Au cours de la semaine du 15 juillet, le minier russe ALROSA a annoncé avoir signé un accord de joint-venture, afin d’explorer la zone de Chimanimani au Zimbabwe, en quête de diamants.[:]
L’annonce a été accompagnée par un diaporama d’ALROSA, vantant les avantages que le plus grand minier au monde en volume espère apporter à l’industrie diamantaire troublée du pays.
« En 2009, le Kimberley Process avait interdit le commerce des diamants de Marange, a-t-il fait remarquer. L’interdiction a été levée en 2011. Mais la réputation des diamants du Zimbabwe était ruinée. Les acteurs du marché les négociaient avec réticence et avec des remises importantes. »
En plus de ses problèmes de réputation, l’industrie du Zimbabwe souffre d’un manque de savoir-faire technique pour toutes les activités allant de l’excavation au tri, ajoute-t-il.
Mais, d’après la présentation, ALROSA peut apporter « une réponse à toutes ces questions ». En partageant son expertise relative à l’industrie et aux technologies, ainsi que son savoir-faire en termes de responsabilité sociale des entreprises et de gouvernance transparente, ALROSA peut « mener le développement » dans le secteur.
Un journal local s’est félicité de la nouvelle, qu’il considère porteuse d’espoir : « Le fait qu’une société de niveau international comme ALROSA signe un accord pour s’impliquer sur le marché local représente une validation flagrante du caractère international du potentiel diamantaire local et de l’industrie qui peut en naître. »
Pourtant, au moins un projet de réhabilitation du Zimbabwe apparaît trop ambitieux pour ALROSA. Le minier a indiqué qu’il n’extrairait pas dans la région de Marange, laquelle abrite les plus grands gisements de diamants du pays, produisant jusqu’à 3,5 millions de carats par an.
Marange est également le lieu où, en 2008, un désastreux déchaînement de violence contre les creuseurs artisans a provoqué la mort d’environ 250 personnes et déclenché une interdiction de deux ans par le Kimberley Process (KP) qui a failli démanteler le système de certification. Même si les regards du monde entier se sont depuis longtemps détournés de la région, la violence contre les mineurs persiste, d’après le Centre pour la gouvernance des ressources naturelles (CNRG), un groupe non gouvernemental local.
Alors, lorsque The Herald, un journal d’État du Zimbabwe, a déclaré qu’ALROSA allait exploiter Marange, le CNRG s’est inquiété de l’absence de transparence de l’annonce.
« L’arrivée d’ALROSA à Marange est entourée de secret. Le scénario est le même que celui utilisé par le gouvernement du Zimbabwe qui cherchait des investisseurs pour les diamants de Marange », a-t-il indiqué dans un communiqué, intitulé « ALROSA entre dans les champs meurtriers de Marange, au Zimbabwe. »
ALROSA, toujours sensible quand il s’agit de son image, a rapidement réagi, déclarant « n’avoir jamais et en aucune circonstance envisagé la possibilité d’entrer dans la région de Marange » et qu’elle « n’envisagera jamais de le faire. »
La société a refusé de s’expliquer sur ses motivations mais un porte-parole a indiqué au JCK : « Nous pensons fermement que le développement de nouveaux gisements, avec l’aide d’ALROSA, libérera un énorme potentiel et aidera le Zimbabwe à rétablir sa position sur le marché mondial, à introduire les meilleures pratiques internationales de gouvernance d’entreprise et d’activité responsable, ainsi qu’à accroître la part des diamants locaux dans la production mondiale. »
La confusion actuelle quant à l’identité de ceux qui exploitent Marange est le tout dernier chapitre dans la longue histoire troublée des diamants de la région. L’extraction des diamants s’y déroule depuis dix ans et pourtant, les mêmes problèmes continuent de se poser, ceux-là même qui la rongent depuis la première découverte de pierres sur place : la violence et l’absence de transparence, explique Farai Maguwu, directeur exécutif du CNRG.
En février 2016, le gouvernement avait écarté sept sociétés qui extrayaient sur place et désigné une société gouvernementale, la Zimbabwe Consolidated Diamond Co. (ZCDC) pour la reprise des opérations.
Comme pour ses prédécesseurs, le mandat de la ZCDC s’est enlisé dans la controverse. Étant donné qu’elle appartient au gouvernement du Zimbabwe, ses diamants sont soumis aux sanctions du Bureau de contrôle des actifs étrangers (OFAC) du Trésor américain, ce qui signifie qu’ils sont interdits aux États-Unis. En outre, selon Farai Maguwu, cette entité appartenant au gouvernement a été créée sans l’aval du Parlement et, comme les miniers précédents, des questions se posent quant à son mode de propriété et à l’identité des personnes qui en touchent les bénéfices.
Pire encore, Farai Maguwu accuse les forces de sécurité de la ZCDC d’avoir fait preuve d’une force excessive contre les mineurs artisans de la région, le motif même qui a fait interdire les diamants de Marange du KP il y a dix ans.
Même si bon nombre de ces mineurs artisans creusent illégalement, Farai Maguwu avance que nombre d’entre eux sont extrêmement pauvres et que l’excavation des pierres représente leur seule source de revenus… et qu’il n’existe de toute façon aucun justificatif à la force excessive.
« Ils les ont menottés, ils ont lancé des chiens hargneux sur eux, certains sont morts », affirme-t-il.
