Il existe de nombreux facteurs expliquant les hausses de prix du brut que De Beers aurait appliquées au cours de la semaine du 17 janvier. À tel point que l’initiative n’a que peu surpris le marché, même si elle a dominé les discussions des centres de négoce et de taille et des forums en ligne.
Les sightholders ont été un peu décontenancés par l’étendue des hausses – estimées entre 5 % et 12 % pour les 3 grains et marchandises de grosseur supérieure et jusqu’à 15 % pour le brut de petite grosseur. Ils ne s’attendaient pas à une initiative aussi audacieuse de la part de la société minière. Mais dans l’ensemble, la hausse des prix du brut était attendue, comme nous le notions dans cette rubrique au cours de la semaine du 10 janvier.
À cette occasion, nous faisions observer que la période entre décembre et février est généralement très chargée pour le secteur. Et puisque De Beers et ALROSA ont enregistré des ventes relativement basses en décembre, il existait une demande latente qui pourrait s’exprimer en janvier, d’où l’opportunité de la hausse des prix.
Toutefois, la saisonnalité ne joue qu’un rôle mineur quand il s’agit d’influencer les tendances du marché. Les prix devraient plutôt refléter l’équilibre entre l’offre et la demande ou montrer que les deux sont désaccordés.
Concentrons-nous d’abord sur l’offre.
Même si les deux grands miniers ont rapporté des ventes plus basses que d’ordinaire en décembre, une grande quantité de brut a en fait été envoyée dans des usines de taille en Inde. Le rebond est probablement attribuable à d’autres sources et à des marchandises achetées les mois précédents mais livrées en décembre. Les importations de brut du pays ont progressé de 20 % en glissement annuel, à 2,1 milliards de dollars pendant le mois, a annoncé le Gem & Jewellery Export Promotion Council (GJEPC). Il s’agissait du plus haut niveau depuis deux ans, entraîné par une hausse des prix mais également par des volumes relativement conséquents. Mesuré en termes de carats, le mois de décembre a été le deuxième plus important pour les importations de brut en Inde en 2021.
Dans l’ensemble, l’offre a bondi au quatrième trimestre, le volume des importations de brut indiennes dépassant les niveaux de 2018 et 2019. Les entrées de brut en Inde sur l’année entière étaient conformes aux niveaux de 2018, qui était également une période solide pour les ventes de brut. Tout cela s’est répercuté sur le marché du taillé en 2021, les exportations de l’Inde atteignant leur plus haut total annuel depuis 2018. Par ailleurs, les stocks de taillé ont augmenté. Le nombre de pierres actuellement cotées sur RapNet atteint des niveaux records (plus de 1,7 million de diamants).
Pourtant, les acheteurs et les négociants se plaignent principalement de ne pas trouver de marchandises pour remplacer les stocks vendus pendant les fêtes. Ils annoncent des pénuries sur le marché pour les produits de plus de 0,70 carat ayant une taille, une symétrie et un polissage excellents (triple Ex).
La demande porte sur une vaste gamme de catégories, allant du mêlé, qui a connu des gains importants ces derniers mois, jusqu’aux dossiers et aux pierres de grosseur supérieure. Une légère exception concerne la catégorie des 0,30 carat, une grosseur surtout influencée par le marché chinois, où l’activité de gros s’est réduite à l’approche du festival lunaire débutant le 1er février. De nombreux acheteurs ont pris des vacances anticipées, ne voulant de toute façon pas acheter sur un marché aussi onéreux.
Aux États-Unis, la demande se renforce. Même si l’on sait que De Beers ne commente pas ses tarifs, le minier évoquerait certainement le marché positif du retail aux États-Unis comme catalyseur pour les hausses de la semaine du 17 janvier. Les bonnes nouvelles continuent d’affluer : Signet Jewelers a annoncé jeudi 20 janvier que ses ventes pour les fêtes (entre novembre et décembre) avaient progressé de 30 %, atteignant 2,4 milliards de dollars.
On peut craindre que l’inflation et les hausses prévues des taux d’intérêt ne ralentissent cette dynamique. Ces mesures augmentent le coût de la vie pour les ménages, les invitant a prioriser les articles essentiels face aux achats de luxe. Bon nombre d’entre eux voient également la volatilité du marché boursier comme un signe que la dynamique s’arrêtera inévitablement.
Cependant, pour l’heure, l’industrie surfe sur la vague d’une demande solide. Son attention est maintenant dirigée vers les fabricants ; elle cherche à déterminer leur réaction face à la récente hausse des coûts du brut. Les négociants remarquent que les fournisseurs ont conservé des marchandises, même lorsqu’ils avaient reçu des commandes, prévoyant d’obtenir de meilleurs prix dans les semaines à venir. Avec la brusque hausse des prix de De Beers – ALROSA devrait suivre au cours de la semaine du 24 janvier –, les fabricants ont une excuse pour relever les prix du taillé.
Mais de combien ? Pourront-ils totalement compenser l’étendue des fortes hausses du brut ? Les augmentations du taillé entraîneront-elles d’autres hausses de la valeur du brut par la suite ? Après tout, c’est le brut qui devrait suivre les tendances du taillé – et non l’inverse.
À un certain stade, si les prix sont poussés par l’offre plutôt que tirés par la demande, les acheteurs de taillé établiront une limite. Ils exploiteront leur position et refuseront tout simplement les prix élevés demandés par les fournisseurs. Les choses ne sont pas aussi simples sur le marché du brut. Les sightholders se sont engagés à acheter un certain pourcentage des marchandises présentées lors des sights et ils ont d’autres facteurs à prendre en compte, comme le fait de préserver et d’occuper leur main-d’œuvre.
Un nouvel aspect influe également sur le segment du brut : l’absence de marchandises sur le marché secondaire, sur lequel les négociants, les petits fabricants et les artisans s’approvisionnent en brut.
Début 2021, De Beers a modifié sa politique d’approvisionnement. Elle a réparti ses sightholders dans trois catégories – fabricants, négociants et détaillants – afin de proposer à chacun une offre plus personnalisée. ALROSA a annoncé une initiative étrangement similaire en novembre.
L’idée était de renforcer les efficacités sur le marché en faisant fabriquer davantage de marchandises, plus rapidement. De Beers a réduit le nombre de négociants capables d’échanger ses boîtes sur le marché. Elle a également réservé davantage de marchandises pour qu’elles soient taillées au Botswana, pays dans lequel elle est engagée dans des négociations avec le gouvernement à propos d’un nouvel accord d’offre et de marketing.
Il est donc difficile de trouver du brut malgré le sight important, ce qui pousse les premiums vers le haut sur le marché secondaire, ont fait remarquer des courtiers au cours de la semaine du 17 janvier. La pénurie fait également monter les offres aux enchères, un autre système permettant aux non-sightholders de trouver des marchandises. Dès lors, les prix augmentent au cours du sight, puisque De Beers et ALROSA exploitent aussi les informations provenant des enchères et des circuits de négociants.
C’est un cercle vicieux qui pourrait prolonger la reprise trop longtemps, imposant des pressions sur les bénéfices de fabrication. La hausse des prix du brut a peut-être été anticipée cette fois-ci mais l’industrie aurait tout avantage à adopter une approche échelonnée de petites augmentations – comme le faisait De Beers par le passé. L’étendue de la hausse des prix était donc inattendue et risque d’avoir établi une base de référence dangereusement élevée en ce début d’année.