Les résultats des ventes de janvier donnent à la fois des raisons d’être optimiste et de douter. D’une part, la demande de brut en janvier a largement dépassé les attentes et a ravivé l’espoir de voir le marché se redresser cette année[:] D’autre part, certains acteurs du secteur sont restés perplexes face aux différentes attitudes adoptées par les sociétés minières. Selon les estimations des médias (bien que ce ne soit pas officiellement confirmé), si la De Beers a baissé ses prix de 5 à 10 %, ALROSA a pour sa part déclaré officiellement qu’elle ne voyait aucune raison de baisser ses prix. Malgré cette différence apparemment essentielle, les deux sociétés ont enregistré de bonnes ventes. Si le brut offert par les deux sociétés minières se vend bien, quel est alors le prix juste ?
Selon nous, c’est le prix accepté ici et maintenant.
L’état financier de 2015 de la De Beers, publié il y a quelques jours, peut peut-être expliquer pourquoi la société a baissé ses prix en janvier. Les publications dans les médias soulignent que les résultats de ce rapport sont principalement axés sur la diminution des ventes de la société de 36 %, mais peu d’entre eux ont prêté attention à un autre détail important : les prix.
La De Beers a déclaré dans son aperçu financier de 2015 que la réduction des volumes de vente à 19,9 millions de carats était en partie compensée par une augmentation de 5 % sur le prix moyen réalisé des diamants. « Cette augmentation de 5 % sur les prix moyens réalisés des diamants qui atteint 207 dollars par carat reflétait un mélange des produits plus important, malgré un prix moyen du brut diminué de 8 % pendant cette période. Du Sight final en 2014 au Sight final en 2015, l’indice de prix du brut de la De Beers a baissé de 15 % », a encore déclaré la société.
En clair, cela revient à dire que « dans le monde, les prix des diamants bruts ont baissé de 8 % en 2015, mais que ceux des diamants vendus par la De Beers ont augmenté de 5 % en moyenne. »
Voici les chiffres précis, comme suit : En 2014, le prix moyen des diamants vendus par la De Beers était de 198 dollars par carat. Selon le rapport de la société Anglo American, il a atteint 206 dollars par carat au cours du premier trimestre 2015. Si ce prix moyen est passé à 206 dollars par carat tout au long de 2015, il est facile de calculer qu’il s’est encore plus envolé au cours du deuxième semestre de l’année, malgré toutes les difficultés rencontrées par la filière diamantaire en automne et en hiver.
Changer les assortiments de boîtes régulières est une pratique courante à laquelle tous les producteurs de diamants ont recours de temps en temps. La demande pour différentes catégories de brut oscille tout au long de l’année ; soit les producteurs ajoutent des parties de l’un ou l’autre brut à leurs plis de marchandises, soit ils les suppriment en fonction des fluctuations de la demande. Selon les clients, la De Beers a en effet modifié certains de ses assortiments pour augmenter la part de brut plus onéreux. Cependant, pour maintenir une charge de travail uniforme dans les usines de taille, il est impossible d’utiliser uniquement des marchandises onéreuses. Il est nécessaire de disposer de l’intégralité de la gamme des produits. Par conséquent, les changements introduits dans le mélange régulier de brut ne pourraient pas compenser, à eux seuls, cette baisse drastique des prix des diamants à l’échelle mondiale et se traduire par une croissance globale.
Cette augmentation de 5 % était plus probablement générée par des suppléments ajoutés à l’assortiment régulier. D’après les comptes des acteurs du marché, la De Beers a eu recours aux soi-disant transactions spéciales à l’automne dernier, en raison des difficultés rencontrées avec les ventes d’assortiments réguliers. Certains clients de la société, notamment indiens, ont reçu de très gros diamants bruts (diamants pesant plus de 15 carats) en complément des boîtes régulières, accompagnés de réductions sur le prix total. Ces diamants de grande taille ont fait considérablement grimper les prix de vente, même s’ils ont provoqué des réactions mitigées des autres clients qui n’ont reçu ni primes, ni réductions.