La ZCDC a également été accusée de ne pas détenir les autorisations environnementales adaptées et d’avoir pratiqué des évictions forcées.
(Une demande d’informations, envoyée sur le site Internet du minier, n’a pas obtenu de réponse. Un e-mail adressé à la société est revenu comme non distribuable. Son tout dernier rapport sur ledéveloppement durable est consultable ici.)
Face à ces controverses, en mai, la ZCDC a licencié la moitié de sa direction supérieure, dont le PDG Morris Mpofu, actuellement inculpé. Roberto de Pretto, PDG par intérim, a indiqué à un journal local qu’il espérait « laisser un héritage positif et durable afin qu’un jour, lorsque la Zimbabwe Consolidated Diamond Company aura terminé l’extraction, les gens ici diront « J’adore cette société. » »
Elle risque de ne pas en avoir l’occasion. Des articles font état d’un endettement de la société et d’un risque de fermeture. Récemment, des médias d’État ont affirmé que le minier Anjin Investments, qui avait précédemment procédé à une extraction minière dans la région, reviendrait à Marange.
Le retour d’Anjin, joint-venture entre le Chinois Anhui Foreign Economic Construction Group (AFECC) et une division de l’armée du Zimbabwe, a été accueilli peu favorablement par la population locale. Elle a la réputation de maltraiter ses travailleurs, affirme Farai Maguwu, et a été accusée de polluer la zone. (L’AFECC n’a pas répondu aux demandes de commentaire.)
Farai Maguwu déplore également la très faible transparence quant à la façon dont Anjin a remporté le contrat et dont elle prévoit d’agir. Étant donné sa structure propriétaire, elle risque également d’être soumise aux sanctions de l’OFAC, comme lorsqu’elle travaillait dans la région auparavant.
Farai Maguwu affirme que, si ALROSA changeait d’avis et décidait d’extraire à Marange, le minier améliorerait les niveaux de référence dans la région. Il pourrait même éviter les sanctions de l’OFAC sur les diamants de la région. Mais pour l’heure, estime-t-il, le minier a raison de se montrer prudent.
« Les hauts niveaux d’ALROSA pourraient attirer d’autres acteurs dans le secteur, affirme-t-il. Mais le gouvernement du Zimbabwe ressemble à la mafia. Il est possible qu’il ne les laisse pas travailler selon leurs références. »
Ce qui pose la question de savoir comment les sociétés des États-Unis doivent réagir. Comme indiqué, les diamants de Marange restent soumis aux sanctions de l’OFAC, à propos desquelles Farai Maguwu a des sentiments mitigés.
« Je ne constate pas beaucoup d’avantages aux sanctions, explique-t-il. Pour le moment, elles aident en fait « la mafia » à dire que nous ne pouvons pas vendre nos diamants ouvertement, c’est pourquoi nous agissons en secret. Je ne dis pas que lever les sanctions va améliorer la transparence mais au moins, ils n’auront plus beaucoup de sujets de discussion quant à savoir pourquoi ils ne sont pas transparents. »
Farai Maguwu a été rassuré lorsque des articles sont sortis en juin indiquant que le détaillant sur Internet Blue Nile n’achetait pas de diamants de Marange. On ne sait pas précisément s’il s’agissait d’une nouvelle politique ni ce qui était à l’origine de ces articles car la plupart des sociétés américaines appliquent depuis longtemps des politiques allant à l’encontre de la vente de pierres de Marange, étant donné les sanctions de l’OFAC. (Le détaillant sur Internet n’a pas répondu à la demande de commentaire.)
On ne sait pas non plus comment elle applique cette interdiction car les diamants ne sont pas faciles à suivre. Au fil des années, l’industrie a développé un ensemble d’initiatives de suivi des diamants, comme le protocole de garantie sur la source des diamants, particulièrement conçu pour éradiquer les diamants de Marange. Les nouvelles solutions technologiques, comme le projet Tracr, soutenu par De Beers, et les rapports sur le pays d’origine du Gemological Institute of America, fleurissent également, bien qu’elles en soient encore à leurs débuts.
Néanmoins, les diamants de Marange continuent de se vendre en certains endroits et Farai Maguwu affirme que l’industrie doit savoir que la situation n’est toujours pas bonne.
En tant que responsable de la coalition de la société civile du Kimberley Process, il en a appelé au système de certification pour qu’il agisse mais, ostensiblement, les présidents pro-réforme se sont montrés indifférents, affirme-t-il.
« Je pense que le KP est fatigué de la question du Zimbabwe, a-t-il déclaré. Ils savent que s’ils tiennent le gouvernement pour responsable, ils ouvriront la boîte de Pandore. »
Si le champ d’application du KP est élargi afin d’y inclure les droits de l’homme, des questions comme celle-ci pourraient être traitées mais cela ne s’est pas produit, même si le World Diamond Council soutient la démarche.
Pour l’instant, Farai Maguwu espère simplement que l’industrie diamantaire s’impliquera davantage et se montrera plus directe en la matière.
« L’industrie devrait éviter les diamants de Marange et se joindre à notre appel pour que l’industrie diamantaire du Zimbabwe devienne plus transparente, explique-t-il. Je m’attends à ce que des membres de l’industrie vérifient que ce que nous disons est vrai. Et s’ils jugent que c’est vrai, ils doivent agir. Lorsque l’industrie s’exprime, la différence est grande. »