Stephen Lussier évoque ses craintes face aux diamants de laboratoire.[:]
Le petit déjeuner de Forevermark, jeudi 2 juin, a été ponctué d’une frénésie d’annonces, comme les nouveaux rapports de certification, la nouvelle collection Black Label, une nouvelle marque secondaire (Petit Diamonds) et une stratégie promotionnelle ambitieuse pour le quatrième trimestre. Ces sujets feront l’objet d’un prochain article. Après le petit déjeuner, Stephen Lussier, le PDG de Forevermark, m’a accordé un entretien sur les synthétiques, les laboratoires de certification et les liens qui existent, selon lui, entre la génération Y et les diamants, ainsi que sur le slogan A Diamond Is Forever.
JCK : On parle beaucoup de la Diamond Producers Association (DPA) qui veut un nouveau slogan pour remplacer votre célèbre A Diamond Is Forever. Il y a certaines choses que vous souhaitiez préciser à ce sujet.
Stephen Lussier : A Diamond Is Forever est un slogan extraordinairement puissant. Nous avons énormément de chance que Forevermark ait accès à un outil aussi connu et qui suscite une telle émotion. Je suis un peu tenaillé, j’ai deux casquettes : je suis le PDG de Forevermark et, en même temps, président de la DPA. Dans le cadre de l’une de ces fonctions, j’ai estimé que A Diamond Is Forever était la propriété intellectuelle de De Beers Group. Ce n’est pas une chose que nous sommes prêts à mettre à la disposition de tout le secteur.
D’une certaine manière, cela rend la tâche de la DPA un peu plus difficile, du fait qu’ils n’ont pas eu accès à des droits de propriété intellectuelle aussi précieux. Cela les oblige à travailler plus dur pour parvenir à d’autres perspectives. L’équipe a élaboré un concept très fort qui, une fois finalisé, donne à l’ensemble un résultat bien plus puissant.
Grâce à Forevermark, nous pourrons certainement faire perdurer le slogan A Diamond Is Forever, pour qu’il reste percutant auprès des futures générations. Nous pouvons maintenant profiter de ces nouvelles perspectives et réflexions pour attirer l’attention des jeunes consommateurs. Alors, peut-être qu’au début, cela nous a semblé être une contrainte, mais aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être dans une relation gagnant-gagnant.
La génération Y réagit-elle à A Diamond Is Forever comme les générations précédentes ?
En fait, la réaction est la même pour tout le monde. Le concept d’intemporalité parle à la génération Y. Ils souhaitent posséder des diamants car ils ont le sentiment que les diamants sont semblables au caillou. Ils sont là et le seront toujours. Ils symbolisent cet aspect important. Ils représentent l’intégrité. C’est ce qui les rend spéciaux. Le concept A Diamond Is Forever renforce ces croyances ancrées à propos des diamants.
Ce qui caractérise les membres de la génération Y et qui les différencie probablement des deux générations qui les ont précédés, c’est qu’ils n’imaginent pas les relations de couple durer éternellement, comme on le croyait il y a 30 ans, même si c’était davantage un vœu pieu qu’une réalité. Ils ont grandi dans un monde où ce n’était pas le cas et ils l’ont constaté. La majorité sont élevés par un seul parent ou dans des familles recomposées. Leur réalité est très différente. Ils doivent réfléchir à leurs relations et exprimer des émotions au sein de ces relations, sans penser aux 40 prochaines années, mais seulement à l’année qui vient et en vivant l’instant présent. L’objectif de la DPA et la situation actuelle de A Diamond Is Forever sont des aspects qui, ensemble, donnent un résultat plus fort, car ils nous permettent de parler à la génération Y avec plus d’immédiateté.
L’une des choses que nous avons apprises de notre étude, c’est que les membres de la génération Y ont davantage de contacts sociaux, avec plus de personnes et plus souvent que toute autre génération qui les a précédés, bien qu’ils admettent un sentiment d’impermanence. La plupart des contacts se font dans le monde numérique, et non en face à face. Ils savent que quelque part, il doit y avoir plus de profondeur et qu’il existe certainement des choses qui ne changeront jamais. Il faut bien que certaines durent. A Diamond Is Forever ne fait que renforcer cette idée d’intemporalité et évoque l’éternité des diamants. C’est ce qui différencie notre produit des produits technologiques et même des expériences dont nous entendons tant parler. Notre force face à eux, c’est la permanence de notre produit.
