années grâce à la dimension et à la praticité d’Internet, grâce auquel la revente de diamants devient plus confortable et plus pratique pour les clients, l’espace reste relativement restreint. Actuellement, la revente de diamants représenterait de 1 % à 3 % de l’offre de diamants naturels sur le plan annuel, soit 2 à 4 millions de carats d’équivalent brut. Ce marché se développerait au rythme d’environ 3 % à 5 % par an, soit environ 150 000 carats d’équivalent brut par an. Pour rappel, la production de diamants naturels devrait atteindre 143 millions de carats de brut en 2019.
Notons que, comme nous l’indiquions, De Beers est tranquillement entrée sur le secteur des diamants recyclés en 2016, après une période d’essai de plusieurs mois, sous l’appellation générique d’International Institute of Diamond Valuation (IIDV). L’organisme achète des diamants aux consommateurs, par l’intermédiaire d’environ 100 joailliers traditionnels approuvés aux États-Unis, mais aussi sur Internet. Grâce à l’offre en ligne, les « vendeurs de diamants » remplissent un formulaire de demande et reçoivent une étiquette d’expédition pré-affranchie, par exemple de FedEx, à utiliser pour envoyer leur diamant à l’institut où il est examiné. En quelques jours, une « estimation du prix de marché » est attribuée, que le vendeur peut accepter ou refuser sans frais. Si le vendeur accepte de vendre, les fonds lui sont transférés par virement bancaire.
Pour l’anecdote, une ronde de couleur G, IF, de 0,78 carat, s’est vendue sur IIDV avec une décote de 35 %.
L’industrie des diamants naturels aurait intérêt à soutenir et à améliorer l’écart avec le prix de revente pour les consommateurs. Dans l’idéal, l’industrie devrait viser un écart entre le prix de retail d’un diamant naturel et son prix de revente, c’est-à-dire la décote, inférieur au coût d’un synthétique équivalent. Par exemple, si une ronde naturelle de couleur G, VS1, Ideal cut, de 1,25 carat, était vendue au détail 8 600 dollars et qu’un synthétique équivalent se vendait 4 550 dollars, la décote optimale pour le diamant naturel serait inférieure à 47 %.
Dans ce cas, théoriquement, le consommateur aurait intérêt à préférer un diamant naturel à un synthétique (hors coûts de transport ou appréciation dans le temps du diamant naturel et en supposant que le synthétique ait une faible valeur de revente, voire aucune). En outre, on pourrait avancer que le prix des synthétiques finira par évoluer jusqu’à atteindre l’écart des prix de revente des diamants naturels, car il correspond à la somme qu’un consommateur est « prêt à investir » dans l’industrie.
Même si la réticence de l’industrie est compréhensible, étant donné que la hausse de l’offre via les diamants recyclés pourrait avoir un effet négatif sur la dynamique de l’offre et de la demande pour les miniers et que l’offre de diamants recyclés n’est pas favorable aux fabricants qui transforment le brut en taillé, les avantages d’un recyclage accru dépassent sans conteste d’éventuels inconvénients.
Les miniers pourraient profiter de la hausse globale des prix, soutenue par un mécanisme de recyclage plus efficace. Les fabricants pourraient malgré tout travailler dans la retaille des diamants recyclés. En ce qui concerne les grossistes et autres acteurs de la filière intermédiaire, maintenir le négoce des diamants recyclés pourrait représenter une opportunité plus attrayante qu’auparavant car les marges traditionnelles continuent de se resserrer.
Favoriser un marché de la revente bien établi pour les consommateurs est sans conteste l’une des façons les plus adaptées pour l’industrie de prouver la valeur de son produit et de se distinguer, non seulement des synthétiques mais aussi d’autres produits de luxe concurrents. De Beers devrait accroître ses efforts dans ce domaine et d’autres grands noms de l’industrie comme ALROSA, de grands participants de la filière intermédiaire et des détaillants influents devraient sérieusement réfléchir aux éventuels avantages à plus long terme. Ce concept s’intégrerait bien aussi dans l’histoire contée par la Diamond Producers Association dans ses projets marketing sur les diamants naturels.
Enfin, il est important d’imaginer qu’une telle initiative améliorerait probablement l’idée que l’on se fait des diamants naturels, sans vraiment provoquer d’afflux massif lié à une offre nouvelle sur le marché. La plupart des consommateurs devraient toujours être réticents à vendre leurs diamants (pour des raisons autres que le prix), même si le marché de l’occasion était plus liquide. Or, le simple fait que des clients sachent qu’ils peuvent vendre leurs diamants s’ils le veulent offrirait en fait tous les avantages mentionnés à l’industrie.