Minuit venait de sonner. La séance plénière annuelle du Kimberly Process (KP) à Victoria Falls, au Zimbabwe, était parvenue à un accord préliminaire sur son communiqué – qui comptait environ 90 points, principalement liés à des questions administratives, comme le choix du Botswana pour accueillir son secrétariat attendu depuis longtemps. Les membres du système de certification ont applaudi.
Puis, alors que tout le monde était prêt à aller se coucher, un représentant de l’Union européenne (UE) a demandé que soit également mentionné le fait que l’Ukraine, membre du KP, avait demandé que sa guerre avec la Russie figure à l’ordre du jour.
La demande de l’Ukraine n’était pas en soi problématique, puisque personne n’ignore le litige qui entoure les diamants russes. Mais un désaccord important est apparu sur les mots à employer pour décrire l’invasion de l’Ukraine par la Russie dans le communiqué du KP. La Russie voulait que soit évoquée une « opération militaire spéciale ». (En mars 2022, le président Vladimir Poutine avait fait passer une loi interdisant aux journalistes d’employer tout autre mot.) L’Ukraine préférait le mot « guerre », même si le terme initial était « guerre d’agression ».
S’en sont suivies quatre heures de débats éreintants, qui ont opposé l’Ukraine et ses alliés (les États-Unis, l’UE, le Canada et l’Australie) à la majeure partie du reste des participants – pas simplement la Russie et ses sympathisants, mais également les pays non-alignés qui considéraient que cette question n’était qu’une diversion.
« Pas un seul participant en dehors du bloc occidental n’a clairement exprimé son soutien à la rhétorique agressive de l’Occident », a déclaré dans un communiqué publié le 14 novembre le ministre adjoint des Finances russe, Alexey Moiseev.
Un compromis avait été proposé, évoquant des « hostilités », mais aucun consensus n’a été trouvé. À quatre heures du matin, tout le monde en a eu assez d’argumenter et la réunion a été ajournée sans communiqué. La coalition de la société civile avait quitté les lieux à deux heures du matin.
Parmi toutes les tâches qui incombent au Kimberley Process, on pourrait penser que la rédaction du communiqué ne figure pas parmi les plus importantes. Pourtant, ce texte étant considéré comme une déclaration de principes, ce n’est pas la première fois qu’il provoque des débats de plusieurs heures. Finalement, Winston Chitando, le président zimbabwéen du KP, a publié un « communiqué » qui n’était pas destiné au public, reprenant l’intégralité des débats, à l’exception du paragraphe litigieux à propos de l’Ukraine.
La séance plénière n’est pas non plus parvenue à un consensus sur une autre question, celle du nouveau vice-président. Ce poste constitue généralement une première étape avant la direction du système de certification. La Biélorussie s’était portée candidate et, bien qu’elle réponde aux critères de base, son dossier a été rejeté par les pays occidentaux, qui l’ont considérée comme un allié proche de la Russie. La réunion a donc été ajournée sans nouveau vice-président.
(Les Émirats arabes unis, vice-président actuel, présideront le KP l’année prochaine. L’Émirati Ahmed Bin Sulayem, qui a dirigé le KP en 2016, reprendra ce rôle en 2024.)
Au-delà de ces arguments, se pose une question sérieuse, qu’Ahmed bin Sulayem a soulignée dans le Financial Times du 14 novembre : certaines nations africaines s’inquiètent des projets du G7 pour un nouveau régime diamantaire qui exclurait les diamants russes. Ils considèrent que cela leur imposerait des charges administratives et perturberait le marché des diamants naturels. Ils prétendent également que les représentants du G7 ne sont pas suffisamment consultés.
Au contraire, la Russie s’est montrée plus stratégique, comme l’affirment certains, en parlant de son engagement en cours auprès des gouvernements africains, ainsi que de ses efforts de relations publiques, tels que les déclarations d’Alexey Moiseev.
Toutes ces querelles posent un autre problème pour ce système de certification qui se débat avec des tracas bien trop nombreux depuis des années. Hans Merket, chercheur auprès de l’International Peace Information Service et membre de la coalition de la société civile du KP, se dit particulièrement préoccupé qu’il n’y ait pas eu d’autre candidat à la vice-présidence.
« Cela révèle un désintérêt croissant, explique-t-il. Personne ne peut donner de sens à tout cela. »
Top: The Kimberley Process plenary in Zimbabwe (photo courtesy of the KP Civil Society Coalition)