A Diamond Is Forever est un slogan qui dure depuis très longtemps car il passe de génération en génération. Je me souviens que N.W. Ayer [l’ancienne agence de publicité de la De Beers] a eue cette même discussion lorsqu’ils se penchaient sur le marketing vers la fin des années 60 et dans les années 70. Ils se disaient : « Oh, mon dieu ! Voilà une génération totalement différente, ils ne s’intéressent pas aux choses matérielles. Leur vie, c’est « peace and love » et les manifestations. » Et pourtant, les ventes de bagues de fiançailles n’ont pas fléchi. Car même dans ce monde, on a envie de choses qui vous donnent un socle et une permanence et qui vous relient et c’est pourquoi ce slogan est si bon. Mais il ne dit pas tout.
La DPA a un budget de 6 millions de dollars. Ce n’est pas beaucoup. Pensez-vous qu’il va augmenter ?
Étant donné l’importance des travaux réalisés à ce jour, nous nous sommes décidés à doubler les dépenses pour cette année. Nous engageons beaucoup plus d’argent pour le quatrième trimestre. Et nous avons l’ambition d’augmenter encore ces sommes. Nous n’en sommes encore qu’au début.
Que pensez-vous du programme Chosen de Signet ?
Disons juste que cela a un petit air de déjà vu. Ça me rappelle quelque chose.
Ils sont sur la même longueur d’onde. Les consommateurs veulent en savoir plus sur leurs produits. Ça ne me gêne pas que d’autres agissent ainsi. Nous travaillons pour notre objectif et pour nos consommateurs. Ces idées ne nous appartiennent pas et il est important de s’appuyer dessus. Ce que je ne veux surtout pas, c’est qu’un consommateur se désintéresse des diamants parce qu’il est préoccupé par l’intégrité de notre produit. Notre industrie est extraordinairement fière des actions liées à notre produit dans les sites d’origine et d’extraction, ainsi que dans des régions comme l’Inde. Nous voulons raconter cette histoire. Ne nous étonnons pas que d’autres veuillent le faire aussi.
Que pensez-vous de l’annonce selon laquelle Element Six, qui appartient à la De Beers, a entamé des négociations avec Swarovski ?
Je lis tout cela avec intérêt. Il y aura beaucoup de personnes qui vont être concernées par cette affaire. Cela sera intéressant. Swarovski vend des produits qui ne sont pas, selon moi, des bijoux précieux. Ce sont de jolis articles et la société connaît beaucoup de succès. Elle est ce qu’elle est, elle ne prétend pas être autre chose. Je comprends pourquoi ils pourraient être intéressés.
Cela ne me préoccupe pas tant que ça. En revanche, je suis plus embêté par ce que je considère être un manque de transparence dans cette approche. Mais ce n’est pas une chose qui me préoccupe. Je regarde ce qui se passe dans le monde des pierres synthétiques. Les émeraudes synthétiques sont un très bon exemple. Il y a eu beaucoup de buzz, beaucoup d’excitation, beaucoup de profits pour tout le monde. Et cinq ans plus tard, elles valent 150 dollars, il n’y a plus de marges, et c’est ainsi que sont les choses. Nous savons tous que la courbe des prix de la technologie ne va que dans un sens et ce n’est pas mon secteur d’activité. Mon objectif est de vendre un objet précieux, ayant une rareté intrinsèque et une valeur durable. Quand je considère cela, je ne m’inquiète plus des produits qui ne jouent pas dans la même cour. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas un marché à eux. Mais je ne pense pas que ce soit le mien.
Pour en revenir à l’annonce, lorsque des gens lisent cela, ils en déduisent que si Element Six négocie avec Swarovski, c’est que la De Beers est intéressée par le marché des pierres, davantage que ce qu’elle a reconnu précédemment.