La mise en vente d’un nombre élevé de diamants de grande taille est en partie confirmée par les statistiques commerciales de l’Inde qui attire finalement plus de 80 % du brut mondial destiné à la taille. Selon le GJEPC, le prix moyen des diamants importés en Inde en 2015 n’a pas beaucoup changé : il était de 97 dollars par carat, en janvier et de 97,4 dollars par carat en décembre. Si l’indice des prix moyens du brut a encore baissé de 8 à 15 % (ce qui a été enregistré par toutes les organisations de l’industrie), quelque chose a dû compenser ce déclin.
Apparemment, les prix fixés par la De Beers à la fin de l’année dernière étaient plus élevés que ceux du marché, même sans les transactions spéciales. Les faibles résultats commerciaux de la société au cours du deuxième semestre, particulièrement au quatrième trimestre 2015, en sont indirectement la preuve. Selon les estimations de Rapaport, les ventes agrégées de la De Beers ont atteint 450 millions de dollars environ d’octobre à décembre, alors qu’elles sont accompagnées d’un grand nombre de reports. Dans ce contexte, ALROSA a pu (sans doute pour la première fois de son histoire) vendre plus que la De Beer et a récolté environ 700 millions de dollars. Compte tenu du fait que les deux sociétés offraient une plus grande liberté d’achat à leurs clients à cette époque en évitant de les contraindre à acheter de grandes quantités de brut, on peut supposer que nous avons, de fait, assisté à la mise en pratique du vieil adage : « les acheteurs s’en vont. »
En 2015, ALROSA a aussi eu recours à la modification de son assortiment de produits à plusieurs reprises, mais les prix de vente moyens de la société indiquent encore une baisse générale. Si l’on en croit ses récents rapports, le prix moyen des diamants proposés par ALROSA au quatrième trimestre 2015 était de 166 dollars par carat, contre 176 dollars par carat au deuxième trimestre. Les représentants des sociétés minières ont indiqué à plusieurs reprises qu’ALROSA avait baissé ses prix de 8 % au cours du second semestre 2015. Les indicateurs de performance révélés par la société confirment ces déclarations.
Le rapport sur les performances d’ALROSA en 2015, habituellement publié au printemps, rétablira finalement les faits. Mais, pour l’instant, sur la base des données disponibles, on peut conclure que les prix proposés par ALROSA à la fin de l’année dernière (et donc au début de l’année 2016) étaient plus proches de la tendance générale du marché. Dans ce cas, la baisse des prix de janvier proposée par la De Beers est plus que justifiée, non seulement pour faire preuve de loyauté envers ses clients, mais aussi pour harmoniser les prix avec la conjoncture actuelle et récupérer les ventes perdues au cours du quatrième trimestre. Il est tout à fait possible, une fois de plus, que les changements ne concernent pas les prix mais les assortiments : le brut de grande taille n’a plus été commercialisé ces derniers mois.
Si l’on en croit les ventes réussies enregistrées par les deux sociétés en janvier, leurs prix sont à présent stabilisés et répondent aux attentes du marché. La De Beers a indiqué que ses ventes avaient atteint 540 millions de dollars, dépassant ainsi la totalité du quatrième trimestre 2015. Selon une source du marché, ALROSA a expédié des diamants à hauteur de 300 millions de dollars environ en janvier. Selon les deux clients de la société, une partie des expéditions de diamants a été repoussée à février en raison de la forte demande, tandis que la demande pour certains assortiments était essentiellement plus élevée que l’offre et n’était pas entièrement satisfaite. « ALROSA laisse les prix inchangés pendant sa séance de bourse en février, tel qu’annoncé au début de l’année », a déclaré la source. Elle a ajouté que, selon son estimation, les résultats de cette séance reproduiraient probablement la position de janvier.
« À l’heure actuelle, les prix semblent être équilibrés, » confirme l’un des clients de la société. « Et il serait bon qu’ils restent à ce niveau pendant un certain temps. La demande de diamants taillés et leurs prix commencent à présent à se redresser et permettent ainsi aux fabricants d’augmenter le volume d’achat. Mais si les prix du brut continuent à chuter, cela dévaluera le brut acheté par les usines de taille en janvier et perturbera ainsi leur économie d’entreprise. Le marché s’est déjà essoufflé en raison des fluctuations de prix continues, ces dernières années. »