Faut-il considérer la récente condamnation pour crimes de guerre du chef de guerre libérien Charles Taylor comme une conclusion au sujet des diamants du conflit ou comme l’occasion de remarquer que l’industrie diamantaire est empêtrée dans de nouvelles formes de violence qui menacent une fois de plus d’entacher le « meilleur ami de la femme » ?
C’est la question que doit se poser le World Diamond Council, le groupe de l’industrie créé en 2000 pour traiter le problème des diamants du conflit, lors de son assemblée annuelle qui se tiendra les 13 et 14 mai à Vicence, en Italie.
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D’après ce qui a filtré, le WDC préfèrerait renoncer à toute sorte de réflexion sérieuse, pour donner la faveur à une énième cérémonie d’autocongratulation. L’un des temps forts de l’assemblée portera en effet sur les remerciements faits au président sortant de la De Beers, Nicky Oppenheimer, pour ses efforts visant à éradiquer le commerce des diamants du conflit à la fin des années 90.
Ces remerciements seront justifiés. Alors même que des seigneurs de guerre comme Charles Taylor et Jonas Savimbi, en Angola, semaient le chaos et l’anarchie avec des guerres civiles financées par le commerce illicite de diamants bruts, Nicky Oppenheimer a été l’un des premiers membres de l’industrie à avoir la clairvoyance et le courage d’établir un impératif moral et économique : démanteler le commerce des diamants du conflit.
Il a profité de sa position pour contribuer à faire naître le Kimberley Process, un mécanisme international qui réglemente le commerce du brut. Il a aussi été l’auteur d’une déclaration tristement célèbre, selon laquelle les diamants du conflit devaient être jetés au caniveau, à leur place légitime. Le système a fonctionné pendant un temps, mais ce n’est plus le cas.
Le problème du WDC, c’est que le monde, comme la criminalité, ont évolué depuis la création du KP il y a de cela dix ans. Les principaux auteurs des violences dans l’industrie diamantaire actuelle ne sont plus les mouvements rebelles, mais les forces gouvernementales et les sociétés de sécurité privées. Les pires exactions reviennent au Zimbabwe et à l’Angola, où les relations symbiotiques entre sociétés privées et élites politiques (trop souvent liées aux généraux de l’ère de la libération) ont conduit à des épisodes violents, faisant des centaines de morts.
Même si Nicky Oppenheimer mérite son instant de gloire, le WDC n’a pas le droit de se reposer sur ses lauriers. Ses membres sont divisés quant aux efforts actuels entrepris pour réformer le KP, notamment sur la question la plus importante de toutes : la redéfinition des diamants du conflit.
Tout ce qu’ils ont pu proposer, c’est que le KP reconnaisse explicitement les droits de l’homme. Cela revient un peu à reconnaître que le ciel est bleu et n’a donc absolument aucune incidence.
La capacité du KP à agir de manière décisive face à un comportement inacceptable et criminel, à censurer, à exiger des améliorations et, si nécessaire, à interdire la circulation internationale des diamants d’un pays repose sur la définition même des diamants du conflit.
Le WDC doit aller au-delà de la définition actuellement en vigueur, obsolète, qui n’évoque que les armées rebelles, et adopter celle proposée par les États-Unis, qui assurent actuellement la présidence du KP : « Les diamants du conflit sont des diamants bruts utilisés pour financer les conflits armés ou d’autres situations de violence, ou encore qui sont directement liés à eux. »
Pour l’industrie, ce devrait être une évidence : il ne peut y avoir aucun avantage à considérer autrement la violence qui règne dans toute la chaîne d’approvisionnement du diamant.
Bien entendu, une définition plus large des diamants du conflit exigera une plus grande responsabilisation et une transparence supérieure de la part de l’industrie. Mais celle-ci n’a aucun intérêt à s’y opposer.
Outre le caractère juste de la chose, cette décision offrirait davantage de clarté et de directives à l’industrie et aux gouvernements, permettant de savoir ce qui est inacceptable et comment répondre aux violations systématiques des droits de l’homme. L’ambiguïté ne favorise que le contrevenant. Comme on a pu le constater lors des débats interminables, source de discordes, portant sur les abus dans les mines de Marange au Zimbabwe, l’inaction compromet le KP et prouve son indifférence. Personne n’y gagnerait, et surtout pas l’industrie.
Une définition plus stricte resituerait également le KP dans les réalités du monde moderne et dans les débats sur les meilleures pratiques visant à gérer les minerais du conflit. La responsabilité des entreprises a évolué ces dix dernières années ; si les sociétés de téléphonie mobile et d’informatique, qui se reposent sur d’autres minerais à forte valeur ajoutée, et sujets aux conflits, comme le coltan, peuvent accepter une telle définition, l’industrie diamantaire peut difficilement prétendre y échapper.
Sur le même plan, l’industrie doit aussi protéger sa marque. Omettre ce problème, serait revenir aux années ’90, époque où les diamants étaient inextricablement liés à la mort et à la corruption et entachés par ces fléaux.
Évidemment, le WDC n’est pas le seul concerné. Les gouvernements doivent également approuver et appliquer une nouvelle définition. Or, dans de nombreux pays, l’impulsion viendra du soutien sans équivoque apporté par le WDC à durcir la définition. L’Inde, par exemple, pays qui taille et polit 92 % des diamants du monde entier, serait contrainte de s’impliquer pour protéger son approvisionnement.
Que le WDC ne fasse rien lors de sa prochaine assemblée à Vicence (ou qu’il prenne la décision de faire quelque chose), revient à faire un choix. Si ses membres quittent Vicence sans avoir agi, on considérera qu’ils ont voté pour l’ignorance, qu’ils ont fait le choix de fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme dans l’industrie du diamant.
De toute évidence, il est temps que le nouveau Nicky Oppenheimer se lève et se fasse entendre.