Comme vous avez pu le constater dans ce rapport, nous ne sommes pas un fournisseur de Swarovski. Nous sommes très satisfaits d’Element Six. C’est une entreprise ayant une formidable opportunité de croissance. Il nous faut simplement une ou deux nouvelles applications innovantes, notamment dans le domaine de la conductivité électrique.
Element Six pourrait-elle être intéressée par les pierres synthétiques ?
Je ne le pense pas.
Pensez-vous que les diamants synthétiques ont un impact sur le marché ?
Pas à ce jour, selon moi. Certes, la production augmente. J’ai toujours un peu peur qu’elle soit supérieure aux ventes et je me demande bien où vont les produits. Je ne pense pas que ce soit en Amérique. Je pense que les contrôles qualité pour les joailliers américains sont peut-être meilleurs que sur d’autres marchés.
Mon problème, c’est de m’assurer qu’il existe de la demande pour la spécificité du produit que je propose. Ma seule préoccupation, c’est qu’il soit commercialisé de façon transparente. Pour le moment, les consommateurs ne savent pas grand-chose à leur sujet, il n’y a pas beaucoup de sensibilisation et les clients ne s’y intéressent pas particulièrement. S’ils dépensent une somme d’argent conséquente, ils doivent savoir qu’ils achètent un produit dont la valeur risque de ne pas se maintenir. S’ils retournent à la boutique cinq ans plus tard, les prix risquent d’avoir fortement baissé. Mais si c’est ce qu’ils veulent malgré tout, nous sommes dans un monde libre.
Je crains que ces produits ne soient vendus dans l’idée qu’ils ont les mêmes attributs que les diamants naturels. Or, au-delà du fait qu’il s’agit de carbone cristallisé, ils n’ont aucun aspect en commun. Ils ne sont pas intrinsèquement rares et, de ce fait, ils n’ont pas de valeur durable. Je suis même certain que c’est tout à fait le contraire. Si les gens savent ce qu’ils achètent, alors très bien. Mais je ne voudrais pas que les consommateurs soient trompés car je crois que cela aurait un effet néfaste pour les joailliers concernés. Si le client revient cinq ans plus tard et voit que le prix a baissé de 10 %, le joaillier risque d’avoir du mal à en expliquer la raison. C’est vraiment ma seule préoccupation. Je sais comment cela finira. Je l’ai vu avec d’autres pierres : des rubis, des saphirs et des émeraudes. J’espère simplement que cela sera géré de manière à ne pas provoquer de dégâts.
Le laboratoire qui certifie les pierres pour Forevermark est désormais ouvert à tout le secteur. Comment cela fonctionne-t-il ?
Nous avons créé le Forevermark Institute pour soutenir Forevermark. Nous avons toujours trouvé cela étrange qu’une industrie externalise son savoir-faire. C’est comme si l’on demandait à Mercedes de consulter une tierce personne pour vous confirmer que ses voitures sont performantes. Je me porte garant de ma voiture. J’ai un avis différent sur ce qui fonctionne pour les marques. Tiffany serait probablement d’accord. Nous avons donc dû élaborer toute une structure et une installation car la marque Forevermark repose là-dessus. Nous disposons ainsi de la capacité et des compétences pour aider nos clients, alors pourquoi ne pas le faire ? Nous pensons que nous apportons une valeur ajoutée, notamment au niveau de l’homogénéité que nous appliquons dans la certification et les technologies que nous utilisons et que nous avons mises sur le marché.
J’ai beaucoup de respect pour les autres grands laboratoires. Peut-être avez-vous déjà entendu parler d’Andrew Loog Oldham, c’était le manager des Rolling Stones. Avant cela, il avait débuté avec les Beatles. Il a toujours dit qu’il ne peut y avoir qu’un seul grand groupe dans le monde, il a donc cherché et fini par trouver les Rolling Stones. Pour notre industrie, il est utile d’avoir plusieurs organismes de contrôle qualité, pour être certains que nous allons de l’avant, mais aussi que nous nous protégeons du risque qui existe au sein de notre industrie.
Le GIA est un excellent établissement et il fait beaucoup de bien à l’industrie. Je leur souhaite un long avenir.